• Les épidémies passent et ne se ressemblent pas

     

    Comme on le découvre à peine, que l’on en connaît pas encore précisément sa longévité ni sa dangerosité réelle, et que son traitement est tout juste à l’essai, la panique due au Covid19, mal invisible, s’est emparée du monde. Faut-il nous remémorer l’hivers 1969-70 quand le virus H3N2 tua 31.226 personnes en France selon le rapport de mon collègue Antoine Flahault.

    J’étais alors jeune étudiant en médecine à l’hôpital Necker. Cette pandémie meurtrière, surnommée « grippe de Hong Kong », fît un million de morts dans le monde et au moins 12 millions de français en furent atteints.

     Dans le sud-ouest les trains s’arrêtèrent faute de personnels valides, les administrations et les entreprises furent désertées. Les réanimations débordaient de malades, souvent assez jeunes, qui arrivaient suffoquant et cyanosés aux portes des hôpitaux, A Lyon, on entassait les morts au fond des salles de réanimation sursaturées de l’hôpital Edouard Herriot. On vaccinait à même la rue, sur le trottoir. Malheureusement l’antidote ne se révéla efficace qu’à 30%, la souche virale ayant muté. Et pourtant les journaux n’en faisaient pas leur Une, les radios et la télévision nationale évoquaient simplement « la grippe » sans plus alarmer la population.

    Les réseaux sociaux n’avaient pas encore couvert la planète de leurs fausses nouvelles anxiogènes circulant encore plus vite que l’agent infectieux lui-même. Le ministre de la santé de l’époque, Robert Boulin, ne fut pas inquiété par des leaders de groupements politiques revanchards. Le mal ne répandit pas la terreur, mais la mort roda, silencieuse.

    Même si aujourd’hui le pic d’épidémie n’est pas encore atteint, le Coronavirus n’entraînera pas la même hécatombe, mais ses conséquences économiques dues à l’immobilisation générale seront autrement plus lourdes. Les mesures sanitaires prises pour sauver des vies sont logiques, à moins de nous asseoir sur nos valeurs éthiques en reniant le serment d’Hippocrate.

    Les personnels sanitaires, les policiers, les pompiers, les militaires et tous les employés des diverses entreprises engagés dans la lutte contre le mal sont à saluer tous les soirs. Chacun d’entre nous doit les aider dans la mesure de ses capacités. Les administrations publiques font leur travail, prouvant qu’un Etat structuré peut être efficace en cas de crise grave. Les critiques sont faciles ! Qui a lancé une alerte à la pénurie de masques et de tests dès Janvier ? Personne.

    Ainsi, à cinquante ans d’intervalle, ces deux pandémies nous offrent des aspects diamétralement opposés. La plus ancienne, gravissime et passée quasiment inaperçue, sauf pour les familles endeuillées, et celle que nous vivons aujourd’hui, moins sévère mais saturant médiatiquement nos esprits apeurés. Dès lors, il s’avérait impossible pour les responsables politiques d’éviter les mesures de précautions drastiques imposées, le pays combattant un ennemi nanométrique aux risques encore mal évalués.

    Sur le seul plan sanitaire rien ne sera plus comme avant. Nous devrons repenser l’intégralité de notre système de soins et de prévention dans un esprit de collaboration beaucoup plus étroite entre les différents secteurs publics et privés. Nous aurons à réviser les modes et le niveau de financement des établissements de soins et des professionnels de santé.

    Les discussions de marchands de tapis pour savoir s’il faut augmenter de 0,1 ou 0,2 % le budget des hôpitaux ou des cliniques et les rafistolages à la petite semaine entre tutelle et syndicats devront céder la place à une prise en compte affirmée de l’urgence à parier sur l’économie de la santé comme un secteur d’avenir majeur en termes de création d’emplois et de développements technologiques de pointe.

    Il faudra multiplier le nombre des personnels infirmiers notamment ceux à responsabilité accrue et reconnaître enfin les médecins généralistes comme les pivots du système.

    Nous devrons aussi restructurer profondément nos organismes de recherche dans une approche beaucoup plus européenne en les gratifiant mieux. Cette crise dévoile en effet un déficit de collaboration criant entre les pays membres qui jouent à chacun pour soi. Enfin nous devrons reconnaître les industries médicales, tant des matériels que des médicaments comme de vrais partenaires au service des patients.

    A n’en pas douter, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) beaucoup trop étriqué sera l’ultime victime de la pandémie et cette fois tant mieux ! Que cette pandémie nous ramène à l’humilité face à une nature dont nous avions oublié la puissance, enfants gâtés vivant dans ce monde surprotégé du « tout à l’égo ».

