•  

    Au plus fort de la dépression Pierrick, la mer s’est une nouvelle fois donné en spectacle ce mardi 9 avril. Déferlantes, murs d’écumes, vagues puissantes venant se déchirer sur la roche et exploser sur des quais, des digues et des brise-lames. Un spectacle dont on ne peut se lasser. Fascinant ! Mais gare à l’imprudence ! Il y a trop souvent des drames à déplorer. Vigilance prise en défaut ? Totale méconnaissance des risques ?  Des vies en moins. La mer fascine ; elle peut se montrer cruelle. Les gens de mer et les poètes sont les mieux à même pour en parler.

     La tempête s’en est allée, mais les craintes subsistent. Il y aura d’autres coups de tabac. Spectacle assuré !

    Ce vendredi 5 avril, juste avant que Pierrick ne s’en vienne balayer le littoral, le ministère de la Transition écologique dévoilait plusieurs cartes prospectives des zones concernées par le repli du trait de côte, notamment sous l’effet de la hausse du niveau de la mer et du réchauffement climatique ; la mer, omniprésente sur la surface de la planète voici quelques milliards d’années, est-elle en train de récupérer le terrain perdu ? Jusqu’où poussera-t-elle cette apparente boulimie de terre ? Les cartes prévisionnelles établies par le Cerema* ne font pas de place au doute. Elle a faim !

    Aller savoir pourquoi, après avoir pris connaissance de ces cartes, mes pensées se sont immédiatement envolées vers les falaises du pays de Caux, avec arrêt sur image à Pourville-sur-Mer, station balnéaire proche de Dieppe. Par simple association d’idées certainement, puisque c’est à Pourville qu’a séjourné Claude Debussy et que, sachant cela, curiosité aidant, j’y suis passé un jour à la recherche du temps perdu.

    Du séjour à Pourville du compositeur, j’avais en mémoire une photo où on le voit accoudé sur la rambarde d’un balcon, le regard tourné vers l’horizon marin. Debussy, La Mer 

    La mer ? Incontestable source de fascination pour de nombreux compositeurs de musique dite classique, Debussy n’étant bien évidemment pas le seul à y avoir succombé. Mais au jeu de l’érudition, c’est bien La Mer, la sienne, qui s’impose d’emblée dans les mémoires ; que l’on soit amateur de ce type de musique ou non.

    À Pourville, en 1904, cela fait déjà un an que Debussy travaille à cette œuvre, dont les trois esquisses qui la composent ont été couchées en 1903, dans un « coin perdu » de la Bourgogne-Franche-Comté, dans le hameau Bichain, commune de Villeneuve-la-Guyard, département de l’Yonne.

    François Lesure, dans la biographie qu’il lui a consacrée**, fait état d’une lettre dans laquelle Claude Debussy révèle à son ami André Messager, lui aussi compositeur, qu’il a failli être marin. C’était le vœu le plus cher de son père ; son immersion dans la musique l’a fait virer de bord : « J’étais promis à la belle carrière de marin (…) seuls le hasards de l’existence l’ont fait bifurquer ». Debussy n’a pas épousé la mer, mais elle aura été une maîtresse inspiratrice. « On a répété à l’envi que Debusssy nourrissait pour la mer un amour mainte fois réaffirmé, mais il est assez vain de chercher à comprendre La Mer en dehors de sa substance musicale » tempère François Lesure.

    Un an après ce premier séjour à Pourville, il achèvera la correction de sa partition à Eastbourne, de l’autre côté de la Manche, et livrera à son éditeur parisien un livret ayant en couverture le dessin d’une grande vague, hommage explicite à Hokusai, peintre et graveur japonais qu’une série d’estampes sur ce thème de la vague avait déjà rendu célèbre.  Le 15 octobre 1905, La Mer, pour sa première exécution, recevra un accueil très mitigé de la critique. La troisième esquisse de cette œuvre, Dialogue du vent et de la mer, nous laisse à entendre le souffle de la tempête. Les vagues debussiennes finiront par s’imposer dans le grand répertoire

    La station balnéaire nichée entre les falaises du Pays de Caux éprouve une compréhensible fierté d’avoir su attirer à elle ce compositeur qui a magnifié musicalement cette mer qui fait son attrait ; même si pour elle, comme pour tant de franges du littoral à travers la planète, la mer fait désormais craindre la montée des périls.

