• Et Dieu dans tout cela?

     

    Hautbois et musettes résonnent déjà dans les cœurs. Les sapins sont décorés et la magie de Noël s’empare des esprits, petits et grands. Doit-on se sentir coupables de se laisser porter par cette tradition religieuse, en faisant fi des tragédies qui se nouent autour de nous ? Non, bien évidemment. N’est-ce pas tout au plus s’accorder un répit salutaire, une soupape de décompression avant de replonger dans l’atmosphère délétère d’une Terre qui ne tourne plus rond ? Mais a-t-elle déjà tourné rond, depuis ce fameux big bang auquel j’ai été amené à faire allusion dans ma précédente chronique ? Depuis la nuit des temps, la planète a été le théâtre de luttes intestines, bien avant l’apparition de l’homme. Cela n’a fait qu’empirer et les religions ne sont pas étrangères à ce regrettable état de fait ; loin s’en faut. La tragédie qui se noue sur les rives du Jourdain en est la énième illustration. Intégrisme contre intégrisme, fanatisme contre fanatisme... Et Dieu dans tout cela ?

    Hautbois et musettes sonneront très forts dans des chaumières ce lundi prochain, comme cela a été le cas depuis que les responsables de l’Église catholique ont décidé de célébrer la naissance du « divin enfant » chaque 25 décembre ; un « divin enfant » qui, quelques années plus tard, si on se réfère aux auteurs des Évangiles, n’aura eu de cesse de distiller ce message : « Aimez-vous les uns les autres ! » Force est de constater que cet « homme remarquable », comme le qualifiera le philologue Ernest Renan (1823-1892), n’a pas encore été entendu.

    Homme remarquable ? Donc en aucun cas fils de Dieu ; tout au plus un simple prophète parmi tant d’autres, mais qui, à l’instar de Moïse ou de Mahomet, pour ne parler que des religions monothéistes, peut se targuer d’avoir quand même réussi à imposer son emprise sur des pans entiers de l’humanité.

    Je n’ai pas attendu de lire Vie de Jésus de Renan pour rompre avec les dogmes de l’Église catholique - le destin m’ayant fait naître dans une paroisse - et n’ai eu depuis aucune intention d’adhérer à ces autres courants de pensées religieuses qui nous font croire, eux aussi, à un après enchanteur, sous le regard bienveillant d’un Créateur. La rupture s’est faite progressivement, par intuition, par empirisme, comme mû par la nécessité de se libérer d’un carcan.

    Avais-je commis un grave pêché pour avoir communié alors que je n’avais pas encore digéré le petit déjeuner ? Combien de fois suis-je rentré dans le confessionnal en essayant de me trouver une faute « mortelle » ou, pour le moins « vénielle », à avouer ? Assurément, un nombre incalculable de fois. Le confessionnal ? Un passage contraint au sortir duquel, immanquablement il fallait ânonner, à haute voix, trois « Notre Père » et trois « Je vous salue Marie », le prix à payer pour se sentir de nouveau en phase avec des principes supposés intangibles.

    Pour autant, s’agissant de ce rendez-vous de Noël, je ne peux nier avoir conservé le souvenir prégnant de cette voix qui s’élevait sous la voûte de l’église paroissiale, lors de la messe de minuit, pour annoncer la venue de « l’homme Dieu », le « Rédempteur ». À bien des égards, interprétant Minuit Chrétien, la voix du boucher du village, Ange, le bien nommé, ami d’enfance de mon père, aura eu plus d’impact que celle de l’incontournable Tino Rossi que distillait sur leurs antennes les stations de radio et que l’on recycle chaque année. Le lieu, l’église, n’y étant pas pour rien.

