• De la nébuleuse de l’Œuf au plat à la planète du Réverbère

     

       Éric Lagadec…Avant ce 21 novembre 2023, je ne connaissais ni d’Éve ni d’Adam cet astrophysicien capable de vous parler, avec des mots compréhensibles, de la création de l’Univers ; comme s’il était aux premières loges quand le Big Bang s’est produit, il y a 13,8 milliards d’années. D’emblée, lorsque son visage est apparu sur l’écran de la télévision, il a su capter mon attention. Ce soir-là, il était l’invité d’Élisabeth Quin, journaliste animatrice de l’émission 28 minutes ; je ne dirai jamais assez combien ce rendez-vous et cette chaine font honneur au monde de l’information, parce qu’on y prend le temps de décortiquer la complexité de notre vie collective en faisant venir au micro, devant la caméra, dans un esprit de dialogue constructif, respectueux, tout en étant instructif et distrayant, des personnes qu’il serait souhaitable que tout le monde entende. Éric Lagadec est de cette lignée. Dix minutes durant, c’est le pourquoi et le comment de son livre, L’Odyssée cosmique (Éditions du Seuil), qui a nourri le jeu des questions réponses. Éric Lagadec, une passion rayonnante teintée d’une grande modestie nous invitait à entrer, comme l’indique le sous-titre de son livre, dans l’intimité des étoiles. C’est aujourd’hui chose faite en ce qui me concerne et je ne suis pas déçu du voyage.

       Certes, ce Breton sevré de Voie lactée, contemplée, dès l’adolescence du haut de Roc’h Trévézel, point culminant des Monts d’Arrée, n’est pas le premier vulgarisateur à relever ce défi qui consiste à nous expliquer l’incommensurable - nous avons tous en tête le nom d’Hubert Reeves cet astrophysicien d’origine québécoise qui vient de rejoindre la constellation des Bienfaiteurs de l’Humanité, le 13 octobre de cette année – mais, sur ce plateau d’Arte, Éric Lagadec, après avoir rendu un hommage appuyé à son prédécesseur, a su à son tour, de par la clarté de ses réponses et son évidente honnêteté intellectuelle, me convaincre qu’il fallait lire son livre ; que cela m’aiderait à y voir un tout petit peu plus clair même si, comme il le laissait entendre, tout reste à faire pour connaître la matière noire et l’énergie noire dans laquelle et avec laquelle se meuvent les étoiles et leurs planètes, donc notre Terre. C’est ce à quoi va s’attacher le télescope spatial Euclide de l’Agence spatiale européenne, lancé le 1er juillet dernier et qui tourne sur son orbite depuis octobre, à 1,5 million de kilomètres au-dessus de notre tête.

      La quarantaine passée, Éric Lagadec, a déjà derrière lui vingt ans de bourlingue à travers le monde des observatoires ; il est aujourd’hui, dans son domaine, une sommité ; son cœur de cible : la mort des étoiles ; car dans l’espace sidéral tout se transforme dans un mouvement perpétuel. « J’essaye de comprendre comment les étoiles meurent et disparaissent en poussière » écrit-il en s’empressant d’indiquer : « Ma contribution est modeste ».

       Sommité il l’est incontestablement - président de la Société française d’astronomie et d’astrophysique de 2020 à 2022 – mais dans son narratif, Éric Lagadec n’oublie jamais d’associer le ou les collègues, hommes et femmes, qui lui ont permis d’atteindre ce haut niveau de connaissances. La recherche astronomique ne connaît pas les frontières ; elle se nourrit de nos diversités ; le sens du collectif est sa première caractéristique. Nous ne sommes pas tous aptes à percer les mystères de notre Univers sidéral large d’au moins 93 milliards d’années-lumière et contenant mille milliards de galaxies. Sachons faire confiance à ces chercheurs scrutateurs de l’infini, les mieux à-même d’interpréter ce qu’ils contemplent au bout de leur lunette télescopique !

