• La lumière de la Paix à travers le vitrail

    Depuis que l'homme écrit l'Histoire, 

    Depuis qu'il bataille à cœur joie 

    Entre mille et une guerr' notoires, 

    Si j'étais t'nu de faire un choix, 

    A l'encontre du vieil Homère, 

    Je déclarerais tout de suit' :

      Moi, mon colon, cell' que j' préfère, 

    C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit ! "

     

    La lumière de la Paix à travers le vitrail

     Reprise du Fort de Douamont, de Henri Georges Jacques Chartier (1854-1924), Musée de l'armée, Paris

     

       Puisqu’en France, comme l’a affirmé Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, tout finit par une chanson, je n’ai guère hésité à confier à notre célèbre croquenote, qui n’aimait assurément pas marcher au pas,  le soin d’ouvrir cette dernière chronique sur la Grande Guerre.

       Je n’ai pas oublié le ram dam que cette chanson « anti guerre » a provoqué à l’époque. Nous étions en 1962. A l’heure de la signature des accords d’Evian qui soldaient ce que l’on ne voulait toujours pas appeler la guerre d’Algérie. « Je n’ai pas voulu choquer » dira un jour ce chanteur poète à la fibre anarchiste, mais, dans le contexte de l’époque, cette diatribe contre toutes ces guerres qui ont marqué notre histoire aura fait l’effet d’une bombe dans le cercle encore largement fourni des anciens combattants.

       Pas besoin d’être grand clerc pour deviner ce que furent alors les états d’âmes de bien des compagnons d’armes des 14 Kermoustériens à qui nous venons de rendre hommage. Brassens n’avait pas encore jeté l’ancre à Lézardrieux, Si cela avait été le cas, il n’aurait pas été bon pour ce mécréant de venir au centre bourg, le 11 novembre 1962, alors que tous les poilus du secteur se trouvaient réunis devant le monument aux morts, encore sur la place, devant le seuil de l’église Saint-Jean Baptiste. Il n’y aurait pas trouvé beaucoup de copains même si, déjà, il savait que son hymne à la paix s’inscrivait dans la marche du temps.

        S’est-il trouvé quelqu’un sur les chemins conduisant au hameau, où il viendra par la suite se promener, seul ou avec son chien, pour lui reprocher d’avoir ainsi attenté à son honneur ? Qui sait ? Mais le temps a fait son œuvre. Ici, aussi, plus personne n’est en mesure de dire « J’y étais ». Ici, aussi, Brassens est devenu une  personne recommandable, un voyou au grand cœur qui nous aura invités à nous engager sur le chemin de la raison.

        Oui la guerre est la pire des extrémités pour notre humanité. Il n’y a pas de guerre juste. Il y a tout simplement de l’impuissance à régler nos divergences par le dialogue, la compréhension et le respect mutuel.

     

    La lumière de la Paix à travers le vitrail

       

       Est-ce que ce baladin du temps qui passe a pris le temps de faire une halte, un jour, dans le hameau, à l’occasion d’une de ses promenades en solitaire, et de pousser la curiosité jusqu’à franchir le seuil de la chapelle de Kermouster. De s’y asseoir pour partager quelques instants, par un regard attendri, avec tous ces gars qui sont morts d’avoir été à la guerre ? Qui pourrait le dire ? Mais qu’importe ! Je l’y vois et je n’ai aucun mal à penser qu’au-delà des mots qui interpellent, Brassens avait un penchant naturel à aimer les gens, en tout cas ceux qui sont dépourvus d’un esprit narcissique. Je l’imagine ainsi, assis devant cette plaque fixée au mur, se remémorant le pourquoi de cette chanson qui lui aura valu les trompettes de la renommée. Je cherche à décrypter sa pensée alors que le soleil, en cette fin d’après midi d’été transperce le vitrail.

        A cette heure, le soleil est dans l’axe de la rue Saint-Modez. Il descend lentement vers le couchant. L’arc en ciel qui lèche le mur, où est accrochée cette plaque du souvenir, le transporte vers un ailleurs. Je ne peux pas imaginer qu’il en soit autrement, même s’il est toujours risqué de faire dire aux gens ce qu’ils n’ont pas fait, ce qu’ils n’ont pas dit, de penser à leur place. Mais je suis persuadé que le troubadour de ce siècle aux deux guerres mondiales, était homme, lui aussi, comme nous sommes nombreux à l’être, à apprécier ces instants où l’on se retrouve confronté à soi-même, sans personne autour de soi.

         Une chapelle, une église, une cathédrale, mais aussi, un temple, une mosquée ont vocation à rassembler. On y vient pour se rassurer, au contact de gens qui partagent votre foi, vos certitudes. Car il y a autant de convictions que de dieux. A chaque endroit sa manière d’aborder le grand questionnement.

       Une chapelle, une église, une cathédrale, un temple, une mosquée, on peut s’y sentir bien, même quand on ne s’inscrit pas dans l’esprit affiché du lieu. Et si on a la chance d’y être seul ou accompagné par un être qui vous est cher, ce qui, soyons honnête avec la réalité, ne peut se produire que dans l’enceinte d’un lieu de culte à taille humaine, on ne peut que savourer l’instant.

        Nous avons, ici, la chance d’avoir un tel endroit à portée de la main. Mais écrivant ces lignes, c’est vers deux autres chapelles qu’a germé l’idée de vous convier à me suivre. Des chapelles où la mémoire de ce que furent ces tragédies humaines du XXe siècle ne ferme pas la porte à l’espoir.

