• Tournicoti, tournicoton

     

    À quoi ça tient une chronique ? Souvent, à l’énoncé d’un mot, d’une petite phrase, voire d’une mélodie qui se fait obsédante, comme cela a été le cas ce matin. Encore enfoui sous le drap, c’est la môme Piaf qui m’a sorti des bras de Morphée. « Tu me fais tourner la tête, mon manège à moi c’est toi ». Devant le bol de café, je n’avais plus que le mot manège en tête et très vite, comme par effet rebond, m’est revenu le souvenir du Manège enchanté, de Zébulon, Pollux, Margote, Azalée, Ambroise, Flappy et du bonhomme Jouvence.

    Mais à quand cela remontait-il ? En cet instant précis, bol toujours fumant, au plaisir partagé avec nos enfants devant l’écran de télévision. Mémoire quelque peu défaillante assurément car, après vérification, je n’étais pas encore en ménage – ménage-manège, anagramme spontané – quand tous ces personnages ont surgi dans mon univers, puisque c’est à l’orée de mes vingt ans qu’ils se sont imposés dans les programmes de la première chaîne de l’ORTF ; toute première édition : le 5 octobre 1964.

    Cela dit, je ne leur ai guère prêté une attention soutenue à cette époque, ayant bien d’autres chats à fouetter, et c’est bien aux côtés de mes enfants que j’ai pris du plaisir, quelques années plus tard, à m’offrir cinq minutes d’immersion quotidienne dans le paysage enchanteur du Bois Joli, comme envoûté par la formule magique «Tournicoti, tournicoton ».

    Faut-il le préciser ? C’est à cette même époque que l’on prenait plaisir à voir nos enfants se disputer la queue du singe, assis sur un cheval de bois ou dans une voiture, sur les manèges forains.

    La roue a tourné, trop vite assurément puisque nos petits-enfants, après être eux aussi entrés dans la ronde, sont tous en passe d’assumer leur vie d’adultes et si la fête foraine les attire encore, il y a fort à parier qu’ils y viennent pour éprouver d’autres sensations que celles que leur a procurées le petit manège.

    J’aimerais ne pas avoir à associer manège à élection, mais l’expression manège électoral n’a pas attendu ce jour pour s’imposer dans le langage courant.

    Référence faite une fois encore au Grand Robert de la langue française, par manège il faut entendre « comportement habile et artificieux pour arriver à ces fins » ; avec en illustration cet extrait d’une phrase prononcée par D’Alembert, lors de son discours de réception à l’Académie, le 19 décembre 1754 : « Il ignora la souplesse du manège, la bassesse de l’intrigue et tous ces moyens méprisables qui mènent aux dignités par l’avilissement ».

    Dans ce temps de campagne électorale, où se noue l’avenir de l’Europe, je vous laisse réfléchir à cette pensée éclairante. Les précédentes chroniques ont pour mérite de vous éclairer sur mon point de vue. Ce jour, je n’ai guère envie de ressasser. Je me contente simplement d’ajouter cette autre citation : « Il y a quelques rencontres dans la vie où la vérité et la simplicité sont les meilleurs manèges du monde » dixit Jean La Bruyère (Les Caractères, 1696).

    J’y ajoute cette précision, recueillie ce matin même :

    Depuis sa création sur l’ORTF en 1964, dès 1965 sur la BBC, Le Manège enchanté a été diffusé par une centaine de chaînes à travers le monde, des États-Unis à l’Iran en passant par le Japon, et en une trentaine de langues.

    Hélas, cela n’a pas suffi pour que, soixante après, le monde devienne enchanté.

    Tournicoti, tournicoton.

     

                                                                                                                                          Claude Tarin

                                                                                                                                  Jeudi 23 mai 2024


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