• Une semaine au fil de l'eau de la ria du Trieux

     

    Pour qui aime cultiver son jardin, en conjuguant simultanément le temps présent avec le passé et le futur, la semaine qui vient de s’achever aura été source d’émotions …et de perplexité. Comment résumer cela d’un seul tenant ? Le mieux assurément eut été de pouvoir distiller des ressentis au jour le jour, mais encore fallait-il que l’inspiration et l’envie de s’exprimer soient au rendez-vous. Alors que les citadins venus goûter, entre Goélo et Trégor, aux charmes de la côte nord de la Bretagne, s’en sont retournés chez eux, j’opère ce jour un petit rétropédalage pour évoquer cette semaine du grand pont printanier, vécue sur la rive trégorroise du Trieux, cette rivière qui, entre Goëlo et Trégor, se fait ria à l’approche du grand large.

     

     

    5 mai : fleurs d’ici et d’ailleurs

     

    C’est en amont du pont suspendu qui enjambe le Trieux, à hauteur de Lézardrieux, qu’il me faut d’abord revenir. Surplombant l’un des derniers méandres de la ria, le château de La Roche-Jagu, en ce dimanche 5 mai après-midi, se donne des allures de ruche bourdonnante. Pour un agoraphobe de mon acabit, il y avait là mille et une raisons à rebrousser chemin, mais d’emblée cette phobie s’est dissipée, comme par enchantement. Porté par ce flot humain, grouillant comme un essaim, j’ai pu faire mon miel de bonnes sensations dans une atmosphère bon enfant.

    Nous étions des centaines à butiner autour d’une quarantaine de stands, à la recherche de la plante, du bulbe, de la fleur, de l’arbuste susceptible d’amplifier le plaisir que l’on éprouve chez soi à regarder cette nature maîtrisée au gré de ses désirs. Certes, là encore, il convient de le souligner : un jardin, c’est un luxe que tout le monde ne peut pas s’offrir, mais c’est une aspiration massivement partagée ; parfois assouvie au travers d’une simple jardinière accrochée au rebord d’un balcon. Ce week-end des 4 et 5 mai, des milliers de gens seront venus s’acheter une part de rêve.

    Un jardin, c’est un chez soi, en quelque sorte un jardin secret ; mais, un jardin, c’est aussi une porte vers ces ailleurs dont on se prend à rêver ; nombreux sont ces arômes, ces couleurs, ces saveurs qui, après avoir traversé les océans, s’en sont venus prendre racine sur nos terres. Ces hortensias qui enchantent le regard des randonneurs qui arpentent, entre Trieux et Jaudy, les chemins de cette Presqu’île dite sauvage, nous sont venus de Chine et du Japon ; les agapanthes, d’Afrique du Sud…Ce n’est certainement pas la plus convoitée pour sa fleur violacée, mais c’est du Chili et du Pérou que nous est venue la pomme de terre.

    On doit aux marins du XVIème siècle, aux jésuites et aux botanistes ayant vaincu leur appréhension du mal de mer, de pouvoir faire pousser sur notre sol des plantes venues d’ailleurs. Une mondialisation qui ne disait pas son nom.

    C’est ce dimanche 5 mai que le président Xi Jiping mettait de nouveau le pied en France, pour une visite de trois jours. Curiosité aidant, j’ai cherché à savoir si l’Empire du milieu plaçait la fleur dans l’arsenal de sa force de frappe commerciale. Affirmatif !

    Je retiens cette information selon laquelle l’Association chinoise de l’industrie florale aidera les floriculteurs et les entreprises florales à transformer les méthodes de commercialisation et à utiliser la technologie 5G et l'intelligence artificielle afin d'accroître la « consommation » de fleurs.

    À méditer !

     

     

    5 mai : Naïs, la voix des tziganes

     

    Après avoir quitté les jardins de la Roche-Jagu, cap sur Lanmodez sur l’estuaire du Trieux. Au programme de l’association Balades en Trégor, la chanteuse Naîs, invitée à se produire dans l’église dédiée à Saint-Modez, un de ces nombreux saints bretons venus d’outre-Manche ; lui, ce serait d’Irlande, au Vème ou VIème siècle.

    Rien de tel que la voûte d’une église pour donner de l’éclat à la voix ; celle de cette chanteuse ch’tie, vivant désormais à Rostrenen, au cœur de la Bretagne, aura su d’emblée nous transporter ; nous, car c’est tout le public d’une église pleine à craquer qui s’est trouvé véritablement envoûté par cette voix tzigane.

    Naïs Gourdin se plaît à rappeler ce que lui disait son père : « Naïs, mets ton oreille dans l’eau, entends ton corps te dire ses vagues ». L’eau d’une baignoire, mais pour cette femme ayant grandi sur la rive de l’Escaut, fleuve qui, comme le Trieux, n’est pas sans ressentir en amont les effets de la marée, ce conseil paternel n’est pas tombé à l’eau.

    Ces vagues de la baignoire l’ont conduite à s’immerger dans la culture romani, celle des Roms que nous appelons, au gré de nos humeurs, gitans, bohémiens, manouches, romanichels ou tziganes. Au gré de nos humeurs, car voici des populations qui souffrent toujours du regard des autres, même au cœur de la Roumanie et de la Hongrie, le creuset originel. Aucune naïveté dans le propos, mais un simple constat : nous véhiculons dans notre propre culture des stéréotypes peu en phase avec l’esprit de tolérance.

    Comment pourrais-je ne pas remercier Naïs d’avoir fait remonter à la surface de merveilleux souvenirs. Au plus loin, celui de la lecture d’un album de Spirou nous racontant la mésaventure d’un pauvre bougre vivant dans une roulote, bouc-émissaire de la population d’un village confrontée à un étrange phénomène. Sous le pinceau de Franquin, le comte de Champignac, l’apprenti sorcier fou d’expériences abracadabrantesques, prenait vie et la roulote tzigane devint pour moi le symbole du voyage et de l’acceptation de nos différences ; au-delà de la peur que génèrent les généralisations abusives, trop souvent nourries par l’ignorance si ce n’est par la xénophobie ; pour ne pas dire autre chose.

    Et puis vint Django Reinhardt, un guitariste autodidacte, surdoué, né dans une roulote. Django  a donné au jazz manouche toute sa noblesse. Dans l’église de Lanmodez, porté par la voix de Naïs, j’étais comme qui dirait sur « mon petit nuage ».

     

    6 mai : Pivot, un nom prédestiné

     

    La nouvelle s’est très vite propagée au-delà des cercles parisiens. Bien qu’ayant disparu du petit écran à l’amorce du XXIème siècle, Bernard Pivot, qui tirait sa révérence ce lundi 6 mai, faisait toujours partie de notre subconscient collectif. Il va y demeurer.

     Que dire de plus que tout ce qui s’est dit et écrit depuis l’annonce de son décès ? Si ce n’est que son nom figurait dans le dictionnaire bien avant qu’il ne pousse son premier cri. Un nom de tous les jours que le combat qu’il a mené a fini par propulser, cela fait tout juste dix ans, dans le volet « Personnalités » du Petit Larousse illustré.

    Mais, c’est au Grand Robert de la langue française qu’il me faut faire référence pour souligner combien son nom de famille prédestinait Bernard Pivot à jouer le rôle qu’il a tenu jusqu’à son dernier souffle.

    Le Grand Robert, dont la direction éditoriale aura été assurée par un autre grand amoureux des mots, le linguiste, lexicographe et écrivain Alain Rey (1928-2020), nous offre l’intérêt de bien resituer les mots dans leur contexte historique, en s’appuyant souvent sur des citations. Comment ne pas saluer la dépouille de celui qui a redonné le goût de la dictée aux Français, en retenant ces deux citations de Voltaire, relevées par ce dictionnaire :

    « Les religions ont toujours tourné sur deux pivots : observance et croyance »

    « Liberté de conscience et liberté de commerce, voilà les deux pivots de l’opulence ».