    Ce ne sont pas les colères de la mer qui ont manqué à Pourville depuis l’été 1915 qui vit s’en revenir Debussy. Nichée dans une large valleuse, entre Varengeville-sur-mer et Sainte-Marguerite-sur-mer, le roulement des galets au gré des vagues fait partie de son quotidien. Comme sur l’ensemble de la côte d’Albâtre, ces falaises crayeuses environnantes donnent des signes évidents de résignation. Rongées à la base par le flot, elles payent aujourd’hui dans les hauts les conséquences d’une trop forte maîtrise des sols générée, notamment, par ce besoin viscéral de la vue sur mer.

    À Varengeville, pour ne parler que de ce site remarquable, les résidents craignent pour leur église et le cimetière qui l’entoure. Cet édifice religieux donne incontestablement un supplément de majesté à ce lieu. Georges Braque y a laissé son empreinte par des vitraux. Il repose dans ce cimetière, aux côtés d’un autre compositeur, Albert Roussel. Celui-ci, contrairement à Debussy, s’est fait marin, par désir, mais, après quelques années de bourlingue, sa passion pour la musique a été la plus forte. Varengeville va alors devenir le lieu idéal pour composer. Il y repose. Jusque quand ? La Mer de la craie va-t-elle se rappeler à lui ?

     

    Cette mer qui nous fascine...

     

    La Mer de la craie, il aura fallu ce rapport du Cerema pour que remonte à la surface un vague souvenir du temps scolaire, celui où on nous a appris que la mer recouvrait le Bassin Parisien ; de la science-fiction à rebours quand, haut comme trois pommes, votre imaginaire flotte alors, à Paris, entre la Tour Eiffel et l’Arc de Triomphe. L’histoire, la géographie…la géologie s’impose !

    Curieusement, mes recherches circonstanciées m’ont amené presque aussitôt à cliquer sur un site animé par des vignerons ; ils y retracent l’historique du Bassin Parisien. Ce n’est pas la mer à boire, mais c’est grisant de plonger en apnée dans cet historique. Si le cœur vous en dit :

     

    https://www.vinsvignesvignerons.com/Geologie/Geologie-de-la-France/Histoire-geologique-du-Bassin-parisien

     

    Ce site nous rappelle que l’eau de mer, dans les temps antérieurs, a nourri la terre de nos vergers et vignobles. Ce n’est qu’à la fin de l’époque du Crétacé supérieur, voilà 66 millions d’années, que la Mer de la craie va commencer à se retirer, pour se contenter, progressivement, d’un cadre plus étroit, cadre dans lequel nos ancêtres homo-sapiens et nous-mêmes avons assumé et assumons notre rôle de Terriens.

    Que l’on ne se méprenne pas sur le fond (abyssal, ce jour) de mes pensées ! Je ne suis pas en train de défendre la thèse selon laquelle, quoi qu’on fasse, la mer ne va pas tarder à reprendre tous ses droits. Nul n’est prophète en son pays ! Mais, à l’échelle du temps planétaire, il est tout simplement prévisible que l’humanité aura sans cesse fort à faire pour composer avec cette force de la nature, les continents continuant, pour leur part, leur lente dérive.

     Dans l’immédiat, le réchauffement climatique nous impose d’agir au-delà de la simple prise de conscience ; en sachant mieux composer, sur la base du progrès de nos connaissances, avec les contraintes environnementales… et sociétales. Deux préoccupations qui vont de pair.

    Nous pouvons désormais mesurer les dégâts causés par l’assurance que nous avions, voici peu encore, de se sentir les maîtres absolus du jeu. La mer nous impose son tempo.

