• Raconte-moi la mer

     

    Nouvelle référence à une chanson d’hier pour traduire un ressenti où se mêle à la poétique de la grande-marée, que nous venons de vivre intensément, une angoisse persistante et tenace, générée par les vagues de plus en plus puissantes de la xénophobie. Raconte-moi la mer, autre belle chanson portée par la voix de Jean-Ferrat, sur un texte de Claude Delécluse, parolière d’autres grands noms de la chanson française (Édith Piaf, Juliette Gréco, Isabelle Aubret, Léo Ferré, Fabienne Thibeaut, Hugues Aufray).

    Raconte-moi la mer, dis-moi le goût des algues

    Et le bleu et le vert qui dansent sur le vagues

    Il a fait bon se remettre en mémoire cette chanson de la fin des années 60, car, au bon gré du soleil et de la lune, la mer nous a offert, en ce début de semaine, un spectacle à nul autre pareil, autrement plus émotionnel que la fameuse « marée du siècle » de mars 2015. Une submersion en douceur des ouvrages de main d’homme au plus fort du flux ; un estran largement découvert, véritable Eldorado en coquillages fouisseurs et gicleurs au plus fort du reflux.

    La mer c’est l’impossible, c’est le rivage heureux

    C’est le matin paisible quand on ouvre les yeux

    Mais, car il y un mais

    La mer …

    C’est voler comme Icare au-devant du soleil

    En fermant sa mémoire à ce monde cruel.

    Regarder la mer, pour oublier une terre sanglante !

    La poétesse ne pouvait échapper à l’atmosphère du moment. Bombardements intensifs sur le Vietnam par l’US Air Force, guerre Indo-Pakistanaise à propos du Cachemire, coup d’État en Algérie, guerre civile en Congo-Léopoldville ex Congo-Belge, l’année 1965 durant laquelle Claude Delécluse composa cette chanson n’a pas été en reste avec les années précédentes.

    Certes, le continent européen apprécie alors de vivre en paix depuis la Seconde guerre mondiale ; les pays de la toute jeune Union européenne sont en passe de se doter d’un exécutif avec une Commission et un Conseil, mais la menace demeure, comme en témoigne la récente construction du Mur de Berlin. Pour ce qui est de la mer, tout reste à faire. Ce n’est que dans la décennie des années 1980 que les nations maritimes du vieux continent réussiront à établir une règle du jeu commune, non sans mal.

    Juste une piqûre de rappel !

    7 mars 1984, cela fait donc tout juste quarante ans, un aviso français, L.V. Lavallée, se voit contraint de faire usage de son artillerie pour arraisonner deux chalutiers basques-espagnols, les Burgoa Munde et Valle de Atxondo, coupables d’être en pêche, sans licence, dans la zone des 200 milles française ; des récidivistes ; huit blessés à bord du Valle de Atxondo ; les deux armements lourdement condamnés ; un compromis final d’indemnisation en 1986, alors que l’Espagne, avec le Portugal, viennent d’obtenir leur billet d’entrée dans l’Europe des pêches. De 1980 à 1984, on avait déjà enregistré pas moins de 2500 infractions de ce type pour le seul secteur du Golfe de Gascogne. Il était grand temps d’en finir avec ces batailles navales.

    Demain, qu’en serait-il si les populistes des vingt pays membres de l’Union ayant façade maritime s’en venaient à prendre le pouvoir. Vingt pays unis dans leur détestation de l’étranger ; une vague xénophobe sur laquelle surfent désormais des racistes à visage découvert. Un ciment commun, mais quid de la défense des seuls intérêts de leurs propres ressortissants, car telle est bien là le soubassement de leurs programmes respectifs.

    Constater et contester aujourd’hui les insuffisances et les faiblesses de la Politique commune des pêche est une chose, décider de renverser la table serait la pire des choses et ramènerait les pêcheurs quarante ans en arrière. Le Brexit leur a déjà offert un avant-goût de ce que seraient les difficultés générées par une telle dérive. Une pêche européenne soumise aux humeurs d’accord bilatéraux, Bruxelles n’ayant plus son mot à dire, détricoterait le grand filet de sécurité de l’Europe bleue. Aux professionnels d’y réfléchir à deux fois, pour ne pas céder aux sirènes de ces souverainistes exacerbés, porteuses d’un désenchantement dès lors programmé.

     « On n'empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage. Pour le matelot, cela s'appelle la marée, pour le coupable, cela s'appelle le remords »

      Puisse les travailleurs de la mer méditer cette pensée de Victor Hugo, Européen de la première heure, pour ne pas se sentir coupable(s) et connaître le remords. Pour que nous puissions partager, avec eux, une mer bleue ou verte, « ouverte à deux battants, la tête en voyage vers d’autres continents ».

     

     

                                                                                                                 Claude Tarin

                                                                                                             Jeudi 14 mars 2024

     

    *Cf chronique « Notre avenir…au travers d’une chanson d’hier »


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