       Je ne puis donc que vous inciter à lire L’Odyssée cosmique, si tant est que cela ne soit pas déjà fait, puisque c’est de nous, donc de vous, dont il est finalement question. Notre Terre est déjà vieille de 4,6 milliards d’années ; il lui resterait encore quelque 5 milliards d’années à tourner autour du Soleil, son étoile, condamnée, elle aussi, à se dissoudre à cette échéance.  En multipliant les anecdotes, Éric Lagadec nous met en condition de décomplexifier ce qu’il nous invite à comprendre.

       Pour vous mettre en appétit, si vous ne m’avez pas encore mis vos pas dans les siens, je me limite à citer un seul exemple, celui de la nébuleuse de l’Œuf au plat, une découverte capitale dans sa trajectoire personnelle. « Nous avons découvert un monstre » écrit-il et ce monstre avait, auparavant, un nom barbare : IRAS 17163-3907 ; cette étoile avait déjà été observée dans les années 1980 par le premier grand satellite infrarouge IRAS. Vu le nombre pharamineux d’étoiles que cette sonde a découvert, on en est le plus souvent resté à cette nomenclature sans saveur et sans chaleur.  L’Œuf au plat n’a peut-être pas la même charge poétique de Castor et Pollux, de Bételgeuse ou d’Aldébaran, mais c’est cette image qui lui est venue à l’esprit quand, en 2009, l’IRAS 17163-3907 est venu lui chatouiller la rétine ; l’intellect a fait le reste.

       Que sait-on alors d’IRAS 17163-3907, qui se trouve être dans notre galaxie ? Pas grand-chose ; pour ainsi dire rien ; mais ce soir-là, dans l’observatoire du Cerro Parana, au Chili, dans le désert de l’Atacama, émanation de l’Observatoire européen austral, c’est le nuage de poussière qu’elle traîne avec elle qui a intrigué Éric Lagadec. Durant les deux années qui vont suivre, avec des collègues à travers le monde entier, têtu comme l’est tout Breton, notre astrophysicien ne va plus lâcher d’une semelle cette étoile, pour en arriver à ce constat : l’Œuf au plat est une étoile aux dimensions titanesques. Elle est à 1200 années-lumière de la Terre, brille comme 500 000 Soleils.

       « Si on la centrait sur le Soleil, elle recouvrirait le système solaire en entier. » Mais, précise Alain Lagadec : « C’est un astre agonisant … Aujourd’hui, on connaît des milliers de nébuleuses. On sait que parmi ces astres, il y a des étoiles qui éjectent des gaz en mourant, des nuages qui s’effondrent pour former des étoiles, des amas d’étoiles et aussi des galaxies. » Nous n’en voyons guère les effets nous autres qui avons déjà tant de mal à comprendre la complexité de notre propre monde, mais l’espace est le théâtre sans fin de combats de Titans. La galaxie Andromède, proche de la nôtre, fonce vers nous à la vitesse folle de presque 500 000 kilomètres par heure, mais elle n’entrera en collision avec notre Voie lactée que dans quatre milliards d’années environ. Ça nous laisse un peu de temps…Reste à savoir, si d’ici là, le pire ne sera pas arrivé.

       Ce n’est qu’après avoir achevé la lecture de son livre que j’ai appris, en lisant la quatrième de couverture, qu’Éric Lagadec dispensait son savoir sur un compte Twitter X, autrement dit chez Elon Musk. De ce rapprochement sur la galaxie numérique avec cet individu, à des milliers d’années-lumière de son approche humaniste, il n’en a point été question lors de cette émission sur Arte. A posteriori, je le regrette, car il aurait été intéressant de l’entendre parler de ce mégalo se drapant dans la toge du sauveur programmé des Terriens. Mars, qu’il le veuille ou non, ne sera, si tant est que son rêve puisse déboucher sur du concret, qu’une alternative sans lendemain, puisqu’elle aussi liée à l’avenir du Soleil. Mais Musk, apôtre de cette idée que l’on peut, grâce à X, se sentir libre comme l’air, qu’importe si on y grave des pensées haineuses, n’est pas le seul à générer de l’inquiétude. S’appuyant sur des savoirs scientifiques, d’autres grands de ce monde, appellation ô combien dépourvue de tout sens, nous construisent, en silence, un espace miroir de notre incapacité à vivre en fraternité.

