• L'hirondelle, la tortue et la mesure du temps

    Ce jeudi matin, avant que le Soleil ne soit levé, c’est vers la Lune qu’il fallait poser son regard. La couverture nuageuse de la veille nous avait empêché de contempler la « Super Lune », la plus grosse de cette année 2020. Séance de rattrapage, donc, dans un ciel sans tâche. Avec en sus, le plaisir renouvelé d’écouter la célèbre Ode à la Lune du compositeur tchèque Antonin Dvorak, dont tant de belles voix – en l’occurrence celle de Renée Fleming – ont su maîtriser les harmonieuses tonalités. Emotion garantie. 

    Ce sont de tels moments, ô combien fugaces, qu’il nous faut saisir, pour nous aider à ne pas sombrer dans la sinistrose du temps présent. Et, dussé-je le réitérer jusqu’au dernier jour du confinement, nous qui vivons loin des concentrations urbaines disposons d’une situation enviable.

    Certes, les règles de la distanciation sociale, qu’il nous faut, nous aussi, respecter,  ne sont pas sans nous affecter dans notre quotidien, mais bien avant qu’elles nous soient imposées nous savions, ici, pouvoir tirer bénéfice de la géographie.

    Pensez donc !  Les gens des villes en viennent à redécouvrir le chant des oiseaux. Qu’ils en profitent, car il ne fait malheureusement aucun doute que, passée cette période de confinement, les agglomérations ne pourront échapper aux travers que générera, à nouveau, leur concentration structurelle. Puissent-elles avoir appris entre-temps  à en juguler les effets !

    Ce plaisir d’être au cœur de la nature, je l’ai personnellement pleinement éprouvé hier après-midi. Grâce à une hirondelle, mais, grâce aussi, à une tortue. N’ayez crainte, je ne vais pas ce jour prendre le risque de plagier notre fabuliste national de dimension universelle ! Bien que, autant le souligner d’emblée, cette énième chronique du temps contraint, va m’amener à tirer les leçons de ces deux rencontres. Chasser le naturel, il revient au galop !

    Mais avant toute chose. Une brève incursion dans l’univers de la géométrie.  Pour vérifier que le vaccin du savoir de base n’est en rien altéré.

     

    π et R

     Ce mercredi, l’ami Gérard Penhoat nous a transmis une application par laquelle il nous est possible de visualiser notre aire de déplacement autorisé. Evidemment, celles et ceux qui ont maison à proximité de la chapelle disposent d’un avantage, puisqu’ils sont au centre d'une aire couvrant tous les points remarquables. Ils peuvent donc y rayonner en en couvrant toute la surface, sans avoir à presser le pas, c’est-à-dire sans prendre le risque, selon la boucle du jour, de dépasser les fatidiques soixante minutes qui nous sont chichement octroyées.

     

    https://carte-sortie-confinement.fr

     

    L'hirondelle, la tortue et la mesure du temps

     

    Amusez-vous à visualiser, si ce n’est déjà fait, celle qui vous révélera votre propre aire de déplacements. Et profitez en, sans vous mettre le compas dans l’œil, pour calculer le périmètre et la surface de cette aire, qui, de toute façon, sont les mêmes pour tous !

     Deux indices de base :  π et R. Je n’en dis pas plus.

     Ne doutant pas une seconde  de votre célérité à régler ce problème, j’en reviens à mon hirondelle et à ma tortue.

    Mon hirondelle ? Peut-être l’avez-vous vue vous-même, mais je me l’approprie car c’est la première hirondelle de l’année qu’il m’a été donné d’entrevoir. Chose étrange, dès que je l’ai aperçue, la chorale des oiseaux siffleurs s’est brusquement tue. Je veux croire que les hôtes du jardin l’ont fait spontanément pour saluer cette congénère, oiseau emblématique du cycle des saisons. Le réchauffement climatique, aux dires de nombreux observateurs, fait peser une lourde menace sur ces oiseaux migrateurs.

    Le réchauffement climatique ? A l’heure du Covid19 on finirait par l’oublier. Qui dit que ce Coronavirus n’est pas lui-même un des fruits de ces bouleversements au plus profond de la nature ?