    Bon vivant et amoureux des mots, Bernard Pivot aura été un pivot entre le livre, les auteurs et  leurs lecteurs.

    C’était écrit d’avance !

     

    7 mai : il y a cinquante ans, Diên Biên Phu

     

    Il aura fallu un grand article publié ce mardi 7 mai dans Ouest-France, rubrique Paimpol, pour m’éviter un regrettable trou de mémoire. À la veille du 8 mai, jour de célébration traditionnelle de la fin de la Seconde guerre mondiale, cet article nous rappelait que c’est le vendredi 7 mai 1954 que le camp retranché français de Diên Biên Phu tombait sous l’assaut des troupes de l’armée des Vietminh. Une défaite qui allait sonner la fin de l’Indochine, de la présence coloniale française en Asie.

    Cet article évoquait le voyage qu’ont effectué, à l’initiative de leur professeur d’histoire et de géographie, des élèves de terminal du lycée paimpolais ; voyage au cours duquel ils se sont rendus sur le site même de ce champ de bataille. Je note déjà le rendez-vous que nous fixent ces élèves ; ils organisent du 27 mai au 10 juin prochain, une exposition, salle de La Sirène à Paimpol. L’avenir sera ce que les jeunes en feront. Ces jeunes Bretons ont eu cette chance d’être au rendez-vous de l’histoire. Il fera bon voir ce qu’ils en ont rapporté et entendre ce qu’ils ont à nous dire.

    L’Indochine…quand on a dans sa famille un arrière-grand-père, marin d’État, qui a participé à la conquête du Tonkin, ça vous parle déjà. Mais au plus près, tout au long de l’adolescence, bien que souvent masqué, le mot guerre peuplait toujours les conversations des adultes quand il était question de l’Indochine.

    « Plus jamais ça ! » avaient dit les Poilus survivants de la Grande Guerre de 14-18. On voit ce qu’il est advenu de ce vœu.

    Le Vietnam, le Laos, le Cambodge, l’Algérie sont des pays porteurs de notre histoire. Ils ont recouvré un semblant climat de paix, mais, tout comme la France et le reste du monde, ils connaissent eux aussi les effets seconds de ces guerres qui secouent encore tant de pays à travers le monde.

     

    8 mai : Le gâteau de Sonia Perper

     

    Transition toute trouvée le lendemain matin, devant le monument aux morts de la commune de Lézardrieux. Entre sonnerie « Aux morts ! » et La Marseillaise, un temps de recueillement puis le discours officiel du gouvernement français lu par tous les maires de France ; ici, comme dans de nombreuses communes, devant un auditoire d’une petite cinquantaine de personnes ; beaucoup de cheveux gris et blancs. Cela ne peut que nous interpeler.  

    Loin de moi l’idée de minimiser l’intérêt de ces moments mémoriels. Ce sont des piqûres de rappel ô combien nécessaires, un vaccin contre l’oubli, des instants où le « vivre ensemble » devrait s’affranchir définitivement des relents de haine, de xénophobie, de racisme ; ces maux qui n’ont jamais cessé de générer ces guerres qu’il nous faut déplorer. Mais qu’en sera-t-il demain quand nous ne serons plus là, nous autres qui pouvons encore témoigner de ce que furent les conséquences de ce deuxième grand conflit mondial.

    Dans ce discours officiel du 8 mai, au-delà des vertus proclamées de la Résistance, il fallait également rappeler que ces guerres n’ont pas été qu’une affaire de militaires, que les populations civiles en ont souffert et notamment les minorités juives, homosexuelles et ces tziganes auxquels je viens de faire référence. Sans oublier, les handicapés physiques et mentaux qui eux aussi ont été conduits vers des camps d’extermination. Cela a été rappelé.