    Pour éviter de reproduire les erreurs de ces temps, pas si lointains que ça, il nous faut, certes réparer ce que l’on peut, mais surtout faire preuve d’anticipation, définir de nouveaux plans d’occupation des sols qui composeront avec les humeurs de la mer

    Composer ? C’est en finir avec cette cacophonie générée par les dogmatismes, qu’ils soient écologiques ou économiques. Le débat est sain ; l’écoute est nécessaire. S’il y une métaphore qui s’impose alors, c’est celle qui consiste à dire que nous sommes tous sur le même bateau et que c’est en sachant amurer, comme tout bon marin, que l’on saura composer avec la mer.

    Ayant la chance de pouvoir contempler l’océan au pied de ce massif armoricain qui émergeait au-dessus de la Mer de la craie, mais lui aussi malmené par l'appétit des vagues, je me devais de conclure en rendant également hommage à un autre compositeur qui, comme Debussy et Roussel, a souhaité être marin ; pour cela, Paul Le Flem (1881-1984) a suivi des cours à l’École navale de Brest, mais, à cause d’une mauvaise vue, son rêve n’a pu se réaliser ; la musique sera sa bouée de sauvetage et la mer, qui l’a tant fasciné, une puissante source d’inspiration***.

    Paul Le Flem s’est engouffré dans le sillage de Claude Debussy, tout comme lui il a été précepteur en Russie et, par ricochets, aspiré par les sonorités des compositeurs russes.

    Le 31 juillet, ses admirateurs commémoreront le 40ème anniversaire de son décès, à l’âge de 103 ans, à Tréguier. Il est à souhaiter que la région Bretagne sache rendre les honneurs à cet amoureux de la mer ayant eu Lézardrieux pour port d’attache.

     

     

     

     

                                                                                                                          Claude Tarin

                                                                                                               Lundi 15 avril 2024

     

    *Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) est un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle conjointe du ministre de la Transition écologique et solidaire, et du ministre de la Cohésion des territoires.

    **Claude Debussy, Éditions Fayrad, 2003. Ancien directeur du département de la Musique à la Bibliothèque nationale François Lesure (1923-2001) était un des spécialistes mondiaux de ce compositeur.

    ***Là encore, si le cœur vous en dit, cliquez sur ce site  de la Cinémathèque de Bretagne pour un petit quart d’heure d’évasion dans le temps. En 1955, Paul Le Flem a prêté son concours musical à un documentaire ayant pour titre Côte de granit rose.

    https://www.cinematheque-bretagne.bzh/base-documentaire-c%C3%B4te-de-granit-rose-426-4888-0-57.html?

     

     

     


    votre commentaire
  •  

    Dans la perspective de la commémoration du 80ème anniversaire du Débarquement en Normandie, combien d’arbres de la liberté vont être plantés d’ici là ? À ma connaissance, au moins un, puisqu’invité à assister à l’événement ; mais sans nul doute, cette scène est appelée à se reproduire, ici et là, dans les semaines qui viennent. Ce n’est qu’au début de l’été 1944 que des communes françaises ont recouvré le goût de la liberté après quatre longues années d’oppression ; la guerre définitivement terminée en 1945, une tradition, plus ou moins soutenue, s’est instaurée au fil des ans. Un arbre, pour enraciner les consciences. ; pour raviver les mémoires, au fil des saisons.

    Dans Mythologie des arbres, publié en 1989*, l’historien et philosophe Jacques Brosse (1922-2008) écrivait : « Jamais un arbre n'a été adoré rien que pour lui-même, mais toujours pour ce qui, à travers lui, se révélait, pour ce qu'il impliquait et signifiait. C'est en vertu de sa puissance, c'est en vertu de ce qu'il manifeste et qui le dépasse, que l'arbre devient un objet religieux. » Il faudra attendre la Révolution française pour que lui soit accolée, haut et fort, la charge symbolique de la liberté. Une liberté alors vengeresse d’un peuple qui brise les chaînes d’une monarchie de droit divin.

