• Les loups, les loups, les loups...

     

       Les tenants de la cause animale doivent maudire Charles Perrault. C’est par lui et son Petit Chaperon Rouge, donc à cause de lui, que la peur du loup s’est introduite dans nos cervelles. Avant qu’il n’écrive son conte, ce n’était qu’une histoire à multiples facettes que l’on se racontait de bouche à oreille ; mais couchée sur le papier, qui plus est accompagnée d’illustrations « plus vraies que nature » dans l’imaginaire d’un enfant, le conte est devenu vérité quasi biblique : le loup, le diable en personne, un animal maléfique, un danger pour nous autres qui avons déjà fort à faire, par ailleurs, avec cette émotion de la peur, consubstantielle à notre nature de bipèdes pensants.

        « Un danger pour nos moutons » sont unanimes à dire les bergers, peu enclins à approuver le bien-fondé de la réintroduction du loup dans le paysage, au motif de la défense de la biodiversité.  De fait, cela étant valable pour d’autres types d’élevage comme pour la diversité des cultures, tout est dans une gestion maîtrisée de part et d’autre, pour que chacun y trouve son compte, les défenseurs de la nature, de la cause animale, tout comme les éleveurs ; pour que je puisse (naturellement?) continuer à conjuguer satisfaction gustative et plaisir de la convivialité ; en partageant méchouis ou gigots d’agneaux avec tous ces amis qui, comme moi, n’entendent pas tirer un trait sur notre condition d’homo-sapiens carnivores. Je mourrai carnivore et puis viendra ce jour où, les lèvres serrées et ne claquant plus des dents, je ne pourrai plus que sucer les pissenlits par la racine.

       Écrire cela ne revient pas à nier les vertus d’une alimentation « végane » bien dosée. Là encore, pour ce qui est de l’assiette, donc de notre santé, tout est affaire de dosage, foi d’omnivore. Mais foi de citoyen, ayant, comme la quasi-totalité de la population terrestre, de la sève de paysan dans les veines, je ne peux masquer ma déception, si ce n’est ma lassitude ; là où tout devrait reposer sur le dialogue, ce n’est que vociférations, violentes rancœurs ; dégradantes images d’une profession qui touche à l’essentiel.

       La colère du monde agricole est, sur bien des plans, justifiée ; trop d’agriculteurs et d’agricultrices enragent d’avoir à craindre la fin du mois - ils ne sont pas les seuls, loin s’en faut - tout en continuant à affronter les aléas climatiques et les humeurs cyclothymiques des mercuriales ; ces aléas cumulés les poussent à sortir les crocs ; mais nombreux sont celles et ceux qui forcent le trait en cultivant le complexe du « pauvre paysan ». Le bocage et la plaine ne font que refléter ce qui se passe sur d’autres branches de la vie économique. Il y a des tracteurs qui roulent sur l’or et qui savent, avec maestria, creuser leurs sillons dans le monde de la finance, un monde que nous savons lui aussi soumis à la présence de loups prédateurs.

       À quelques spécificités prés, c’est le même constat que l’on peut faire en regardant les vagues de la colère qui agitent la mer. Longtemps les gens de mer se sont sentis incompris des terriens. La mer, un monde à part, inondé de légendes. Pour les pêcheurs, là aussi la donne a changé. « Sur le sol terrestre, aujourd'hui, on produit, méthodiquement. Dans le milieu océanique on exploite, aveuglément » alertait Annita Conti, dès 1953, dans Racleurs d’océan. Celle qui a été la première femme océanographe française, la première à mettre sac à bord des bateaux de pêche, aura fini par se faire entendre chez ces loups de mer au caractère bien trempé du chasseur. Bien après les agriculteurs, les pêcheurs se sont pliés aux règles de l’offre et de la demande et puis, bon gré mal gré, ont fini par comprendre l’intérêt d’une Europe bleue ; une difficile mise en place, émaillée, un temps, par des affrontements musclés dans les zones de pêche partagées ; « tous comptes faits », un chaperon protecteur. Un Frexit pour répondre au Brexit serait un changement de cap désastreux ; point n’est besoin d’avoir fait Science-Po pour  mesurer l’ampleur des conséquences d’un tel revirement ; le bon sens marin doit suffire.

       Même la roublardise des Trois petits cochons n’a pas réussi, durant l’adolescence, à chasser la peur du loup. En ai-je définitivement fini avec cette peur ? Rien n’est moins sûr ; mais je sais pertinemment que ce quadrupède aux crocs acérés est de beaucoup moins dangereux que certains bipèdes capables, eux aussi, de chasser en meute, pour pousser le bon peuple à se jeter, à la queue-leu-leu, dans la gueule du loup ; la leur ; prioritairement dans celle du chef de la meute.

       C’est cette peur, et non pas celle du loup, qui me torture les méninges ; elle m’empêche d’écrire des propos plus rassurants ; pourtant ce n’est pas l’envie qui m’en manque ; mais dans cette atmosphère « trumpoutinesque » qui asphyxie de plus en plus la planète, je ne puis faire autrement que de crier « Au loup ! ». Notre beau pays de France, pays aux « 1200 variétés de fromages » - je n’ai pas vérifié – se fourvoierait en se repliant sur lui-même, pensant échapper au pire. Sur le marché mondial du blé, qui tient le devant de la scène : la Russie. À méditer !

       L’avenir de notre agriculture étant devenue une préoccupation portée à effervescence à l’occasion du 60ème Salon de la porte de Versailles à Paris, comment croire, que sur la base de problèmes bien réels, l’ensemble du monde agricole puisse désormais imaginer son avenir hors du cadre européen. Ce n’est en tout cas pas en hurlant avec les loups, qui n’attendent qu’un dépeçage de cette Union, que l’on fera avancer le schimblick sur la voie du nécessaire apaisement et de l’indispensable reconsolidation.

       Pour « nourrir » ce thème de la peur, associée à l’image du loup, je ne pouvais bien évidemment pas faire l’impasse sur cette formidable chanson de Serge Reggiani : Les Loups sont entrés dans Paris; encore et toujours ce recours à des réminiscences musicales pour poser des jalons dans la nécessaire réflexion.

       Je m’étonne que les tenants de l’extrême-droite ne se soient pas encore emparés de cette chanson, pour en faire un copier-coller, quitte à lui faire perdre son sens initial.

       Je n’oublie pas, quant à moi, que Serge Reggiani avait prêté sa voix, fin des années 60, à un texte évoquant la crainte d’une montée du fascisme, texte d’Albert Divalie, écrivain, journaliste, ayant derrière lui, durant la guerre, cinq années de captivité en Silésie.

       La sensibilité homme de cœur de Serge Reggiani ne souffre pas la moindre contestation. Chanteur et acteur, cet italien d’origine a été et demeure un grand nom de la culture française. J’ai en tête ce film, Marie Octobre, où il campe le rôle du traître à la Résistance durant l’Occupation allemande, que l’on va démasquer bien plus tard, alors que la troupe des conscrits est engagée pour mater la Rébellion des Algériens. Un acteur peut endosser des rôles contraires à sa conscience, pour la nécessité d’un film. Quand Reggiani chantait l’espoir de recouvrer l’amour et la fraternité, il le faisait avec ses tripes, mû par une profonde conviction.

     

    Attirés par l'odeur du sang

    Il en vint des mille et des cents

    Faire carouss', liesse et bombance

    Dans ce foutu pays de France

    Jusqu'à c'que les hommes aient retrouvé

    L'amour et la fraternité, alors

     

    Les loups ouh-ouh, ouh-ouuh

    Les loups sont sortis de Paris

    Soit par Issy, soit par Ivry

    Les loups sont sortis de Paris

    Tu peux sourire, charmante Elvire

    Les loups sont sortis de Paris

     

    J'aime ton rire, charmante Elvire

    Les loups sont sortis de Paris

     

    Les loups, les loups, les loups…

     

       C’est sur ce dernier couplet, que Reggiani fait renaître l’espoir à pleins poumons.

      Il est à espérer que son Elvire puisse avoir retrouvé son sourire, et nous le nôtre, quand le 22 juillet prochain il conviendra de lui rendre hommage ; ce sera le jour du vingtième anniversaire de sa disparition, à l’âge de 82 ans.

       Serge Reggiani a été et demeure un talentueux artiste, ayant porté haut les valeurs des Lumières, c’est-à-dire, s’étant bien gardé de hurler avec les loups.

       Les Lumières ? J’ai tendance à penser qu’elles n’assurent plus le rôle de veilleuses dans ce pays qui s’autoglorifie, à juste titre mais non sans arrogance, en être la source initiale.

       Devant conclure cette digression placée sous la thématique du loup, j’ai cherché à savoir si Voltaire, cet apôtre de la tolérance, avait quelque chose à nous dire sur ce canidé de sinistre réputation. La puissance numérique nous permettant d’aller à la pêche d’œuvres ne trouvant plus leur place sur les étagères de nos bibliothèques : « Bonne pêche ! ».

    Je soumets (ci-après) à votre appréciation Le loup moraliste de Voltaire

     

                                                                                                                           Claude Tarin

                                                                                                                Jeudi 29 février 2024

     

     

     

    Le loup moraliste

     

     

    Un loup, à ce que dit l’histoire,

    Voulut donner un jour des leçons à son fils,

    Et lui graver dans la mémoire,

    Pour être honnête loup, de beaux et bons avis.

    « Mon fils, lui disait-il, dans ce désert sauvage,

    A l’ombre des forêts vous passez vos jours ;

    Vous pourrez cependant avec de petits ours

    Goûter les doux plaisirs qu’on permet à votre âge.

    Contentez-vous du peu que j’amasse pour vous,

    Point de larcin : menez une innocente vie ;

    Point de mauvaise compagnie ;

    Choisissez pour amis les plus honnêtes loups ;

    Ne vous démentez point, soyez toujours le même ;

    Ne satisfaites point vos appétits gloutons :

    Mon fils, jeûnez plutôt l’avent et le carême,

    Que de sucer le sang des malheureux moutons ;

    Car enfin, quelle barbarie,

    Quels crimes ont commis ces innocents agneaux ?

    Au reste, vous savez qu’il y va de la vie :

    D’énormes chiens défendent les troupeaux.

    Hélas ! Je m’en souviens, un jour votre grand-père

    Pour apaiser sa faim entra dans un hameau.

    Dès qu’on s’en aperçut : O bête carnassière !

    Au loup ! s’écria-t-on ; l’un s’arme d’un hoyau,

    L’autre prend une fourche ; et mon père eût beau faire,

    Hélas ! Il y laissa sa peau :

    De sa témérité ce fut le salaire.

    Sois sage à ses dépens, ne suis que la vertu,

    Et ne sois point battant, de peur d’être battu.

    Si tu m’aimes, déteste un crime que j’abhorre. »

    Le petit vit alors dans la gueule du loup

    De la laine, et du sang qui dégouttait encore :

    Il se mit à rire à ce coup.

    « Comment, petit fripon, dit le loup en colère,

    Comment, vous riez des avis

    Que vous donne ici votre père ?

    Tu seras un vaurien, va, je te le prédis :

    Quoi ! Se moquer déjà d’un conseil salutaire ! »

    L’autre répondit en riant :

    « Votre exemple est un bon garant ;

    Mon père, je ferai ce que je vous vois faire. »

     

    Tel un prédicateur sortant d’un bon repas

    Monte dévotement en chaire,

    Et vient, bien fourré, gros et gras,

    Prêcher contre la bonne chère.

     

    Voltaire, (Portefeuille volé)

     

     

    .


  • Commentaires

    1
    Jeudi 29 Février à 16:32

    les fables

    il ne fallait pas les les "louper..."

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