• Pour prendre de la hauteur

     

     

    Pour prendre de la hauteur

     Vendredi matin, lever de soleil sur l'estuaire (Philippe Mota)

     

    Que Philippe se rassure ! On ne se lasse pas de pouvoir partager ses prises de vue. On en viendrait presque à lui envier ce qui s’apparente à un privilège : pouvoir assister au lever du roi Soleil en dégustant tranquillement son petit déjeuner. Mais, vendredi matin, à 7h11, Philippe n’avait qu’une chose en tête : se saisir de l’instant pour se mettre au diapason avec l’événement du jour, l’envoi dans l’espace de la capsule Crew Dragon de la société américaine Space X. Le Français Thomas Pesquet et trois autres astronautes, deux Américains et un Japonais, s’apprêtaient à y prendre place.

    Pour un peu, cette photo pourrait faire illusion. Quelques secondes après avoir quitté son pas de tir, la fusée américaine embrasait le ciel de la Floride. Trainant derrière elle une boule de feu, à l'image de ce soleil jaillissant de derrière Bréhat.

     

    Pour prendre de la hauteur

     

    Quand Filipe appuya sur le déclencheur, à Cap Canaveral, sur le site du lancement, il faisait encore nuit, mais l’agitation battait son plein. Lancement prévu à 11h49. Décollage réussi à l’heure pile. Après une dizaine de minutes de suspens, soupirs de soulagement. Les éléments de la fusée Falcon s’en revenaient sur terre et la capsule partait à la rencontre de la station spatiale internationale ISS.

     

    Pour prendre de la hauteur

     11h10, samedi matin, la capsule Crew Dalcon s'amarre à l'ISS

     

    Il lui aura fallu vingt-trois heures pour venir s’amarrer, en douceur, ce samedi, à 11h10. La station spatiale se trouvait alors au-dessus de l’océan Indien, au sud-ouest de l’Australie. À quelque quatre cents kilomètres d’altitude. Deux tours de Terre plus tard, à 14 h43, cette fois au-dessus de l’Atlantique nord, Thomas Pesquet prenait à nouveau pied dans cette station où il a déjà séjourné de novembre 2016 à juin 2017.

    Il devait être aux alentours de 7h ce samedi matin quand l’ISS est passée au-dessus de nos têtes, certaines encore enfouies dans le creux d’un oreiller. Que les lève-tard se rassurent. Ils n’ont rien perdu. Dans un ciel bleu lumineux, toujours balayé par un incessant vent d’Est, il nous était impossible de voir la station spatiale à l’œil nu. Mais elle était là et bien là, et cela n’aura duré qu’une poignée de secondes. L’ISS, qui file à 28000 km/h, fait le tour de la Terre en 90 minutes.

     

    Pour prendre de la hauteur

    Peu avant 7 h du matin, l'ISS passait au-dessus de la Bretagne 

     

    Depuis le temps que je mets ces chroniques sur orbite vous ne découvrez pas, ce jour, la passion qui est la mienne pour tout ce qui se rapporte à l’espace. Si le cœur vous en dit, faites comme Philippe, transmettez nous ces photos qui soulignent la beauté du ciel ! Mettre le nez dans les étoiles nous permet de prendre de la hauteur, de nous propulser hors des pesanteurs de la croûte terrestre. 

    Cette passion prend sa source à des années lumière, à ce jour où l’ami Pierrot m’a prêté sa plume. Celle de Jules Verne n’a fait que l’amplifier. Et que dire de celle d’Hergé ? Cela fera bientôt soixante dix ans qu’ont été publiés Objectif Lune et On a marché sur la Lune. Quinze ans avant les premiers pas de l’homme sur notre satellite. Des livres de chevet souvent revisités !

    Vendredi matin, les yeux rivés sur l’écran, moult aller retour entre l’intensité du moment présent et le souvenir de cette longue nuit du 21 juillet 1969 passée à voir, en boucle, la descente de l’échelle qui a fait entrer Neil Armstrong dans la grande histoire de l’humanité. Des images encore plus impressionnantes que celles qui nous avaient été données de voir à la suite du vol de Youri Gagarine, quant à lui le premier homme à avoir volé dans l’espace. Cela fait tout juste soixante ans.

    Dans la vie, il y a des moments inoubliables, à un point tel que l’on peut raconter, minute par minute, ce à quoi on a assisté voilà bien longtemps. Paris avait son manteau de nuit quand  l’astronaute  américain posa son pied sur la Lune. Dans un lit, rue de Maubeuge*, dans le 9ème, le rêve était devenu réalité. Une insomnie voulue et assumée. Ne pas perdre une miette de ce qui, voici peu encore, n’était qu’une élucubration livresque.