       Aussi, à peine avais-je tourné la 190ème et dernière page de L’Odyssée cosmique, il m’a fallu composer de nouveau avec une réalité plus terre à terre. L’émerveillement n’aura duré que trop peu. Mais, très vite, j’ai cherché à reprendre de la hauteur. Fort heureusement Le Petit Prince sommeillait sur une étagère.

       Quand avais-je lu pour la dernière fois ce livre d’Antoine de Saint-Exupéry ? Je ne saurais le dire, mais l’idée de m’y replonger a aussitôt germé, pour devenir irrésistible. Je ne sais pas si ce livre, plus précisément ce conte philosophique agrémenté de dessins de l’auteur, continue à briller dans ce monde des Mangas, mais si dans votre entourage vous voulez offrir une part de rêve à un enfant qui ne demande qu’à s’émerveiller, n’hésitez pas à en faire un paquet cadeau que vous déposerez au pied du sapin. Publié en 1943 et traduit en cinq cent trente-cinq langues et dialectes différents, Le Petit Prince, quatre-vingts ans après, n’a rien perdu de sa fraîcheur. Mais le monde des adultes n’a visiblement pas compris le message que son auteur nous a adressé.

       Là encore, je ne peux que vous inciter à retrouver vôtre âme d’enfants ; lisez vous-même ou relisez Le Petit Prince ; suivez ce petit bonhomme dans son saute-moutons des planètes qu’il a découvertes avant de surprendre Saint-Exupéry, au pied de son avion, en panne en plein désert ; des planètes pas plus grandes que la sienne, mille fois plus petites que des astéroïdes, perdues peut-être dans un autre galaxie, peut-être poussières d’une étoile encore plus grande que L’Œuf au plat. Pour ma part, je me suis attardé sur la planète du Réverbère, la plus petite de toutes. Une planète qui fait un tour complet sur elle-même en une minute, ce qui contraint l’allumeur du réverbère à l’allumer puis à l’éteindre sans pouvoir prendre du repos. De tous les personnages rencontrés, l’allumeur du réverbère sera le seul dont le Petit Prince aurait aimé se faire un ami, « parce qu’il s’occupe d’autre chose que de soi-même ». Mais voilà, sur la planète du Réverbère il n’y avait pas de place pour deux.

       31 juillet 1944, pour une raison inconnue – hypothèse la plus probable mais non étayée : abattu par un chasseur allemand – le bimoteur P-38 Lightning, aux commandes duquel se trouve, seul, Antoine de Saint-Exupéry, s’enfonce dans la mer, au large de Marseille. Ce jour-là, l’auteur du Petit Prince effectuait une mission de reconnaissances photographiques devant servir à la préparation du débarquement des troupes alliées en Provence, fixé au 15 août suivant. Le Petit Prince, publié voilà tout juste un an à New York, où il s’est réfugié après la défaite de 1940, sera le dernier opus de Saint-Exupéry. En pleine guerre mondiale, il nous adressait un message crypté. Je partage cette idée que son dessin d’une planète envahie par trois baobabs dénonçait la sauvagerie des trois forces de l’Axe que sont alors l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et le Japon.

       D’autres forces de cette même engeance ont ressurgi depuis lors. Elles assombrissent l’avenir de notre planète bleue. Il faut remettre Le Petit Prince dans toutes les mains et dans tous les cœurs. 

     

     

                                                                                                                                                    Claude Tarin

     

                                                                                                                                      Lundi 4 décembre 2023

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :