• « Les Copeaux d’abord » font feu de tout bois

     

     

    « Les Copeaux d’abord » font feu de tout bois

    Pour les enfants, voir naître une toupie est une bonne leçon de choses. Mais (de g à dr) Pascal Bougeant et Jean Lafaty, de l’association Les Copeaux d’abord, ont l’art d’intéresser toute génération aux subtilités  du travail sur bois.

     

    Les Copeaux d’abord…Pascal Bougeant de Penvenan et Jean Latapy de Plougrescant n’ont pas eu trop à se creuser la tête pour trouver le nom de l’association qu’ils venaient de décider de créer. Cela remonte à cinq ans ; après s’être rencontrés à Bégard, quelques années plus tôt, dans un club de tournage sur bois. Les Copains d’abord de Brassens nourrissait depuis belle lurette le répertoire des fêtes de famille ou entre copains, mais, par un simple glissement sémantique, il y avait matière à donner tout son sens à cette association  Pour ces menuisiers, le bois aura été leur compagnon de tous les jours. Il le demeure. Les veines des arbres ébranlent les ventricules du cœur et évitent tout endormissement des méninges. Leurs semelles pataugent toujours dans la marée des copeaux.

     

    Pour Pascal, 54 ans, expert dans le travail du bois et du placoplâtre, et pour son complice ayant franchi le cap des 70 « balais », qui se souvient, non sans nostalgie de ses chalets de Haute-Savoie, le mot clef se résume à sept lettres : la…passion. C’est elle qui a fait germer cette idée d’association. Ils ont été rejoints par un troisième larron, Joseph Lemagué, un voisin de Buguelez, et un tout jeune gars de Plourivo qui, à l’âge de quatorze ans, porte en lui la sève de la relève. Depuis ce lundi et jusque dimanche, Kermouster leur offre une vitrine. C’est aussi cela Ti ar skol : une plateforme artisanale. On y accueille, tour à tour, des artistes peintres, des photographes et des artisans.

     

    Pour ce qui est de la création sur tour à bois, le souvenir des multiples passages de Jean-Yves Toulellan, au sein de l’association Group Art de Plourivo, est gravé dans les murs. Il y a tout juste un an, en pleine tempête Covid, il effectuait un come back apprécié, aux côtés de Michel Méar, photographe animalier (Chronique du 5 août 2020 : Art du bois et photo animalière salle,Ti Skol). La photo ci-dessous, prise au cours de l’été 2013, ne sera pas sans rappeler à certains leur curiosité d’alors. Quoi de plus beau pour des enfants que de voir naître une toupie. Pascal Bougeant et Jean Latapy nous offrent l’opportunité de remettre sur le métier nos maigres connaissances.

     

     

    « Les Copeaux d’abord » font feu de tout bois

    À Kermouster, le souvenir de Jean-Yves Toulellan est gravé dans la pierre et dans les esprits. Pascal Bougeant et Jean Latapy vont, à leur tour, y laisser leur empreinte. 

     

    Il faut croire  qu’il existe une confrérie des tourneurs sur bois puisque c’est suite aux conseils de Jean-Yves Toulellan que Pascal Bougeant et Jean Latapy ont franchi le pont Canada qui enjambe le Jaudy, pour s’en venir installer tréteaux et tour devant le panorama de l’estuaire du Trieux. Cela fait deux ans qu’ils n’avaient pas été en mesure d’étaler leur savoir faire aux yeux de tous. Pour cause de pandémie, le traditionnel rendez-vous estival des tourneurs de Penvénan n’aura pu se tenir. Kermouster leur offre un bon bol d’air.

     

    Si vous vous décidez à franchir le seuil de Ti ar Skol, même avec un masque sur le devant du visage, n’hésitez pas à les questionner. Ils sont intarissables et savent vous faire partager, en un tour de main, la passion qui les anime.

     

     Nourrissez vous au passage de ces mots qui désignent ces outils qui prolongent le geste de la main : le mandrin auquel on associe la gouge, le racloir, la pointe, la contre-pointe, et cætera ! Retenez déjà cela !  Le tour, qui leur permet d’illustrer leur travail, a des capacités limitées. Dans leurs ateliers respectifs, ils disposent d’un outillage plus puissant. Là, au-delà d’une coupe à fruits d’un diamètre de 315 millimètres, le moteur électrique « d’un demi cheval » patinerait à façonner le bois.

     

    Sachant le reproche que l’on me fait bien souvent de nourrir ces chroniques par trop de lignes, je me suis interdit à les questionner pièce par pièce. Mais comment ne pas en évoquer quelques unes qui, compte tenu de leur originalité, créent immédiatement l’envie d’en savoir plus.

     

     

    « Les Copeaux d’abord » font feu de tout bois

    Pour arriver à la boule étoilée il faut d'abord déposer ka boule de buis dans le mandrin, puis, un à un, dessiner les espaces à évider pour faire apparaître les pointes. Reste ensuite, à l'aide d'une gouge à sculpter le socle des pointes et à lisser la paroi intérieure. 

     

     

    Par quel tour de passe-passe arrive-t-on à donner corps à cette boule étoilée…de 12 pointes ? La photo suffira-t-elle à expliquer le cheminement qu’a suivi cette boule en buis ? Déposée sur le mandrin, on y dessine d’abord douze cercles qui vont être évidés l’un après l’autre pour en dégager une pointe. Restera ensuite, à l’aide d’une gouge « maison », à travailler le socle des pointes et la paroi interne de la boule.