    Le 2 mars 1848, lors de la plantation d’un arbre de la liberté sur la place des Vosges à Paris, Victor Hugo s’exclamera ainsi avec emphase : « C'est un beau et vrai symbole pour la liberté qu'un arbre ! La liberté a ses racines dans le cœur du peuple, comme l'arbre dans le cœur de la terre ; comme l'arbre elle élève et déploie ses rameaux dans le ciel ; comme l'arbre, elle grandit sans cesse et couvre les générations de son ombre. Le premier arbre de la liberté a été planté, il y a dix-huit cents ans, par Dieu même sur le Golgotha. Le premier arbre de la liberté, c'est cette croix sur laquelle Jésus-Christ s'est offert en sacrifice pour la liberté, l'égalité et la fraternité du genre humain. »

    L’arbre protecteur, l’arbre qui rassure, l’arbre qui apaise, l’arbre dans toute la splendeur de son ramage fait cependant pâle figure dans la symbolique des Nations, contrairement à l’aigle ou les étoiles. Au jour d’aujourd’hui, selon le recensement de l’Organisation des Nations Unies, 197 drapeaux flottent aux vents de la Terre. Un rapide inventaire révèle qu’il n’y en a que 8 qui se réfèrent à la puissance de l’arbre, la feuille d’érable du drapeau canadien comprise.

    L’Union européenne a choisi les étoiles, mais on doit se réjouir que la France ait eu l’idée de graver sur une face des pièces de 1 € et 2 €, dont elle avait la maîtrise, un arbre étoilé dont le tronc, les branches et les racines sont encadrés par la devise Liberté, Égalité, Fraternité. Ces pièces rayonnent dans l’espace européen.

    Si l’arbre a pour premiers mérites de nous protéger des ardeurs du soleil et des effets nocifs du gaz carbonique qui traîne dans l’atmosphère, il n’est cependant en rien bouclier indestructible contre la folie furieuse qui peut s’emparer des hommes.

    Tout comme nous, la République d’Haiti a pour devise « Liberté, Égalité, Fraternité » et le palmier qui se dresse dans un carré blanc entre les deux bandes rouge et bleue porte fièrement le Bonnet de la Liberté. Depuis des décennies, ce petit pays des Antilles est en proie à des convulsions qui dépassent aujourd’hui l’entendement.

    Et que dire du Liban et de ce cèdre qui fut longtemps considéré comme l’emblème de la noblesse, de la grandeur, de la force, de la pérennité…et de l’incorruptibilité ?

    Les symboles de liberté, d’égalité ou de fraternité sont comme les arbres, ils ont leur fragilité, peuvent souffrir, plier comme le roseau de la fable, mais, hélas, comme il nous est donné de le constater, se briser net quand se lèvent de violentes bourrasques générées par le souffle venimeux d’esprits dénués de toute humanité. Ce fut déjà le cas en 1939, quand un petit caporal raciste arrivé au pouvoir fit accrocher aux serres de l’aigle de feue la République de Weimar la tristement célèbre svastika, la croix gammée fierté des Nazis. Quatre-vingts ans après sa mort, il continue à faire des émules. Constat ô combien affligeant.

    « Les chênes qu’on abat », les gens de ma génération ne peuvent avoir oublié cette expression ; André Malraux, puisant dans la prose de Victor Hugo – l’incontournable référence – avait ainsi titré un livre portant sur l’entretien que le Général de Gaulle lui avait accordé en 1969. De Gaulle venait de quitter le pouvoir, suite à son échec démocratique ; le peuple français ayant répondu non à son projet, soumis par référendum, de décentralisation et de fusion du Sénat avec le Comité économique et social. Bien évidemment, Malraux n’a fait ici qu’utiliser la métaphore de l’arbre pour rendre hommage à ce Président que l’on pouvait croire indéboulonnable voici peu encore. Cela n’a donc aucun rapport avec cette réflexion du jour.  Quoique…