     

                                                                                                          Guy Vallancien,

                                                                                                        Jeudi 26 mars 2020

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    De la machine à coudre aux robots

     

    Les épidémies passent et ne se ressemblent pas

     

    Guy Vallancien, chirurgien, spécialiste en cancérologie, universitaire, membre de l’Académie nationale de médecine, membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, est une sommité du monde médica,l de réputation internationale. Pour celles et ceux qui l’ignoreraient encore, Kermouster est pour lui un lieu de ressourcement.

    C’est ici, le 6 décembre 2017, qu’il a mis la dernière main à un de ses récents ouvrages, Homo Artificialis, plaidoyer pour un humanisme numérique (Editions Michalon). Il nous avait fait l’amitié de venir parler de ce sujet, le 7 mai 2018, à La Cambuse. Aujourd’hui confiné, chez lui, à Paris, il reste bien sûr mobilisé pour contrer les malfaisances de ce Covid 19. A commencer, comme son propos le souligne, par celles des fausses nouvelles dont s’abreuvent tant de gens et qui auront, c’est prévisible, des conséquences désastreuses, notamment dans certaines familles dont l’espace vital se résume à peu de mètres carrés et qui sont peu enclines à croire les experts. D'un mal naîtra un mal.

    Comme nombre de ses collègues, Guy Vallancien porte sur la situation que nous traversons un regard lucide. Le savoir scientifique, c’est un peu comme ce soleil de ce jeudi matin, aux aurores. Il lui faut transpercer la brume, celle du scepticisme. Nous devons faire confiance à ces hommes de l’art qui savent que la recherche sur la santé demeurera un combat de tous les jours. Qui peut nier les progrès qui ont été accomplis depuis l’époque de Pasteur ? 

    En appeler à la raison et à l’humilité est le meilleur message qu’il convient de prendre en compte. Cloîtrés dans notre chez nous, il nous faut endiguer la peur en sachant écouter les voix qui ne nous manipulent pas. Guy Vallancien est une de ces voix.

    Quant à nous, sachons contourner les affres de notre impatience. La machine à coudre d’Elisabeth Rougié est là pour nous rappeler que nous pouvons tous nous serrer les coudes à l’heure où il nous est interdit de nous serrer les mains. Elisabeth s’est immédiatement lancée dans la fabrication de masques. Ces masques n’ont peut-être pas toutes les qualités requises pour pouvoir servir dans les blocs opératoires, mais c’est une protection supplémentaire pour celles et ceux qui se mobilisent dans le hameau pour s’en aller faire les courses, chercher des médicaments ou venir en aide d’une toute autre manière aux Kermoustériens les moins à même, malgré leur envie, de contribuer à cet élan de solidarité.

    La machine à coudre ? Si j’en crois ce qui se dit sur la Toile, la première machine à coudre véritablement pratique est attribuée à un tailleur français originaire de la région lyonnaise, Barthélemy Thimonier. C’est en 1830 qu’il a déposé son brevet « d’une mécanique à coudre ». Que de chemin parcouru depuis lors !

    De la mécanique au numérique, le monde a bien changé au fil du temps. Mais les images que nous contemplons chaque jour sur nos écrans soulignent ce fait : même dans les blocs opératoires, nos semblables, ayant la maîtrise du geste, sont et demeureront indispensables pour soigner les malades. Le robot n’est qu’un auxiliaire au service de la vie.

    Après avoir évoqué, dans une précédente chronique, le plaisir qui sera le nôtre, quand le Coronavirus sera vaincu, de pouvoir partager un cochon grillé sur le parking de l’île à Bois, je ne puis m’empêcher de rappeler à Guy Vallancien que l’une des toutes dernières phrases de son bouquin nous faisait, à l’avance, partager cet espoir. « Viendra le jour de nous rassembler pour chanter et danser, tapant dans nos mains en cadence autour d’un grand feu de bois sous les étoiles. » Le lieu est tout indiqué. Reste à fixer la date !

    Oui, ce jour viendra ! Et ce jour là, au cœur de notre village dit gaulois, nous ne serons pas sans trinquer, coupes en main emplies de cervoise, à la santé de René Goscinny et d’Albert Uderzo, aujourd’hui réunis dans nos subconscients. A travers nos travers, ils ont su nous faire comprendre que la potion magique du druide Panoramix était, avant toute autre chose, le meilleur antidote contre la morosité et l’anxiété. Cette potion médicinale, dont on ne connaîtra jamais le secret, n’a pas pu les empêcher de déposer les armes, mais leur humour sera éternel. Sachons en faire bon usage !

                                                                                                                                             Claude Tarin


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