• Le spectre chromatique de Charles Lapicque

     

    Le spectre chromatique de Charles Lapicque

     

    De qui est ce tableau, plus précisément cette lithographie ? Il aura fallu lire un article, dans un journal de ce samedi 9 novembre, pour, curiosité aidant, le découvrir, même si, d’emblée, cela semble évident. Vous avez sous les yeux une oeuvre de Charles Lapicque, Les régates, peinte en 1950. Cette lithographie va, parmi d’autres lithographies, quelques gouaches et aquarelles, faire l’objet d’une vente aux enchères les 16 et 17 novembre prochains.  La vente de ces œuvres d’art, qui sommeillaient dans une maison bréhatine où Lapicque avait des attaches,  va avoir lieu dans le Centre de création  contemporaine Olivier Debré à Tours.

    Nous savons qu’il existe un Kermoustérien de cœur, ayant par ailleurs demeure dans cette ville des bords de Loire, que cela ne laissera certainement pas indifférent. Ayant grandi à l’Arcouest, au sein même de la communauté dite de La Sorbonne plage, où Lapicque avait maison, il aura eu l’heur de connaître cet artiste que l’on peut dire inclassable puisque ce situant entre le Cubisme et le Pop Art. A défaut, peut-être, de pouvoir s’offrir une de ces œuvres, il sera sensible au fait que les circonstances lui permettent de replonger dans ses souvenirs, à deux pas de chez lui.

    Cette scène de régates n’est pas le seul tableau décliné sur ce thème par Charles Lapicque (1898-1988). La mer, qu’il a affrontée à bord de ses voiliers successifs, la mer qui lui a valu le titre de peintre officiel de la Marine, la mer aura été consubstantielle à son œuvre. Né à Theizé, petite ville située près de Villefranche-sur-Saône Lapicque aura vu couler du sang marin dans ses veines dès son plus jeune âge. Toute sa vie est traversée par la passion du grand large

    Mais ce n’est pas l’annonce seule de cette vente aux enchères, consacrée à des œuvres inconnues du grand public, qui m’amène, ce jour,  à jouer les critiques d’art.  En l’espace d’un tour complet de la petite aiguille de l’horloge, je me suis rappelé qu’au-delà des apparences Charles Lapicque était plus qu’un artiste, un homme de cœur génial.

    Parlons d’abord du « génie » !

    Je ne crois pas être le seul à avoir appris, vendredi soir, devant l’écran de télévision, que la science allait bientôt réussir à produire l’impossible : nous rendre invisibles.

    Il y a plus d’un siècle (1897), un Britannique, Herbert George Wells, écrivait L’Homme invisible. L’impensable ! Depuis lors, le cinéma n’a eu de cesse d’essayer de rendre la chose plausible. L’image de l’homme à la tête couverte de bandelettes, portant chapeau et long imperméable n’est cependant pas près de s’estomper.

    Mais qui dit science, dit chose sérieuse. Or ce qui nous a été donné de voir ce vendredi, lors d’un journal télévisé, nous laisse à penser qu’un grand pas est en passe d’être franchi.

    Mais quel rapport avec Charles Lapicque ?

    Si, sur nos écrans, on a pu voir disparaître un homme derrière une plaque transparente, ce sont les travaux qui sont engagés pour rendre des chars d’assaut invisibles qui m’ont amené à faire ce rapprochement. Le lendemain matin, à la lecture de l’article annonçant la vente aux enchères, je me suis souvenu d’avoir lu que Lapicque, en 1939, juste avant la deuxième Guerre mondiale, avait travaillé sur la vision nocturne et, lui aussi, sur le camouflage. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé Aymeric Rouillard, commissaire-priseur en charge de cette vente, lors d’un entretien à une télévision de Tours dont on peut voir la vidéo sur un site Internet*. Fort de ses recherches en optique sur la vision de l’œil, Lapicque s’en est servi pour construire son art, à sa main.

    Alors que l’on commémore, à travers une exposition au Louvre, le 500ème anniversaire de la mort de  Léonard de Vinci, il n’est pas inutile de souligner que Charles Lapicque s’est inscrit de fait dans son sillage, mais à contre-courant,  en travaillant à sa propre palette chromatique. Le physicien artiste peintre  du XXe siècle s’est lui aussi interrogé, comme ce grand maître de la Renaissance, sur les fonctions de la couleur. Pour lui, le bleu constitue la couleur la plus proche, le rouge le plus lointain. La couleur a valeur de dimension spatiale. La couleur constitue une passerelle entre le monde perçu et le monde rêvé. Tout est alors affaire d’imagination. Cette mer multicolore reflète sa vision du monde à travers ses propres sensations et ses affects. Cet artiste a le don de nous « embarquer ».

    Parlons maintenant de l’homme de cœur !

    Ce maître coloriste n’a pas exclu le noir de sa palette, loin s’en faut, mais la tonalité générale de son spectre chromatique est une ode à la vie. Un tableau se suffit à lui-même. Il ne porte pas nécessairement un message.  Pour autant, on gagne toujours à en connaître la genèse. Et si, au-delà des qualités intrinsèques de l’oeuvre, on peut déceler les qualités humaines de son auteur, ce n’est que mieux.

    Nous fêtions ce samedi le trentième anniversaire de la chute du mur de Berlin. Trente ans après ce grand souffle de la Liberté, teinté d’une forte espérance, des forces nauséabondes n’en finissent pas de reprendre du poil de la bête dans cette Allemagne, mais également dans tant d’autres pays d’Europe, qui pensait avoir gommé son  ignominie. Charles Lapicque le « Juste parmi les nations», qui n’aura pas eu l’heur de vivre cet événement, ne serait pas sans s’inquiéter de cette noirceur qui s’étend sur un monde déliquescent.

    Charles Lapicque a obtenu cet honneur pour avoir caché des Juifs lors des années sombres. En 1941, à Paris, un Paris sous la botte des Nazis, Charles Lapicque sera l’un des vingt jeunes peintres d’une exposition se voulant en quelque sorte un acte de résistance. Il s’agissait là d’une première manifestation de la peinture d’avant-garde française que l’idéologie dominante qualifiait d’art dégénéré.

    Si on doit y chercher un message dans l’œuvre de Lapicque , c’est, tout simplement, celui de la nécessité de l’Art. A nous  de savoir aller au-delà des apparences de ce qui nous est donné de contempler !

    Il arrive, par ces temps de grisaille, que s’élève dans le ciel un, si ce n’est deux, arc-en-ciel. Du Sillon du Talbert jusque la pointe de l’Arcouest, plaçant souvent le hameau au centre d’une arche majestueuse. Charles Lapicque aura eu, lui aussi, loisir de contempler moult fois, de l’autre côté de la rive, cette illusion d’optique qui nous révèle les bienfaits de la couleur. Il aura eu pour lui le pouvoir d’en maîtriser toutes les nuances.

     

    * Pour tout savoir sur cette vente aux enchères :

     

    https://www.rouillac.com

     


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