    Peut-être conviendrait-il d’associer simultanément à la commémoration même un autre temps de réflexion, comme les circonstances l’ont permis, ce même jour, dans cette commune portuaire du Trieux.

    En fin d’après-midi, dans une salle de la capitainerie ne pouvant contenir plus de gens, une soixantaine de personnes sont venues assister à la projection d’un documentaire rappelant l’histoire douloureuse d’une famille juive qui pensait s’être mise à l’abri, à Braspart, au pied des Monts d’Arrée, après avoir fui les pogroms de la Bessarabie en 1935. La mairie de Lézardrieux avait spontanément donné suite à la demande de Julien Simon, écrivain comédien et réalisateur, auteur de ce documentaire intitulé « Ils sont partis comme ça ».

    Le 8 mai 1945, la guerre est terminée ; dans une France libérée, les crimes commis par les Nazis et la collaboration active du régime de Vichy vont être connus de tous. Le docteur Ihil Perper, son épouse Sonia et leurs trois enfants, Roza, Odette et Paul, sont tombés dans les mailles du filet en 1942, laissant derrière eux l’image d’une famille estimée, tant à Braspart qu’à Pleyben puis à Ploneour Menez, là où venait de naître le 18 juin, le petit Paul. Emprisonnés à Morlaix, puis à Drancy, Ihil, Sonia Perper et leurs trois enfants entameront le 25 mars 1943 un long voyage, entassés dans des wagons à bestiaux, qui les mènera jusqu’au camp d’extermination de Sobibor, en Pologne, où ils seront immédiatement gazés.

    Ce film, réalisé en 2014 ne peut laisser indifférent. 52 minutes de projection, une charge émotionnelle qui ne faiblira pas durant l’échange entre la salle et Julien Simon. La force de ce film repose pour l’essentiel sur les témoignages de gens qui ont connu la famille Perper, des témoignages retenus parmi des dizaines et des dizaines, traités avec la rigueur d’un historien. Un film poignant, avec pour conclusion la galerie des portraits de personnes ayant été accouchées par le docteur Perper. Ici, rien que des images fixes, pas un mot. À nous de comprendre le message.

     

    Une semaine au fil de l'eau de la ria du Trieux

     

    De cette histoire tragique subsiste de rares photos dont celle-ci, datée de1938, qu’il m’a paru indispensable de mettre en ligne. C’est la seule qui nous révèle les visages de Ihil, Sonia, Roza et Odette Perper, le petit Paul n’étant pas encore de ce monde. N’oublions jamais ces visages !

    Comme il serait bon également de confier à des mains expertes la recette du gâteau que Sonia Perper a transmise à la famille de cette femme nous la faisant découvrir sous l’œil de la caméra. Elle a conservé, telle une relique, un carnet sur lequel sont indiqués les ingrédients et la méthode pour réaliser un gâteau qui s’apparente à un mille-feuilles.

    Une recette de Bessarabie ? À entendre Julien Simon, le gâteau de Sonia Perper pourrait être celle du Napoléon, un gâteau russe fort apprécié dans de nombreux pays slaves. Si l’origine exacte de ce gâteau est inconnue, il est de tradition de dire qu’il remonte à la campagne de Russie de 1812 et qu’il est un hommage à Napoléon.

    Pour nous, il ne peut s’agir que du gâteau Perper, dont voici la recette

    Pâte : 1 verre de crème, 1 œuf, ½ verre de beurre, ½ verre de sucre ; 250 g de farine. Mélanger le tout, ce qui vous donne une pâte ferme. En faire 3 boules. Puis aplatir la pâte de chaque boule, ce qui donne 3 couches. Piquer à la fourchette. Cuire au four (à surveiller selon l’épaisseur de la pâte).

    Crème : 4 œufs, 2 cuillères à soupe de farine, ½ verre de sucre, 2 verres de lait. Mélanger. Faire épaissir sur le feu

    Finition : étaler la crème sur chaque couche. Parsemer du chocolat sur celle du dessus.