     Il me plaît, d’abord, de souligner que le 9 juin prochain, date à laquelle nous déposerons un bulletin dans l’urne, cela fera très exactement quatre-vingt-dix ans que le lieutenant-colonel Charles de Gaulle et son épouse se rendaient acquéreurs, en viager, du domaine de La Boisserie, à Colombey-les-deux églises. C’est dans ce lieu que De Gaulle avait accueilli Malraux pour ce qui sera le dernier tête à tête entre les deux hommes ; un lieu chéri plus que tout par l’ex-locataire de l’Élysée. Il est de notoriété publique que De Gaulle a préféré la compagnie des frênes centenaires de sa propriété à celle des platanes - dont certains datent d’avant 1789 - du parc présidentiel.

    Mais c’est surtout cet arbre de la liberté qui va être mis en terre, sous mes yeux, qui explique la raison d’être de cette digression gaullienne.

    Je fais partie de ces électeurs qui lui ont fait défaut en 1969, non pas pour ce qu’il proposait mais parce que considéré comme dépassé concernant les évolutions de la société…puisqu’âgé de 79 ans…l’âge qui est maintenant le mien. Il n’est jamais trop tard pour faire amende honorable, d’autant qu’il y a urgence à resituer la conception qu’avait de l’Europe le fondateur de la Vème République ; avant que les tenants du nationalisme en viennent à lui faire dire ce qu’il n’a pas dit pour étayer leur euroscepticisme.

    Indéniablement, De Gaulle aura toujours placé les intérêts de la France au premier rang de ses préoccupations, parfois avec une regrettable condescendance, mais l’homme du 18 juin 1940 n’a jamais oublié ce que notre pays doit à tous ces jeunes hommes venus du Canada, des États-Unis, d’Australie, de Nouvelle-Zélande et de bien d’autres horizons.

    L’arbre de la liberté, auquel je fais allusion, est le fruit de la volonté d’un aviateur américain, Arnold Pederson, abattu le 8 février 1944 au-dessus de Pont-Audemer, décédé récemment alors qu’il venait de franchir le cap des cent ans. Il tenait à remercier tous ces résistants qui lui ont permis de recouvrer les ailes de la liberté après son parachutage. Mais cette cérémonie marquera aussi la reconnaissance que nous lui devons. Cela De Gaulle ne l’a jamais oublié et son antiaméricanisme supposé ne peut souffrir d’une interprétation peu respectueuse du militaire qu’il fut.

    Dans Les chênes qu’on abat, Malraux a noté cette conviction : « Il ne s’agit plus de savoir si la France fera l’Europe, il s’agit de comprendre qu’elle est menacée de mort par la mort de l’Europe. » Force, ici, est de reconnaître que De Gaulle voyait juste quand il disait que l’Europe ne devait compter que sur elle-même et rien que sur elle-même. Se contenter du parapluie américain relevait de l’inconséquence. Nous en sommes arrivés à ce constat.

    Le 22 novembre 1959, dans un discours prononcé à l’Université de Strasbourg, De Gaulle, fraichement élu Président de la République s’exclamera : « Oui, c’est l’Europe, depuis l’Atlantique jusqu’à l’Oural, c’est l’Europe, c’est toute l’Europe qui décidera du destin du monde ». À cet époque la Chine n’apparaissait pas encore comme une menace et De Gaulle en était à espérer que la Russie fasse tomber l’armure du communisme. Aujourd’hui, son Europe intégrant la Russie relève encore du rêve inaccessible. Celui-ci peut devenir réalité, mais l’ancien chef de guerre qu’il a été ne pourrait que regretter le retard pris par les Européens en matière de défense commune.

    Il est à souhaiter qu’il ne soit pas trop tard. Sauver l’Ukraine, c’est faire un grand pas vers l’Oural. Vaincre Poutine, c’est permettre aux Russes de briser les chaînes du totalitarisme. Il fût un temps où l’esprit des Lumières soufflait sur Saint-Pétersbourg.