    Dans le débat qui nous agite sur l’intérêt qu’il y a pour nous autres humains à vouloir conquérir l’espace, je me range bien évidemment dans le camp de ceux qui soutiennent cette démarche. Non sans prendre de la distance avec certains esprits qui pensent déjà à faire de la Lune et Mars des cibles touristiques, si ce n’est permettre aux Terriens de quitter une Terre se faisant inhabitable. Même si l’ergonomie des vaisseaux spatiaux a fait d’énormes progrès, il est fort à parier que ce n’est pas demain la veille que Monsieur Tout-le-monde pourra s’affranchir de l’attraction terrestre et accepter les conditions de vie à bord  de ces vaisseaux, sans parler de celles qui seraient les leurs sur ces planètes où l’on ne pourrait pas espérer entendre chanter les oiseaux.

     

    Pour prendre de la hauteur

    Pour prendre de la hauteur

     13h43, samedi. Il aura fallu près de trois heures avant que Thomas Pesquet et ses coéquipiers de Crew Dragon rejoignent les sept autres membres de la station spatiale internationale.

     

    Le fait d’avoir pu assister aux accolades en direct entre les sept membres de la station et les quatre de la capsule Crew Dragon n’a assurément plus ce caractère surprenant des débuts de la conquête spatiale. Depuis vingt ans qu’elle tourne sur son orbite, on ne compte plus le nombre de fois où s’est effectuée une relève d’équipage. Il est évident que, cette fois, tout a été soigneusement pensé pour que celle-ci soit placée sous les feux des projecteurs. La Nasa, car c’est bien les Américains qui sont aux commandes, tenait à faire savoir qu’elle continue à défendre son leadership. Mais comment bouder son plaisir de voir des gens sincèrement heureux de partager une belle aventure. Si vous étiez comme moi devant votre écran, vous avez dû penser qu’ils en avaient bien de la chance de pouvoir se faire la bise, sans masque. Point de Covid dans l’ISS. On ne se met pas sur orbite sans montrer patte blanche.

    Une scène réconfortante dans un espace on ne peut plus confiné, mais une scène qui, pour autant, ne nous fait pas oublier que l’entente cordiale qui a régné jusqu’à lors au-dessus de nos têtes peut voler en éclats si les ambitions des puissances spatiales qui s’affirment, notamment la Chine, reproduisent les mêmes errements que ceux qui secouent en permanence et toujours aussi cruellement le plancher des vaches.

    Avec Thomas Pesquet, on peut éprouver de la fierté, en tant que Français, d’être dignement représentés. La quarantaine tout juste passée, ce Normand a la tête bien faite. Et bien froide ! Les qualificatifs élogieux dont on le bombarde ne la lui font pas tourner. Mais au-delà de sa nationalité, Thomas Pesquet, qui va commander l’ISS quelque temps avant son retour sur Terre, est présentement la figure de proue de l’Agence spatiale européenne. Pour le propulser là où il va rester confiné six mois durant, toute une myriade de talents et de savoirs. Il sait à qui il doit sa renommée.

     

    Notre cerveau en ligne de mire

     

    Dans le cadre d’une mission baptisée Alpha, son cahier des charges est copieux.  Outre les opérations d’entretien de la station, Thomas Pesquet va également, dans ce laboratoire spatial, s’atteler à l’étude du vieillissement des cellules souches du cerveau. Avec une idée en tête : en savoir plus sur ce qui attend les « passagers » des futures missions vers la Lune et vers Mars.

    Simple télescopage de dates. C’est ce samedi qu’une  quinzaine de personnes ont retrouvé la lumière du jour après avoir séjourné quarante jours durant dans une grotte dans les Pyrénées. Un confinement volontaire d’une toute autre nature. Mais avec un objectif similaire : mieux comprendre les mécanismes du cerveau, notamment dans son rapport au temps.

    Le cerveau ? Je partage cette conviction exprimée par le sociologue Gérald Bronner dans son récent Apocalypse cognitive (Éditions Presse Universitaire de France): « Le chemin est encore long, écrit ce sociologue, pour atteindre le moment où la recherche pourra nous éclairer parfaitement sur les relations complexes qui existent entre le fonctionnement de notre cerveau et son environnement social. » Un plaidoyer parmi bien d’autres sur la nécessaire vigilance qu’il nous faut avoir pour permettre à notre logiciel personnel de ne pas se laisser infester par les virus malfaisants, dont les nouvelles technologies n’ont pas su endiguer le flot. Je ne puis que vous inciter à savourer la fable de Claudie Missenard quand vous en aurez fini avec cette chronique.

    Gérard Bronner tire en quelque sorte un signal d’alarme. « On s’éloigne beaucoup de l’utopie d’un espace d’échanges rationnels qu’ont imaginée les concepteurs d’Internet et les innombrables auteurs enthousiastes qui ont espéré que cette technologie allait populariser la démocratie. » Chaque jour qui passe la lecture de la presse nous révèle les dégâts que cause le lessivage des cerveaux sur les réseaux sociaux. L’assassinat d’une fonctionnaire de police à Rambouillet par un esprit conditionné vient d’en fournir une nouvelle et tragique illustration.

     

    Pour prendre de la hauteur

     Au menu de Thomas Pesquet, l'étude en apesanteur des blobs, d'étranges organismes unicellulaires

     

    Les réseaux sociaux Thomas Pesquet sait de quoi il en retourne. Sa qualité de communicant n’est pas des moindres. Le petit monde (c’est relatif !) du cosmos lui reconnaît cette capacité qu’il a à maintenir et nourrir le lien avec la Terre. De là où il va vivre, il va nous faire la démonstration que l’on peut encore espérer enrayer ce phénomène de dégradation de notre pensée collective, dégradation pouvant nous mener jusqu’au pire.

    L’astronaute a emmené avec lui des blobs, des organismes qui ne sont ni des animaux, ni des plantes, ni des champignons. Sans bouche, sans cerveau, le blob mange, se déplace. Il peut mémoriser son parcours. Si l’environnement ne lui est pas favorable, il bascule dans un état d’hibernation qui peut, selon les études antérieures, durer plusieurs décennies.

    Ce qu’il nous importe de savoir à ce jour, c’est que tout ceci va se faire en association avec des établissements scolaires. Quelque deux milles collèges et lycées ont été invités, par le CNES, à s’associer à ce projet.

    Pour le cerveau humain, bien des choses se jouent, nous le savons, au cours de l’enfance puis de l’adolescence. Je vous rassure tout de même. Le cerveau conserve cette capacité jusqu'au bout.

    Donc, vive les blobs ! Merci Thomas ! Tu nous permets, par ces temps difficiles, où l’impatience génère le doute, la suspicion voire le rejet de l’autre, de prendre une certaine hauteur de vue. Ce n’est pas toujours facile.

    Là où tu es, toi et tes compagnons le savez : l’ambition du savoir ne peut s’accompagner que d’une constante et bonne dose d’humilité.

     

                                                                                                                                            Claude Tarin

                                                                                                                              Dimanche 25 avril 2021

     

    * Rue de Maubeuge ? Pourquoi cette précision qui relève de l’intime ? Réponse : c’est mon cerveau qui m’a incité à le faire puisqu’en évoquant cette rue parisienne portant le nom de cette commune du Nord m’est revenu soudainement en tête une chanson qui m’a tant fait rire, surtout quand elle était interprétée par un représentant tout aussi bienfaisant de l’humanité. Elle avait à ce moment là un certain rapport avec ce que j’avais sous les yeux ce 21 juillet 1969. J’évoque ici le souvenir de Bourvil, André Robert Raimbourg de son vrai nom, décédé en 1970. Le Rouennais Thomas Pesquet est trop jeune. Il n’a pas connu de son vivant ce Normand au grand cœur. Mais si, après ses séjours dans l’ISS, il se trouve appelé à continuer le service autour ou sur la Lune, je ne puis que l’inciter à redonner de la voix pour entonner à son tour la célèbre « Tout ça ne vaut pas un claire de Lune à Maubeuge ». Un zest de dérision ne peut pas faire de mal, sauf à vouloir blesser.

     

     

     

    L’homme qui voulait se faire aussi bête qu’un héron

     

     

    Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où,

    Un humain aux yeux tristes et à l’œil un peu fou.

    Il côtoyait un grand danger.

    L’air était transparent ainsi qu'aux plus beaux jours.

    Mais un mal assassin sévissait sans retour.

    Se chargeant de tout déranger.

    La Science, par bonheur, releva le défi.

    Un vaccin mis au point, l’homme n'avait qu'à prendre.

    Mais il crut bon d'attendre.

    Croyant malin qui se méfie.

    Il vivait confiné et restait dans la peur.

    Après quelques moments l'appétit vint.

    Martin Faisant fi de l’intox regarda le vaccin.

    Des centres étaient ouverts, attendant le péquin.

    Les seringues à l’affût guettant le promeneur.

    Le mets ne lui plut pas ; il s'attendait à mieux

    Et montrait un goût dédaigneux.

    Moi du Pfizer ? dit-il. Que je fasse les frais

    De ce vaccin si froid qui se dit messager ?

    Tester la nouveauté en apprenti sorcier ?

    Seul un idiot s’y risquerait !

    Il s’abstint donc à tort.

    Mais le mal approchant

    Martin se ravisant

    S'effraya de la mort. 

    On lui propose alors de l’Astra Zeneca

    C’était de Charybde en Scylla !

    Il y a trois cas de thromboses

    Et pour juste un million de doses.

    Je ne veux courir à ma fin !

    Tant es si bien qu’au fin du fin

    Il n’y eut plus aucun vaccin.

    Le mal le prit, il  étouffa

    Et de la Covid défuncta.

     

    Ne soyons pas si difficiles !

    Les plus accommodants, ce sont les plus habiles.

    On hasarde de perdre en voulant trop gagner.

    Gardez-vous de rien dédaigner !

    Surtout quand vous avez à peu près votre compte.

    Gardez-vous des faiseurs de contes !

    Qui vous prenant pour un héron

    Vous détournent de la raison.

     

                                                            Claudie, avec l’aimable participation de Jean de La Fontaine


  • Commentaires

    1
    Claudine
    Dimanche 25 Avril 2021 à 16:22
    Bravo Claudie d’actualiser La Fontaine. . Ton Martin et son héron ont évidemment bien des points communs.
    Et merci à Claude pour ce billet qui nous élève un peu au dessus des contingences terrestres actuelles.
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