     

    9,10,11 mai : Mississippi Trieux Tonic Blues

     

    Atmosphère tout autre, ce jeudi 9 mai, avec l’ouverture du traditionnel festival du Trieux Tonic Blues, une association de Lézardriviens passionnés par cette musique afro-américaine ; une 16ème édition qui, dès les premiers shuffles, riffs et tappings va de nouveau, trois jours durant, conférer à la ria du Trieux des allures de Mississippi. Trois jours de chaudes et chaleureuses sonorités.

    Selon les connaisseurs, le blues prend sa source dans le delta de ce grand-fleuve nord-américain. Pour les gens de ma génération, le blues c’est d’abord celui issu du gospel, superbement illustré par Louis Armstrong, un génial trompettiste à la voix rauque reconnaissable entre mille.

    Même si le répertoire du blues d’après-guerre a, depuis lors, fait sa révolution copernicienne, avec l’introduction de la guitare électrique, l’esprit initial demeure. Le rythm and blues n’a pas tué le blues ; sans se renier, cette musique continue à porter ses valeurs. Ce n’est pas radoter que de rappeler que cette musique est née dans le creuset de l’esclavage dont ont été victimes des millions d’Africains.

    Sur ce plan-là, c’est peu dire que l’image de Napoléon en prend un sérieux coup puisqu’en 1802 il rétablira l’esclavage qui avait été aboli en France en 1794. En 1802, une grande partie de l'économie française dépend des plantations de cannes à sucre dans les colonies. À la fin de sa vie, en exil sur l'île de Saint Hélène, Napoléon reconnaîtra sa grande faute, celle d'avoir voulu soumettre les colonies de cette façon.

    Alors même que le festival entamait sa deuxième journée, avec en tête d’affiche le duo Elliot Murphy et Olivier Durand, c’est dans un autre port, à La Rochelle, que le Premier ministre Gabriel Attal commémorait le 25ème anniversaire de la loi sur la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Le rapprochement s’imposait. Comme s’impose maintenant la nécessité de conclure.

     

    Et maintenant…l’Hymne à la joie

     

    Sous un ciel bleu azur, il a fait bon se laisser porter par l’atmosphère vivifiante qui a régné, une semaine durant, au-dessus de la ria du Trieux, sans toutefois sombrer dans une totale insouciance. Et c’est avec et autour de Napoléon, qui s’est subrepticement glissé dans cette longue digression, que je vais, « à l’insu de son plein gré », tenter de donner de la cohérence à cette chronique pouvant apparaître comme un fourre-tout.

    En premier lieu, rapport à la fête des jardins de La Roche-Jagu, pour rappeler qu’une fois devenu Empereur, Napoléon 1er fit de la violette un symbole, pour remplacer le lys de la royauté.

    Pour ce qui est tziganes, tout sera fait, sous son mandat, pour tenter de leur imposer une sédentarisation.

    Avec Bernard Pivot, cela relève d’abord d’une question de dates. L’animateur d’Apostrophes puis de Bouillon de culture est né à Lyon un 5 mai, Napoléon est décédé le 5 mai 1821 à Sainte-Hélène. Cela suffit à créer un lien.

    Combien d’ouvrages se rapportant à ce passé napoléonien Bernard Pivot a-t-il présentés durant sa carrière ? Est-ce que l’Empereur déchu a été au cœur de la conservation lors du dîner que Lionel Jospin, alors premier ministre, lui avait offert de partager en 2001 au lendemain de l’annonce de son retrait des plateaux télévisés ? Ce n’est qu’en 2014 que Jospin désacralisera Napoléon dans Le Mal Napoléonien. On peut penser que Pivot aura pour le moins partagé les réserves que portait sur Napoléon, en tant qu’empereur, Jean d’Ormesson, son invité « jocker ».