    Le 18 avril prochain, à Échauffour, dans l’Orne, au pied de l’arbre de la Liberté, don de la famille Pederson, l’espoir se conjuguera au passé et au futur.

     

                                                                                                                                   Claude TARIN

                                                                                                                         Jeudi 4 avril 2024

     

    *Jacques Brosse, Grand prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre en 1987. Mythologie des arbres a été publié chez Plon deux ans plus tard, puis réimprimé chez Payot-Rivage en 1993 et 2001.

     


    votre commentaire
  •  

     

     

    En ces temps perturbés

    Des arcs en ciel ont éclaté

    Dans le ciel de pluie nimbé

    Et déroutant comme la Sphinge

    A surgi l’arc aux pinces à linge

     

                                                                                                      Claudie

                                                                                           Lundi 1er avril 2024


    votre commentaire
  •  

       À l’occasion de l’Hommage national qu’il lui a été rendu devant le Ministère de la Justice place Vendôme le 14 février dernier. Claude Tarin a dit toute son admiration à Robert Badinter. Dans cette chronique, il associait aussi la mémoire du grand européen qu’a été Alfred Grosser décédé la vieille. Ce commentaire m’incite aujourd’hui à vouloir témoigner de Jacques Delors. Un hommage national lui a également été rendu dans la Cour d’Honneur des Invalides le 5 janvier dernier à la suite de sa disparition à l’âge de 98 ans. J’en étais, je fus un modeste compagnon de route de cet immense européen. J’aimerais ainsi faire apparaître deux dimensions de l’homme souvent oubliées ou minorées.

      Son « parler simple » d’abord ! c’était un grand pédagogue ! Les plus anciens d’entre nous se souviendront de ses apparitions à la télévision pour expliquer, malheureusement à plusieurs reprises, les raisons de la dévaluation du franc et la nécessité de la rigueur qui devait accompagner cet acte qui pouvait affaiblir la France si on n’y prenait garde. La simplicité des mots qu’il choisissait, la clarté du langage dont il faisait usage sur des sujets souvent complexes, lui venaient de ses origine sociales et militantes. De condition modeste, embauché très jeune à la Banque de France, il y avait suivi un cursus de promotion sociale que permettait la Banque, ce qui l’a amené à s’initier à l’économie et à discuter plus tard d’égal à égal avec les plus brillants esprits de son époque. C’est parce qu’il avait vécu lui-même cet effort qu’il se permettait de répéter aux français de toutes conditions : « la formation continue est la solution, il y a un trésor caché dedans ! ». Naturellement, il fut un des pères de la Loi de 1971 sur la formation professionnelle qui fit décoller enfin les politiques initiées précédemment par le ministre gaulliste Michel Debré dès 1965.

       Ceci n’explique pas encore totalement son sens de la pédagogie. Devenu au sein de la Banque de France syndicaliste CFTC, il devint très vite expert économique auprès de ceux qui transformèrent cette confédération en CFDT. Il y enseignait les rudiments de l’économie aux futurs responsables des syndicats, fédérations d’industrie et unions départementales, dans ce que cette centrale appelait les ENO, les Ecoles Normales Ouvrières. Durant quatre ou cinq jours, militants et responsables s’y « frottaient » aux sciences sociales. Le langage simple, parfois imagé, était de mise pour les armer dans leurs combats quotidiens et leur permettre de mieux comprendre le présent et d’appréhender l’avenir pour participer à sa construction.

      Cette volonté de rendre accessible ce qui peut apparaitre au premier abord compliqué, il l’a cultivée ensuite en menant un travail continu de réflexion basée sur la lecture régulière de revues et de livres, et le travail commun et exigeant qu’il menait avec ses principaux collaborateurs professionnels ou militants, qu’ils convoquaient souvent en séminaire une fois par mois en week-end ! Exigence de la lecture et de l’écriture pour former la pensée, échanges de savoirs entre personnalités diverses pour clarifier les alternatives possibles et affiner la pensée, restitution en langage compréhensible.