    Je n’ai pas non plus oublié l’émotion qui fut mienne quand, quelques décennies plus tard, je me suis retrouvé devant la tombe de Franz Xaver Gruber (1787-1863), creusée devant chez lui, à Hallein, ville du land de Salzbourg, en Autriche. Nous lui devons cette émouvante mélodie du Stille Nacht, Heilige Nacht, notre Douce Nuit, Sainte Nuit. Ce sera un plaisir renouvelé pour mon âme d’enfant – seule subsistance de mon éducation religieuse- que de l’entendre dans les heures qui viennent. Le 21 décembre 1914, dans les parages d’Ypres, en Belgique, des soldats allemands, du fond de leur tranchée, allumèrent des bougies et entonnèrent ce chant, aussitôt repris par des soldats anglais ; quelques heures durant les armes se turent…L’histoire va-t-elle se répéter sur les rives du Donest ? Des soldats russes oseront-ils braver les ordres du Kremlin en faisant ainsi entendre leur désarroi d’être conduits à faire usage de leurs armes contre les Ukrainiens, anciens frères d’arme de feue l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques ; une agression qui, ne l’oublions pas, a reçu la bénédiction des plus hautes autorités de l’Église orthodoxe russe ? Le sabre et le goupillon continuent à faire bon ménage. Et Dieu dans tout cela ?

    Je suis de ceux qui regrettent que l’on n’ait pas accordé suffisamment d’importance à cette année du bicentenaire de la naissance d’Ernest Renan. Ce grand penseur du XIXème siècle, ancien séminariste « défroqué », a pour lui d’avoir bâti une œuvre construite autour de cette idée d’un Dieu universel, débarrassé de tous les oripeaux des Églises temporelles. Certes, qu’importe cette notion d’anniversaire, la pensée demeure, mais il aurait été bon d’y revenir compte tenu de cette déflagration qui ensanglante la planète plus de vingt siècles après la naissance du « divin enfant ». Les Religions, mais aussi la Nation, la Démocratie, la Science, sur toutes ces thématiques Renan est une voix qu’il faut à nouveau entendre et, surtout, bien comprendre, sans lui faire dire ce qu’il ne dit pas.

    Bien évidemment, il n’est pas le seul, ni le premier, à avoir contesté la véracité des écrits bibliques. Dans sa toute dernière livraison, le romancier José Rodriguez dos Santos n’hésite pas à titrer : « Spinoza, L’homme qui a tué Dieu » ; un récit « romanesque » (Ed. Hervé Chopin) s’appuyant sur la vie de ce philosophe que d’aucuns considèrent comme le précurseur de la contestation des dogmes religieux. De fait, Baruch Spinoza (1633-1677) sera exclu de la communauté juive pour avoir émis le doute sur la véracité de la bible hébraïque et sera contesté par les Calvinistes dans son pays d’accueil, aujourd’hui Pays-Bas. Sa famille d’origine portugaise avait été amenée à fuir l’Inquisition qui régnait alors sur la péninsule ibérique. Là encore, il ferait bon de se ressourcer à ses écrits. Mais a-t-il vraiment tué Dieu ? Et si oui, lequel ?

    Dieu pour les chrétiens, Elohim, pour les juifs, Allah pour les musulmans…Un seul et même dieu ? Il est clair que pour une grande partie de l’humanité, l’idée d’un Dieu suprême demeure, mais, selon les sources auxquelles ils se réfèrent, les croyants n’interprètent toujours pas son message de la même façon. Inquisition, croisades, pogroms, génocides, guerres de religions, Saint-Barthélemy…que de massacres et de crimes contre l’humanité a-t-on commis au nom de cet être suprême invisible et visiblement indifférent.

    Depuis la monstruosité de l’acte commis par le Hamas et ses horribles conséquences, l’humanité replonge dans ses errements. Cette loi sur l’immigration qui vient d’être adoptée, qui n’honore pas un pays qui se vante d’être le berceau des droits de l’Homme, masque à peine la peur que génèrent les thuriféraires des sourates de Mahomet (570-632) ; non sans raison ; mais faut-il céder à la peur ? Les terroristes du Hamas peuvent se féliciter de nous avoir ramenés aux ténèbres. Dans le sillage d’Al-Qaïda et Daesh, ils sont devenus les porte-drapeaux d’un djihad revanchard et ont réveillé les vieux-démons du racisme anti-arabe.

    Pourquoi ce Dieu, dont les chrétiens vont fêter le fils, a-t-il voulu qu’il en soit ainsi ? L’agnostique que je suis, fortement athéiste, ne peut qu’émettre cette idée selon laquelle la foi n’a rien à faire dans la conduite du monde. On peut vivre sans un dieu, dans le respect de l’autre. C’est à chacun de s’en persuader.

     

                                                                                                                                         Claude Tarin

                                                                                                                    Samedi 23 décembre 2023


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