    Je suis persuadé que la petite tortue « savante », dont j’avais croisé la route quelques minutes auparavant, n’aurait pas été sans me rappeler l’adage selon lequel une hirondelle ne fait pas le printemps. L’avenir pourrait, peut-être lui donner raison, mais, assis à même la terrasse, quelque peu épuisé par cette promenade effectuée sous un chaud soleil, le foulard, à défaut de masque, voilant la face,  je me suis accroché à cette idée que le printemps était bien là.

     

    L'hirondelle, la tortue et la mesure du temps

     

    « En avril ne te découvre pas d’un fil ! » Sans nul doute, si j’avais pris le risque de prolonger notre impromptu, Octavie - c'est son joli prénom -n’aurait pas manqué de me ressortir ce sage conseil. Visiblement, elle porte en elle un sacré bagage. Car c’est un curieux personnage dont j’ai fait la connaissance, ce mercredi, en foulant la pelouse de ces voisins auxquels elle tient compagnie. Au motif louable, je précise, de m’assurer de visu, avec la distanciation nécessaire, que tout allait bien pour eux.

    Cette rencontre a failli commencer par un drame. Faute d’avoir vu Octavie venir à moi. Pour un peu, je lui écrasais une patte. Au pire, je lui broyais la carapace. In extremis, ce drame n’a pas eu lieu. Comme quoi, il ne suffit pas de mettre un pied devant l’autre. Il faut voir où l’on met le pied. On ne gagne rien à écraser plus petit que soi. La raison du plus fort n’est pas toujours la meilleure.

    Le plus curieux dans cette histoire, c’est la curiosité dont cette attendrissante tortue a fait preuve à mon encontre. Visiblement, sans la moindre rancune, Octavie n’a eu de cesse de vouloir - Ne riez pas ! J’ai des témoins - vouloir engager le dialogue. J’ai, je le reconnais, mis un peu de temps à le comprendre.

    L’échange a été bref, car il me fallait me carapater au plus vite. Nous, nous ne portons pas notre maison sur le dos. Echange bref, certes, mais ô combien précieux. Reste maintenant à vous en faire partager la teneur.

    Dame tortue, car c’est surtout Octavie qui a parlé, m’a d’abord rappelé la reconnaissance éternelle qu’elle et ses congénères vouent à Jean de La Fontaine.

    - Il a su voir en nous l’expression de la sagesse. Or, par les temps qui courent, j’ai comme l’impression que vous autres, les humains, avez quelque peu oublié la nécessité qu’il y a à vous tenir debout. 

    - Debout ?

    - C’est-à-dire, maîtres de vous-mêmes. De vos peurs. De vos angoisses. Vous en êtes encore à confondre vitesse et précipitation.

    - Mais il y a urgence. Le péril est grand. Même ici le Covid19 pourrait nuire.

    - Evidemment, mais, regardez moi ! Au moindre danger je me confine sous ma carapace. Et je ne sors la tête que si le danger est écarté.

    - Mais ne vous ai-je pas mis en danger, tout à l’heure ?

    - Si, mais par simple inadvertance. Pas pour me nuire. Si telle avait été votre intention, pensez bien je ne serais pas là à traîner entre vos pieds ! Mais, puisque je vous sais pressé, je vais droit au but. L’urgence à laquelle vous vous trouvez confrontés ne doit en rien vous faire oublier qu’en toute chose il faut savoir prendre la mesure du temps. N’est-ce pas Miguel Cervantès qui, avec son Don Quichotte vous a donné ce conseil que nous tortues appliquons depuis la nuit  des temps : il faut donner du temps au temps ?

    - Bien sûr, je connais cette citation. Mais Don Quichotte se battait contre un ennemi virtuel. Le Covid19, lui, il est bien réel et, qui plus est, insaisissable.