      Il restera cependant aux yeux de toutes les générations d’abord comme un grand Européen. Nombre d’observateurs l’associe d‘ailleurs aux « pères fondateurs » de l’Europe, Robert Schuman, Konrad Adenauer, De Gaspéri, au même rang que Jean Monnet, et aux responsables politiques qui, à la suite, ont fait avancer l’Europe, le Général de Gaulle, Valérie Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, François Mitterrand et le Chancelier Kohl. Ce sont ces deux derniers qui l’avaient choisi comme président de la Commission Européenne en 1984.

      C’est Jacques Delors qui impulsa le grand marché et la marche vers l’Euro, avec la volonté de trouver constamment des compromis entre des pays ou des catégories sociales porteurs d’intérêts contradictoires au départ. Avec la volonté, comme l’a rappelé le Président de la République lors de son brillant hommage de janvier, « d’explorer pour réconcilier. En éclaireur. De frayer des alternatives, de bâtir des ponts, marchant toujours vers cet horizon immuable qui comptait pour lui par-dessus tout, la dignité humaine. »

      C’est lui aussi qui prépara dès les années 87-88 l’Europe à accueillir les pays de l’Est qui, déjà, frappaient à la porte avant même la chute du Mur de Berlin en 1989, tant existait déjà une attente de leurs peuples ou d’une grande partie de leurs élites en direction de l’aire de prospérité et de paix qu’était devenue la future Union Européenne. Car personne ne peut nier que le marché commun a d’abord ouvert les possibilités de développement de nos entreprises et de notre agriculture, moyennant des processus d’adaptation parfois douloureux, mais pour lesquels il trouvait des solutions à son niveau de responsabilité ; tels que les fonds structurels qui permettaient d’aider les régions fragiles de l’Europe.  

       Nul ne peut nier que la monnaie unique, l’Euro, a facilité les échanges et le développement de notre pays en en faisant progressivement à l’échelon du monde une monnaie de réserve. Jacques Delors ne pensait pas que l’accomplissement du marché unique était une fin en soi et l’Euro un horizon indépassable. Il y voyait une étape obligée vers l’autonomie de l’Europe, ce que d’aucuns appellent l’Europe puissance, qui ne se résume ni à un grand marché ni à un espace de droit commun.

       Dans son vibrant hommage du 5 janvier, Emmanuel Macron en reprenant le trptyque que Jacques Delors mettait toujours en avant pour montrer quel était le projet européen « la compétition qui stimule, la solidarité qui unit et la coopération qui renforce » en montrait la modernité actuelle pour aller vers : « Une Europe plus souveraine, plus unie, plus forte qui y trouve là son identité ».

       La dure réalité de la guerre aux portes de l’Europe devrait nous inviter à en accélérer la construction non à en détricoter les fils conducteurs comme en rêvent certains, consciemment et pire, inconsciemment.

                                                                                               

                                                                                                 Pierre Vanlerenberghe

                                                                                                Mardi 26 mars 2024

     

     

     

     

     


    votre commentaire
  •  

    Nouvelle référence à une chanson d’hier pour traduire un ressenti où se mêle à la poétique de la grande-marée, que nous venons de vivre intensément, une angoisse persistante et tenace, générée par les vagues de plus en plus puissantes de la xénophobie. Raconte-moi la mer, autre belle chanson portée par la voix de Jean-Ferrat, sur un texte de Claude Delécluse, parolière d’autres grands noms de la chanson française (Édith Piaf, Juliette Gréco, Isabelle Aubret, Léo Ferré, Fabienne Thibeaut, Hugues Aufray).

    Raconte-moi la mer, dis-moi le goût des algues

    Et le bleu et le vert qui dansent sur le vagues

    Il a fait bon se remettre en mémoire cette chanson de la fin des années 60, car, au bon gré du soleil et de la lune, la mer nous a offert, en ce début de semaine, un spectacle à nul autre pareil, autrement plus émotionnel que la fameuse « marée du siècle » de mars 2015. Une submersion en douceur des ouvrages de main d’homme au plus fort du flux ; un estran largement découvert, véritable Eldorado en coquillages fouisseurs et gicleurs au plus fort du reflux.