    Aucun lien possible entre Diên Biên Phu et Waterloo, littéralement « clairière inondée », si ce n’est pour dire que la chute de l’Empire et la déconvenue de la retraite de Russie n’ont pas découragé ses successeurs à lui emboîter le pas, jusqu’en Asie.

    On peut quand même accorder à Napoléon un satisfecit : le Code civil. Ce n’est pas le juge Renaud van Ruymbeke qui en contesterait le bien fondé. Dans le sillage de Bernard Pivot, ce magistrat a tiré sa révérence, ce 10 mai, à 71 ans, des suites d’un cancer. Nous devons conserver de lui cette fierté qu’il a défendue avec pugnacité: celle d’être citoyen d’un État où la Justice, malgré ses faiblesses structurelles, est toujours indépendante du Pouvoir.

    Mais, ayant beaucoup parlé de musique – Renaud van Ruymbeke excellait dans le répertoire pianistique – je ne pouvais faire autrement que de mettre une note finale en évoquant le 200ème anniversaire, ce 7 mai, de la première exécution en public de la 9ème Symphonie de Ludwig van Beethoven ; à Vienne, le 7 mai 1824 ; un symphonie chorale qui se conclut par l’Ode à la joie tirée d’un poème de Friedrich von Schiller.

    La joie ?

    Vingt ans plus tôt, Beethoven avait composé une symphonie qu’il entendait dédicacer à la gloire de Bonaparte, voyant en lui le bras armé d’une Europe fraternelle, mais de Napoléon il ne sera plus question quand celui-ci se fera sacrer empereur en 1804 ; la 3ème symphonie deviendra L’Héroïque. Quant à la 9ème, elle a donné naissance à l’Hymne européen, un hymne "à la joie", sans paroles, arrangé par le chef d’orchestre autrichien Herbert von Karayan.

    Tout au long de cette semaine, oreille tendue sur une ria confrontée de nouveau à de forts coefficients de marée, je me suis laissé porter par la vague de l’espoir, celle d’une prise de conscience par mes compatriotes que tout ne va pas aussi mal qu'on le laisse trop souvent entendre, en comparaison de ce qu’était la France en 1944 et de ce qui se passe aujourd’hui sous d’autres cieux ; que nous avons la chance de vivre dans un pays où on peut se permettre de lézarder, quitte à prendre le risque d’avancer au rythme de la tortue dans cet habitacle à quatre roues qui a défaut de ne pas avoir la poésie d’une roulote tzigane, peut nous propulser vers des ailleurs ; que nous avons cette possibilité d’oublier, durant quelques jours, le beefsteak frites sans avoir à montrer patte blanche, en s’en venant déguster un mittei en Roumanie, un shcnitzel en Suède, un bigos en Pologne ou des slouvakis en Grèce.

    Pour m’en tenir à cette idée que la compréhension de ce monde repose, comme le gâteau Perper, sur l’art de goûter à la différence, il est à souhaiter que les jeunes Paimpolais qui viennent de revenir du Vietnam conserveront le souvenir du pho, à base de nouilles de riz, spécialité de ce pays.

    Cultivons l’espoir de pouvoir bientôt de découvrir la succulence d’un bortsch urkrainien et ses beignets pampouchky ou un mackoubla dans une Palestine ayant recouvrée de la sérénité !

    En un mot : apprenons à nous mettre autour de la table…celle du partage, du dialogue, de la convivialité ; celle qui sera source de joie…de cette fraternité à laquelle nous appelait Beethoven, voici quatre cents ans !

                                                                                                                                                   Claude Tarin

                                                                                                                                      Lundi 13 mai 2024

     

     


  • Commentaires

    1
    joelle Rio
    Lundi 20 Mai à 21:09

    Merci, Claude pour tous ces articles sur l'actualité ! J'ai bien aimé la voix des tziganes, Pivot, Dien Bien Phu, et la famille Perper, tous en réalité !  Et merci pour la recette du gâteau Napoléon, je vais l'essayer ! J'adore tes articles ! 

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