• Vieux Je

     

    La vieillesse ; être vieux ?  Se sentir vieux ? Vieux jeu ? Hors-jeu ?

    La vieillesse ? Le troisième âge ? Brûlante actualité pour nous autres enfants du Baby-Boom qui, déjà, pour beaucoup, orphelins de père et de mère, sommes désormais dépossédés, à minima, des sept-dixièmes de notre capital vie. Pour autant, toujours en capacité de recueillir les fruits d’un long cheminent entre rêves et réalités. Cultivons l’espoir que cela perdure le plus longtemps possible !

    Les vieux ne parlent plus

    Ou alors seulement parfois du bout des yeux…

    La petite aiguille de la pendule du salon a fait quelque 530 000 tours depuis ce jour où Jacques Brel m’a glissé cette chanson dans l’oreille, en frappant droit au cœur. Le compositeur Pierre Delanoé, l’ayant trouvée pour sa part trop désespérante, s’ingéniera, dix ans plus-tard avec ses Vieux mariés (1973), à rendre le salon commençant à sentir « le verbe d’antan » plus ouvert sur un futur lumineux…sans arriver à égaler l’évidente et profonde tendresse de Brel ; question de feeling.  Mais l’un et l’autre parlaient-ils de la même « tranche d’âge » ? Assurément, non.

    La vieillesse qu’évoque Jacques Brel est celle qui se fait à l’idée que la Camarde ne tardera plus à s’inviter prendre le thé dans ce salon prenant, au fil des heures, des allures de purgatoire ! Une vieillesse qu’il nous faudra – si le sort en décide ainsi – affronter, en espérant que notre « moi intérieur », ne pouvant plus guère s’exprimer par un « je » audible, n’en reste pas moins bouillonnant jusqu’au dernier souffle.

    N'en déplaise à Pierre Delanoé et à Michel Sardou - son interprète - la chanson de Brel était d’une force supérieure et demeure une émouvante ode à la vie ; un appel subliminal à vivre et partager pleinement ses rêves avant et après l’ultime et incontournable résignation, celle que nous imposera un corps qui n’en pourra plus, si tant est qu’il ait pu jouer le jeu bien au-delà du critère de la durée de vie moyenne.

    Je ne me souvenais plus de ce curieux télescopage. C’est en 1963, la même année que les Vieux de Brel, que Sheila a commencé à nous bassiner avec cette ritournelle T’es plus dans le coup papa.  Désolé pour ses fans, mais je fais partie de ces tristes sires qui se sont exclus, dès les premières mesures, du monde du Yéyé. Certes, Sheila se faisait, par le biais de paroles creuses, c’est le moins que l’on puisse dire, le chantre d’une jeunesse – la mienne – désireuse de bousculer un monde « tout habillé de raide « ; cinq ans plus tard, la jeunesse était dans la rue, bien décidée à rendre ce monde moins « con ». Force est de reconnaître que nous n’y sommes pas parvenus. La colère des agriculteurs qui vient de se manifester n’en est qu’une énième navrante et désolante illustration ; que dire de ce qui se passe en Ukraine, à Gaza et dans bien d’autres terres de la planète bleue…

    Le « vieux » que je suis pourrait digresser sur ce sujet, bien que ne saisissant pas toutes les subtilités de la mosaïque agricole. Je me contente de rappeler ce fameux slogan, qui date de 1974, selon lequel « La France n’a pas de pétrole, mais elle a des idées » et que c’est à cette même époque que Giscard d’Estaing, alors locataire de l’Élysée, affirmait que l’agriculture était le « pétrole vert de la France ». Depuis Maximilien de Sully, le chargé des Finances du roi Henri IV, et son fameux « Pâturage et labourage sont les deux mamelles de la France », le travail dans les champs n’a cessé d’évoluer au gré des évolutions technologiques, dont le tracteur est un puissant symbole ; la France de « la poule au pot » n’a toujours pas de pétrole, mais se torture encore les méninges pour que ses deux mamelles puissent donner tout leur jus, tout en contribuant au bonheur de celles et ceux qui ont la charge d’y veiller. Hélas, comme on ne peut que le regretter, le fossé des incompréhensions n’est toujours pas comblé, loin s’en faut, entre la ville et la campagne. Mais…

    Revenons à nos moutons ! Pour reconnaître qu’effectivement, bien qu’ayant encore le plein usage de toutes nos petites cellules grises, on peut, à notre tour, nous les séniors retraités, s’entendre dire que l’on n’est plus dans la coup. Et pour cela, pas besoin de sortir de chez soi. Cela vous siffle aux oreilles même dans le cercle familial, quand on a eu la chance d’avoir des enfants, qui plus est des petits-enfants. Simple constat ; tout juste, un zest de reproche.

    De la génération tic-tac – celui de la pendule d’une grand-mère bien aimée – à celle du Tik tok, cela n’aura été qu’une série d’adaptations à vivre dans un monde en perpétuel mouvement.

    Forcément, ce qui devait arriver est arrivé. Ce fut le cas pour nos grands-parents, pour nos parents, quand l’ordinateur est devenu notre compagnon de route. Aujourd’hui, notre façon de godiller sur l’océan virtuel du numérique et le peu d’énergie que l’on peut y consacrer pour ne pas décrocher définitivement, nous met bien souvent incontestablement hors-jeu ; ce qui nous vaut ce retour d’image, parfois accompagné de cette gratification : « Vieux jeu ». Même dit avec sourire, gentillesse, voire tendresse, la critique fait mouche quand le « je » qui est en vous est toujours à poste.

    « Je pense donc je suis ». Le Cogito ergo sum de Descartes ne souffre pas d’être contesté. Je peux donc admettre, puisque je pense, que je ne suis plus tout à fait dans le coup dans un monde qui a déjà mis un genou à terre face à la montée en puissance de l’Intelligence artificielle. Un autre monde se dessine et le vieux-je que je suis, que vous êtes, vous aussi, s’en désespère. Mais vous comme moi conservons encore notre capacité à agir pour éviter que les générations du futur ne s’embourbent définitivement dans un monde d’écranopithèques devenus irrémédiablement serviles.

    Agir par la parole, à bon escient, sans rabâcher ce sempiternel « c’était mieux avant », pour rappeler tout simplement ces bégaiements de l’histoire auxquels il faut s’empresser de mettre un terme. Nous sommes les témoins du passé, d’un passé récent, pas aussi radieux que certains se plaisent à décrire. En soulignant les erreurs, les fourvoiements d’hier, on peut aider à corriger des trajectoires que notre vécu nous fait craindre fatales.

    Vive les Vieux Je !

     

                                                                                                                       Claude Tarin

                                                                                                                  Lundi 5 février 2024

     

      


  • Commentaires

    1
    Joëlle
    Jeudi 15 Février à 15:15

    "Vive les Vieux Je !" Bravo, Claude, pour cette ode à la sagesse et à l'expérience accumulées avec le temps. Tu encourages à agir avec discernement, partageant les enseignements du passé pour guider les générations futures vers un avenir plus éclairé, des réflexions empreintes d'une sincérité touchante.

     

     

     

     

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