       Comme les monuments aux morts qui, dès 1920, se sont dressés au cœur des villes et des villages, les lieux de culte ont aussi servi à préserver la mémoire. Je ne vais pas dresser ici l’inventaire de ces chapelles ayant demandé à des maîtres verriers de donner par le vitrail la force du souvenir. Trop nombreux ont été les tableaux figuratifs représentant les seuls  soldats français mourant sous le regard bienveillant de Dieu. Le sabre et le goupillon. Jean Ferrat, avant de nous rappeler les wagons plombés de sinistre mémoire, lui aussi, a osé chanter le non dit. Mais les deux lieux de culte dont il va être question ont pour eux d’avoir accueilli des œuvres qui brisent le cadre du seul message biblique qu’elles sous-tendent. Le message a ici, la force de l’universalité.

     

    La lumière de la Paix à travers le vitrail

     Eglise Saint Valéry à Varengeville-sur-Mer, huile de Jean-Marie Jacquot. Coll part.

       

       Eglise Saint Valéry, de Varengeville-sur-mer. Une église certes, mais de taille modeste. C’est ici que repose, dans un cimetière ouvrant large sur les falaises blanches du pays de Caux, Georges Braque (1882-1963), le « fauve » devenu « cubiste », l’ancien lieutenant du 224e régiment d’infanterie, qui aura été un grand témoin du siècle dernier. Avec dans sa chair le souvenir de ces heures sombres où sans le secours in extremis de brancardiers il serait mort parmi les morts, le 11 mai 1915, à Neuville Saint-Vaast, non loin d’Arras. Tout comme Guillaume Apollinaire, Georges Braque aura subi une trépanation, suivie de deux jours de coma.

       Le vitrail qu’il a réalisé pour cette église de Normandie n’est pas le premier du genre. Sa rencontre avec un père dominicain aura été déterminante pour qu’il s’engage sur le chemin du religieux. Il aura, avant Varengeville, pris part, aux côtés de nombreux autres artistes de grande notoriété, à la décoration de la chapelle de Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy, en Haute-Savoie. Une chapelle aujourd’hui classée monument historique après avoir été au cœur d’une polémique, la « querelle des Arts sacrés ». Au lendemain de la seconde guerre mondiale, il s’est trouvé des représentants du culte qui souhaitent profondément modifier la représentation des dogmes

     

    La lumière de la Paix à travers le vitrail

     

       C’est l’année même où Brassens faisait connaître sa chanson aux paroles supposées « attentatoires » à la mémoire des poilus qu’a été installé dans l’église Saint Valéry de Varengeville le vitrail de L’arbre de Jessé, un motif récurrent dans l’art chrétien représentant l’arbre  généalogique présumé de Jésus à partir de Jessé, père du roi David.

       Ici il ferait bon y être au lever du soleil puisque le vitrail est posé sur une ogive ouvrant sur l’est. Mais, même à une heure plus avancée de la journée, la lumière bleutée qu’il diffuse donne à ce lieu une atmosphère apaisante.

      Cette thématique de L’arbre de Jessé a également inspiré Marc Chagall, artiste peintre d’origine russe, né dans la religion juive. Douze ans après celui de Georges Braque, il livra cette œuvre à la cathédrale de Reims. Mais c’est à Sarrebourg qu’il vous faut aller pour admirer, on ne peut qu’admirer, son sublime tableau de  La Paix ou L’arbre de vie.

     

    La lumière de la Paix à travers le vitrail

     

       De l’ancien couvent des Cordeliers, devenu du fait des guerres qui se sont déroulées entre 1870 et 1945, caserne puis camp de prisonniers, il ne restait que des bâtiments délabrés à la fin des années 1960. Il n’en subsistera, après réfection, que la chapelle, un modeste édifice aujourd’hui passage conseillé pour qui veut se retrouver. Une chapelle dotée d’un  vitrail exceptionnel, d’abord par ses seules dimensions. Encore plus grand que celui que Marc Chagall a réalisé dix ans plus tôt, sur ce même thème, et qui se trouve à New York, au siège de l’ONU.

       Mais ce vitrail, installé dans un lieu aussi petit que la chapelle de Kermouster, a cette capacité de vous subjuguer dès le premier regard. La lumière qu’il irradie vous enveloppe immédiatement. La Paix ou L’arbre de vie. A deux pas de la nécropole des prisonniers de guerre où reposent des milliers de poilus, dont le Kermoustérien Guillaume Turuban. Comment ne pas faire la liaison ?

     

    La lumière de la Paix à travers le vitrail

     

       Sur la colline qui s’élève au nord-ouest de cette ville de Moselle, les croix blanches alignées au cordeau génèrent elles aussi une profonde émotion Marc Chagall, dont les vitraux de la cathédrale Saint-Etienne de Metz  forçaient déjà depuis plusieurs années l’admiration des Mosellans, ne s’est pas limité au travers de cette œuvre à évoquer tel ou tel conflit.

       Au-delà de sa connotation religieuse, La Paix ou L’Arbre de vie, tel l’éclat de la lanterne d’un phare, entend nous faire éviter les récifs du repli sur soi, de l’intolérance, du racisme et de la xénophobie, tous ces ingrédients  qui peuvent nous conduire à nouveau sur le chemin de la guerre

     

     

    La lumière de la Paix à travers le vitrail

     Sur la colline de Mort-Homme

     

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