• Jacques Delors l'Européen : un message clair et lucide

     

       À l’occasion de l’Hommage national qu’il lui a été rendu devant le Ministère de la Justice place Vendôme le 14 février dernier. Claude Tarin a dit toute son admiration à Robert Badinter. Dans cette chronique, il associait aussi la mémoire du grand européen qu’a été Alfred Grosser décédé la vieille. Ce commentaire m’incite aujourd’hui à vouloir témoigner de Jacques Delors. Un hommage national lui a également été rendu dans la Cour d’Honneur des Invalides le 5 janvier dernier à la suite de sa disparition à l’âge de 98 ans. J’en étais, je fus un modeste compagnon de route de cet immense européen. J’aimerais ainsi faire apparaître deux dimensions de l’homme souvent oubliées ou minorées.

      Son « parler simple » d’abord ! c’était un grand pédagogue ! Les plus anciens d’entre nous se souviendront de ses apparitions à la télévision pour expliquer, malheureusement à plusieurs reprises, les raisons de la dévaluation du franc et la nécessité de la rigueur qui devait accompagner cet acte qui pouvait affaiblir la France si on n’y prenait garde. La simplicité des mots qu’il choisissait, la clarté du langage dont il faisait usage sur des sujets souvent complexes, lui venaient de ses origine sociales et militantes. De condition modeste, embauché très jeune à la Banque de France, il y avait suivi un cursus de promotion sociale que permettait la Banque, ce qui l’a amené à s’initier à l’économie et à discuter plus tard d’égal à égal avec les plus brillants esprits de son époque. C’est parce qu’il avait vécu lui-même cet effort qu’il se permettait de répéter aux français de toutes conditions : « la formation continue est la solution, il y a un trésor caché dedans ! ». Naturellement, il fut un des pères de la Loi de 1971 sur la formation professionnelle qui fit décoller enfin les politiques initiées précédemment par le ministre gaulliste Michel Debré dès 1965.

       Ceci n’explique pas encore totalement son sens de la pédagogie. Devenu au sein de la Banque de France syndicaliste CFTC, il devint très vite expert économique auprès de ceux qui transformèrent cette confédération en CFDT. Il y enseignait les rudiments de l’économie aux futurs responsables des syndicats, fédérations d’industrie et unions départementales, dans ce que cette centrale appelait les ENO, les Ecoles Normales Ouvrières. Durant quatre ou cinq jours, militants et responsables s’y « frottaient » aux sciences sociales. Le langage simple, parfois imagé, était de mise pour les armer dans leurs combats quotidiens et leur permettre de mieux comprendre le présent et d’appréhender l’avenir pour participer à sa construction.

      Cette volonté de rendre accessible ce qui peut apparaitre au premier abord compliqué, il l’a cultivée ensuite en menant un travail continu de réflexion basée sur la lecture régulière de revues et de livres, et le travail commun et exigeant qu’il menait avec ses principaux collaborateurs professionnels ou militants, qu’ils convoquaient souvent en séminaire une fois par mois en week-end ! Exigence de la lecture et de l’écriture pour former la pensée, échanges de savoirs entre personnalités diverses pour clarifier les alternatives possibles et affiner la pensée, restitution en langage compréhensible.

      Il restera cependant aux yeux de toutes les générations d’abord comme un grand Européen. Nombre d’observateurs l’associe d‘ailleurs aux « pères fondateurs » de l’Europe, Robert Schuman, Konrad Adenauer, De Gaspéri, au même rang que Jean Monnet, et aux responsables politiques qui, à la suite, ont fait avancer l’Europe, le Général de Gaulle, Valérie Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, François Mitterrand et le Chancelier Kohl. Ce sont ces deux derniers qui l’avaient choisi comme président de la Commission Européenne en 1984.

      C’est Jacques Delors qui impulsa le grand marché et la marche vers l’Euro, avec la volonté de trouver constamment des compromis entre des pays ou des catégories sociales porteurs d’intérêts contradictoires au départ. Avec la volonté, comme l’a rappelé le Président de la République lors de son brillant hommage de janvier, « d’explorer pour réconcilier. En éclaireur. De frayer des alternatives, de bâtir des ponts, marchant toujours vers cet horizon immuable qui comptait pour lui par-dessus tout, la dignité humaine. »

      C’est lui aussi qui prépara dès les années 87-88 l’Europe à accueillir les pays de l’Est qui, déjà, frappaient à la porte avant même la chute du Mur de Berlin en 1989, tant existait déjà une attente de leurs peuples ou d’une grande partie de leurs élites en direction de l’aire de prospérité et de paix qu’était devenue la future Union Européenne. Car personne ne peut nier que le marché commun a d’abord ouvert les possibilités de développement de nos entreprises et de notre agriculture, moyennant des processus d’adaptation parfois douloureux, mais pour lesquels il trouvait des solutions à son niveau de responsabilité ; tels que les fonds structurels qui permettaient d’aider les régions fragiles de l’Europe.  

       Nul ne peut nier que la monnaie unique, l’Euro, a facilité les échanges et le développement de notre pays en en faisant progressivement à l’échelon du monde une monnaie de réserve. Jacques Delors ne pensait pas que l’accomplissement du marché unique était une fin en soi et l’Euro un horizon indépassable. Il y voyait une étape obligée vers l’autonomie de l’Europe, ce que d’aucuns appellent l’Europe puissance, qui ne se résume ni à un grand marché ni à un espace de droit commun.

       Dans son vibrant hommage du 5 janvier, Emmanuel Macron en reprenant le trptyque que Jacques Delors mettait toujours en avant pour montrer quel était le projet européen « la compétition qui stimule, la solidarité qui unit et la coopération qui renforce » en montrait la modernité actuelle pour aller vers : « Une Europe plus souveraine, plus unie, plus forte qui y trouve là son identité ».

       La dure réalité de la guerre aux portes de l’Europe devrait nous inviter à en accélérer la construction non à en détricoter les fils conducteurs comme en rêvent certains, consciemment et pire, inconsciemment.

                                                                                               

                                                                                                 Pierre Vanlerenberghe

                                                                                                Mardi 26 mars 2024

     

     

     

     

     


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