     

    Quid de cette boule zen qui évoque ce que pouvait être la Terre bien avant la dérive des continents ? Ici, la réponse tient en un mot : la fractalisation de Lichtenberg, un procédé ainsi nommé en hommage au mathématicien, astronome et philosophe allemand Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), lequel, digne successeur de Benjamin Franklin (1706-1790), dont il ne fallait surtout pas parler à Brassens, a introduit outre-Rhin l’usage du paratonnerre. Ici, tout repose sur l’usage de l’arc-électrique. La pièce de bois, enduite d’une solution saline, se trouve soumise aux bons caprices de l’électricité, dont on peut suivre, après décharge,  le parcours en surface.

     

     

    « Les Copeaux d’abord » font feu de tout bois

    Au premier plan, une boule zen, zébrée par l'électricité. 

     

    Évidemment, tout comme moi, vous ne serez pas sans remarquer la bombarde se dressant, tel un phare, au milieu de toutes ces réalisations. Elle est l’œuvre de Jean Latapy et a reçu l’onction, lors d’une précédente exposition à Plougrescant, d’un talabardeur des Sonerien an Trev, joueur de bombarde du bagad de Lézardrieux. On le croit sur parole, mais d’une même voix avec son collègue, il y met immédiatement un bémol. Il n’en a fabriqué que trois. Pour Jean Latapy et Pascal Bougeant, pas question de s’aventurer plus avant sur le domaine des luthiers.

     

    Cependant, tout laisse à penser qu’ils cultivent, a posteriori, un regret (que je suppose réel) : celui de ne pas avoir fabriqué une guitare pour honorer ce chanteur poète qui n’aurait jamais du quitter son arbre, mais qui parraine de facto leur association. Ce dernier, qui, hélas, a fait trop vite son trou dans l’eau,  j’en mets ma main au feu, n’aurait pas été sans apprécier ce geste ; à la condition sine qua non qu’ils n’aient pas utilisé du chêne pour façonner la table acoustique. Mais, répétons-le, à part un vieux rêve de violon pour Jean Lapaty, ni lui ni Pascal Bougeant se lanceront dans cette aventure. À chacun son métier!

     

    Il vous faudra aussi vous attarder sur la nature même des réalisations qui sont présentées. Chêne compris, les deux artisans font feu de tout bois, hormis les résineux dont les cernes sont trop espacés, ce qui rend ce matériau trop tendre. Le must, ce sont les arbres fruitiers. Leur bois est dur et se prêtent mieux aux morsures de l’acier. Même les racines sont utilisées.

     

     

    « Les Copeaux d’abord » font feu de tout bois

     Des champignons taillés dans de l'if femellle

     

    La tendreté ce n’est pas la tendresse, mais de la tendresse, pour ne pas dire plus, Pascal Bougeant en éprouve tout particulièrement pour la femelle de l’if. Hé oui ! Il y a des arbres et des plantes qui ont cette caractéristique d’être mâle ou femelle, les uns ayant besoin des autres, vice et versa. Ces champignons résultent d’un travail effectué sur une femelle d’if. Contrairement au mâle, qui est unicolore, la femelle offre des contrastes appréciés entre le crème et le brun rouge. Le kiwi, le ginko biloba, le houx, les saules, l’argousier, tout comme l’ortie, rentrent eux aussi dans la famille des dioïdes.

     

    Sacré nom d’une pipe !

     

    C’est sur cette note savante qu’il m’aurait peut-être fallu conclure, mais ayant grandi dans un bureau de tabac, c’eût été un regrettable oubli que de ne pas parler de la pipe. Celles taillées dans la bruyère ont fait la réputation du Jura et de mon saint patron. Il ne serait pas le dernier à me remonter les bretelles ; quitte à faire cause commune avec le gisant du cimetière de Sète qui, comme nous l’a rappelé récemment l’exposition qui lui a été consacrée à Lézardrieux, aimait particulièrement se réchauffer au culot d’une pipe. Ici, ce sont Les copains d’alors qui entretiennent la flamme.

     

     

    « Les Copeaux d’abord » font feu de tout bois

                                                                          (Photo La Presse d'Armor)

     

    Des pipes, Pascal Bougeant en a fabriqué quelques unes dans un temps pas si lointain que ça, mais là aussi difficile et pas question de rivaliser avec des sociétés spécialisées. Et puis la traque à la nicotine est venue freiner  toute envie de façonner fourneaux et tuyaux.

     

    Là encore, sans risque de se tromper, on peut penser que l’hôte de la villa Kerflandry ne serait pas sans grommeler sous sa célèbre moustache contre ce discrédit qu’il considérerait comme arbitraire. Son sang ne ferait qu’un tour et il ferait des pieds et des mains pour retrouver sa vieille pipe. Histoire de nous montrer de quel bois il se chauffe. Sacré nom d’une pipe !

     

     

    « Les Copeaux d’abord » font feu de tout bois

     

     

    Mais, sacré nom d’une pipe ! Alors que je m’apprête à conclure, me revient justement un tuyau que m’ont glissé dans l’oreille les deux compères. Comme tout un chacun, je pensais que Napoléon avait perdu la guerre en Russie à cause des poux, son armée étant décimée par le typhus. Cela est désormais un fait incontesté, mais à écouter nos deux passionnés du bois, les grognards, voltigeurs et grenadiers, qui, pour se réchauffer, jetaient au feu des branches d’if ont été empoisonnés par les vapeurs qui s’en dégageaient.

     

    La poussière d’if, Pascal Bougeant et Jean Lapaty s’en méfient comme de la peste. Fait historique avéré ? Tuyau percé ? Vous serez peut-être celui ou celle qui nous apportera la réponse ? À toutes fins utiles. Sacré nom d’une pipe !

     

                                                                                                                                            Claude Tarin

                                                                                                                             Mercredi 25 août 2021

     


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