    - En fait ! Tout ceci révèle votre manque de confiance. En vous-mêmes. Mais aussi envers ceux qui travaillent d’arrache-pied pour démasquer ce Coronavirus qui vous cause tant d’ennuis. Pas de confiance sans connaissances ! Pour l’heure elles sont fragmentaires, mais sachez écouter ces hommes de science qui, tout en ayant l’humilité de reconnaître que leurs travaux n’ont pas encore abouti, savent qu’ils finiront par gagner le combat

    Quelques tours d’horloge après cet échange, auditeur spectateur d’une émission diffusée sur un canal où l’on accorde du temps à la réflexion, ces propos, qui se voulaient rassurants, ont trouvé une plus forte résonance. Des hommes de savoir, conscients bien évidemment du devoir qui est le leur de nous rassurer au plus vite, nous on dit et redit, qu’au-delà de certaines controverses, toute la communauté scientifique mondiale travaillait d’arrache-pied, sans tenir compte des égoïsmes nationaux,  à circonscrire ce nouveau Coronavirus « tueur. »

    Ils m’ont personnellement convaincu. Nous devons leur faire confiance, donc faire preuve de patience. Le temps médiatique, surtout celui des réseaux dits sociaux toujours aussi prompts à véhiculer des rumeurs nauséabondes, n’est pas celui de la science. Ce n’est que par cette connaissance scientifique que l’on mettra un terme à cette calamité.

     

    L'hirondelle, la tortue et la mesure du temps

    L'hirondelle, la tortue et la mesure du temps

                                                                                                                      (Photos Anne Sophie Pommeré)

     

    Ce jeudi, c’est donc nourri par cet espoir que je vais prendre plaisir à revoir mon hirondelle virevolter au-dessus du jardin. Elle ne sera peut-être plus seule. Mais comment pourrais-je taire ce paradoxe qui, en ces temps de confinement, prend un relief particulier : on peut apprécier le retour des hirondelles tout en regrettant que le temps passe trop vite.

    Je ne m’en retournerai pas saluer Octavie. Un autre jour peut-être.

    Mes pensées s’envoleront vers tous ces gens qui ne sont pas confinés et qui sont sur le front. Avec, ce jour, une pensée toute particulière pour celles et ceux qui ont le nez collé sur un stéthoscope d’où jaillira un nouveau savoir.

    Face à cette mobilisation, nous pouvons nous sentir coupables de ne pas apporter une contribution plus forte. Mais tous ces grands esprits nous le disent et le redisent. Accepter le confinement, c’est leur permettre de gagner du temps.

    Alors contentons nous d’agir là où nous sommes !

    Il aura suffi d’un mail d’alerte pour que les Kermoustériens s’en viennent à trouver les élastiques qui vont permettre de confectionner des masques faits maison.

    La presse de ce jour nous apprend que Benjamin Charpentier et Kristelle Le Moal ont, sans attendre de pouvoir prendre possession  d’une Cambuse toujours en travaux, offert des crêpes aux soignants de l’Ehpad.

    Chacun, à sa façon, peut mettre la main à la pâte.

    Il faut encore amplifier le flot de solidarité que le Covid19 a engendré.

    La victoire sera collective.

     

                                                                                                                  Claude Tarin

                                                                                                         Jeudi 9 avril 2020

     

     

    Haïkus et photos

    L'hirondelle, la tortue et la mesure du temps

     

    Claudie Missenard a adressé ce jour un nouvel haïku de sa composition. En y adjoignant une photo. Fallait y penser ! Vous pouvez, de chez vous, en faire autant. En ne tenant plus compte de la fameuse règle du 5/7/5 puisque pour se confronter à cet exercice Claudie s’inspire d’un livre savant sur le sujet qui fait fi de cette règle. A chacun ses sources. L’essentiel est de s’en tenir à trois vers.

    Boueuse

    Sans prendre garde à la barrière

    L’eau est montée

     


  • Commentaires

    1
    Elisabeth
    Jeudi 9 Avril 2020 à 20:31

    Il est vrai que la lune était magnifique ce matin. Très beau spectacle.

    2
    Octavie
    Vendredi 10 Avril 2020 à 10:42

    Merci joli gars

    Qui bravas l'interdit

    Pour m'interviewer

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