    La mer c’est l’impossible, c’est le rivage heureux

    C’est le matin paisible quand on ouvre les yeux

    Mais, car il y un mais

    La mer …

    C’est voler comme Icare au-devant du soleil

    En fermant sa mémoire à ce monde cruel.

    Regarder la mer, pour oublier une terre sanglante !

    La poétesse ne pouvait échapper à l’atmosphère du moment. Bombardements intensifs sur le Vietnam par l’US Air Force, guerre Indo-Pakistanaise à propos du Cachemire, coup d’État en Algérie, guerre civile en Congo-Léopoldville ex Congo-Belge, l’année 1965 durant laquelle Claude Delécluse composa cette chanson n’a pas été en reste avec les années précédentes.

    Certes, le continent européen apprécie alors de vivre en paix depuis la Seconde guerre mondiale ; les pays de la toute jeune Union européenne sont en passe de se doter d’un exécutif avec une Commission et un Conseil, mais la menace demeure, comme en témoigne la récente construction du Mur de Berlin. Pour ce qui est de la mer, tout reste à faire. Ce n’est que dans la décennie des années 1980 que les nations maritimes du vieux continent réussiront à établir une règle du jeu commune, non sans mal.

    Juste une piqûre de rappel !

    7 mars 1984, cela fait donc tout juste quarante ans, un aviso français, L.V. Lavallée, se voit contraint de faire usage de son artillerie pour arraisonner deux chalutiers basques-espagnols, les Burgoa Munde et Valle de Atxondo, coupables d’être en pêche, sans licence, dans la zone des 200 milles française ; des récidivistes ; huit blessés à bord du Valle de Atxondo ; les deux armements lourdement condamnés ; un compromis final d’indemnisation en 1986, alors que l’Espagne, avec le Portugal, viennent d’obtenir leur billet d’entrée dans l’Europe des pêches. De 1980 à 1984, on avait déjà enregistré pas moins de 2500 infractions de ce type pour le seul secteur du Golfe de Gascogne. Il était grand temps d’en finir avec ces batailles navales.

    Demain, qu’en serait-il si les populistes des vingt pays membres de l’Union ayant façade maritime s’en venaient à prendre le pouvoir. Vingt pays unis dans leur détestation de l’étranger ; une vague xénophobe sur laquelle surfent désormais des racistes à visage découvert. Un ciment commun, mais quid de la défense des seuls intérêts de leurs propres ressortissants, car telle est bien là le soubassement de leurs programmes respectifs.

    Constater et contester aujourd’hui les insuffisances et les faiblesses de la Politique commune des pêche est une chose, décider de renverser la table serait la pire des choses et ramènerait les pêcheurs quarante ans en arrière. Le Brexit leur a déjà offert un avant-goût de ce que seraient les difficultés générées par une telle dérive. Une pêche européenne soumise aux humeurs d’accord bilatéraux, Bruxelles n’ayant plus son mot à dire, détricoterait le grand filet de sécurité de l’Europe bleue. Aux professionnels d’y réfléchir à deux fois, pour ne pas céder aux sirènes de ces souverainistes exacerbés, porteuses d’un désenchantement dès lors programmé.

     « On n'empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage. Pour le matelot, cela s'appelle la marée, pour le coupable, cela s'appelle le remords »

      Puisse les travailleurs de la mer méditer cette pensée de Victor Hugo, Européen de la première heure, pour ne pas se sentir coupable(s) et connaître le remords. Pour que nous puissions partager, avec eux, une mer bleue ou verte, « ouverte à deux battants, la tête en voyage vers d’autres continents ».

     

     

                                                                                                                 Claude Tarin

                                                                                                             Jeudi 14 mars 2024

     

    *Cf chronique « Notre avenir…au travers d’une chanson d’hier »


    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires