• Les goélands et les arénicoles

    Sans conteste, il y avait là matière à singer Jean de La Fontaine, mais n’est pas Jean de La Fontaine qui veut. Je me suis donc bien gardé de donner à ce « coucou quotidien » - car il ne s’agit que de ça avant toute autre considération -  la structure d’une fable. Mais en associant les goélands et les arénicoles, j’ai pensé qu’il y avait, comme pour Le chameau et les bâtons flottants de notre indétrônable fabuliste, deux pensées en une à mettre sur la table.

     Le goéland et l’arénicole ont un point commun : les sables vaseux de l’estran. Est-ce que le volatile  apprécie tout particulièrement ce gros vers annelé que l’on appelle buzuc en Bretagne ? C’est fort possible, car le goéland ne me semble pas très regardant sur la bouffe. Il est du genre à dire : « faute de grives on mange des merles ». Le goéland est omnivore. Il se nourrit d’animaux et parfois de charognes.

    Le mot est prononcé. Charognes ! De cela je vais m’expliquer.

    J’imagine, soleil aidant, que le nécessaire et obligatoire confinement ne vous pousse pas à un comportement extrême, c’est-à-dire à ne pas mettre le nez dehors pour pouvoir profiter de ses caresses. Par les temps qui courent, s’octroyer un moment de pause à l’air libre, le nez collé à l’azur, s’avère être un meilleur remède que celui qui consiste à chercher, tout au long de la journée, dans le bocal télévisuel un motif d’échapper à l’ambiance délétère des temps présents.

    C’est à cet exercice, d’ordre spirituel, que je me suis livré hier après midi alors qu’ Eliane, mon épouse, s’en était allée semer des fèves dans le potager, montrant ainsi qu’elle croyait dur comme fer que le cauchemar que nous vivons aura une fin.

    Evidemment, tout au long de cette séquence, mes pensées ont sans cesse virevolté. Le plaisir de pouvoir contempler la cime des arbres et la marche du soleil ne pouvait me faire oublier que de par ce vaste monde des milliards de gens n’avaient pas autant de chance. Pour certains, même pas un balcon.

    Mais revenons à ces goélands qui ont été les déclencheurs de cette divagation en ce jeudi 26 mars !

    Assis sur la terrasse, suffisamment couvert pour ne pas sentir les morsures d’un vent de nord-est bien établi, je me suis mis à les écouter jacasser au-dessus du jardin. Simple impression ? J’ai éprouvé la nette sensation que ce jour là, et il semble qu’il va en être de même ce vendredi, ils étaient redevenus les maîtres du ciel.

    Très peu de zébrures blanches sur la nappe bleue. Rares étaient les avions dont on perçoit le ronflement des turbines. On connaît les raisons qui contraignent ces grands oiseaux à rester au sol, toutes ailes déployées. Le tictictictic strident du merle noir et le tsip mélodieux de la grive siffleuse avaient, quant à eux, bien du mal à faire un contre-chant, tant les goélands tenaient à clamer haut et fort leur suprématie.

    Il n’était pas difficile d’imaginer que non loin de là un agriculteur travaillait sa terre et qu’il y avait une aubaine à saisir pour ces oiseaux mange-tout. Mais à les voir tournoyer au-dessus de la tête, ce n’étaient plus des oiseaux farouches que je regardais planer dans les colonnes d’air. Sous la lumière blanche du soleil, c’était comme si des vautours attendaient que la Coronavirus mette fin à son travail de sape.

    C’est fou ce que l’imagination peut vous amener à exprimer, mais il en est ainsi. Vous êtes là, tranquillement assis, savourant le plaisir d’être, et, soudain, vous voilà transporté vers cet ailleurs qui vous a contraint à vous délaisser de votre enveloppe charnelle. Cela dit, au dixième jour de confinement, pour ce qui nous concerne, rien ne dit que le Covid 19 ait réussi à franchir le seuil de notre forteresse. Evidemment, j’espère qu’il en va de même pour vous.

    La Presqu’île pourra-t-elle échapper au vent mauvais de la contamination ? Croisons les doigts ! Confinons-nous !

     

    El condor pasa

     

    Les goélands et les arénicoles

     

    Mais l’imagination a, pour elle, d’être fluctuante. De vous faire sauter du coq à l’âne. Il aura suffi qu’un de ces vautours s’en vienne côtoyer la grande boule lumineuse pour qu’une douce musique vienne me siffler aux oreilles et me rappeler que l’espoir n’est pas un vain mot.

    Souvenez-vous ! El condor pasa. Pour les fins connaisseurs de la musique andine, cet air folklorique est connu depuis la fin des années 1950. Personnellement, ce n’est qu’après le coup d’état au Chili du général Pinochet, le 11 septembre 1973, que les kenas, charangos et harpes andines des Quilapayun ont généré l’émotion. Ce groupe, exilé en France, aura été, à travers cette chanson, le meilleur des ambassadeurs, tout comme le duo américain,Simon et Garfunkel, pour dénoncer un confinement d’une toute autre nature.

    Le condor était à ce moment l’oiseau de la liberté. Et mon goéland, tel un phénix, s’est lui aussi paré de plumes lumineuses.

    Je ne puis cacher mon irritation d’entendre ou de lire ici et là des propos et des écrits qui osent comparer notre pays à une dictature. Je suis même, ce vendredi matin, très en colère contre ces instituts de sondage qui pensent encore que, dans de tels moments, il nous est primordial de connaître la côte de popularité de nos hommes politiques. Elle aussi fluctue au gré des jours. Point barre !

    Certains d’entre eux, je parle des politiques, en sont déjà à réclamer des commissions d’enquête. Il faudra effectivement tirer les leçons après coup, mais que ceux là même qui ne sont pas présentement au pouvoir se méfient des effets boomerang. L’incurie qu’ils dénoncent remonte à bien longtemps. Je les encourage donc, alors qu’une digue de solidarité se consolide au fil des jours pour contrer un tsunami force mondiale, à se la jouer plus modeste, plus humble, plus lucide.

    Quant à nous, citoyens de base, anticipons sur des lendemains qui chantent. Serons nous prêts à soutenir, par des espèces trébuchantes, tous ses services dont on mesure aujourd’hui l’incontournable nécessité. L’impôt a, lui aussi, des vertus.

    Et les arénicoles ?

    J’y viens.

    C’est la lecture d’une information publiée par l’hebdomadaire Le marin – Croyez moi sur parole, c’est un journal on ne peut plus sérieux ! – qui m’amène à vous en parler.

     

    Les goélands et les arénicoles

     

    Ce journal qui, comme son titre le laisse entendre, traite de l’actualité maritime, est condamné lui aussi à ouvrir ses colonnes aux différentes problématiques que le Covid 19 posent aux professionnels de la mer. Mise en marché du poisson, des huîtres ; livraison du pétrole et de gaz ; etc. La mer est par nature un espace ouvert aux quatre vents de la mondialisation. Et cela ne remonte pas à hier. Sans les navires, nos pays dits avancés ne seraient pas ce qu’ils sont. Le marin est là pour nous le rappeler chaque semaine.

    Dans son édition de ce jeudi 26 mars - assortie d’un supplément réalisé conjointement avec Ouest-France, la maison mère, qui nous parle d’un autre fléau : le plastique dans les océans -  c’est un article traitant du pouvoir inhibant les Coronavirus d’une algue rouge, la Griffithsia sp, qui a attiré particulièrement mon attention. On y apprend que cette algue n’est pas la seule à avoir un tel pouvoir parmi les organismes marins.

    Mais Coronavirus ne dit pas obligatoirement Covidis 19. Or, comme le souligne un additif à cet article, sous forme de brève, il se dit qu’une société basée à Morlaix, la société Hermarina, a une réponse toute faite à la pénurie des machines à respirer dans les blocs opératoires. Le ver marin arénicole, qu’elle chouchoute, est porteur d’une molécule Hermo2life qui transporte l’oxygène.

    Cette brève est trop brève. Elle nous met l’eau à la bouche. Elle aurait mérité d’être plus fournie, mais les pages d’un journal papier forment un espace contraint. Pour répondre à cette question : est-ce que les arénicoles sont une réponse immédiate à la détresse des hôpitaux ?

    J’ai donc cherché à en savoir plus en consultant directement le site de la société Hermarina. Voici ce qui s’y dit : « Dans le cadre de la pandémie du Coronavirus Covid-19, ces molécules peuvent être utilisées de façon à favoriser la diminution de l’état d’inflammation des cellules pulmonaires. Ceci pourrait permettre de favoriser le traitement du syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA) qui entraîne de nombreux décès des patients les plus atteints par le Covid-19. Cette approche nécessitera toutefois de procéder à des essais expérimentaux dans le cadre d'un contexte de crise, cela sous suivi scientifique et médical pointu. »

    A l’heure où le monde médical se déchire sur le bien supposé de la chlorodine, dont le professeur Didier Raoult se fait le chantre, l’arénicole s’invite au débat. Mais là encore, il convient de laisser la parole aux experts. C’est à eux et à eux seuls de trouver les voies du consensus scientifique.

    D’où ce conseil d’ami. Ne vous précipitez pas, à marée basse, fourche à la main, sur les grèves de l’île à Bois ! Il faut donner du temps au temps. Laissez les chercheurs prouver que nos buzucs ont un autre rôle à jouer que celui de leurre au bout de l’hameçon !

    On n’a de cesse de le dire. Rien ne sera plus comme avant. Quand sera revenu le temps de pouvoir gambader sur les grèves, nous saurons peut-être encore mieux apprécier ces étendues de vase. 

    Mais il me faut conclure !

    A défaut de ne pas avoir voulu prendre le risque d’endosser la tenue du fabuliste, je vous propose cette maxime qui peut résumer en peu de mots ce que viens d’exprimer en abusant de votre patience :

    « Notre liberté d’agir et de penser est ce que nous avons de plus cher. Marchons, jour après jour, sur le chemin de la connaissance ! C’est uniquement par cette façon d’être que nous saurons braver, l’esprit libre, les autres défis à venir ».  

                                                                                                                                 Claude Tarin

                                                                                                                          Vendredi 27 mars 2020


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