• De l’artichaut à la peinture à l’huile

     

     

    De l’artichaut à la peinture à l’huile

     Nature morte aux fleurs et aux fruits, Le Caravage, huile sur toile 1601 galerie Borghèse, Rome

     

    Les goûts et les couleurs… Je dois cette curieuse association d’idées à la succulence d’un artichaut cuit à point, c’est-à-dire associant tendreté et croquant, dégusté pas plus tard que l’avant avant-veille et dont la suavité me reste en bouche. L’artichaut ? Prince en ces terres n’en reste pas moins le fruit d’une longue pérégrination, puisque ses lointaines origines nous ramènent au Maghreb, en Égypte et en Éthiopie. Mais c’est à une Italienne, reine de France, après avoir été, la précision s’impose,  duchesse de Bretagne, que ce chardon domestiqué  a commencé à faire saliver les papilles d’outre Alpes. Catherine de Médicis (1519-1589) en raffolait. Mais elle n’était point la seule dans son pays d’origine. Le peintre Michelangelo Merisi da Caravaggio dit Le Caravage (1571-1610) en raffolait tout autant.

    Dans une biographie consacrée à cet accoucheur de chefs d’œuvre, mais querelleur invétéré (Caravage, Fayard), Laurent Bolard nous éclaire sur la quasi addiction de peintre pour ce légume : « Le 24 avril 1604, écrit Laurent Bolard, Le Caravage en commande à l’auberge Del Moro. Quand Pietro, le garçon, les apporte, le peintre veut savoir quels légumes ont été cuisinés au beurre et lesquels à l’huile. Pietro a le malheur de répondre qu’il suffit de sentir. Phrase jugée discourtoise par l’artiste : il jette le plat au visage du serveur, l’insulte et le menace, peut-être même de son épée. L’huile brûle le serveur…et Caravage paie une amende».

    Aussi habile dans le maniement de l’épée – ce qui lui vaudra bien des déboires -  qu’il le fut avec le pinceau, Le Caravage n’a cependant accordé que peu de place, sur ses toiles, à l’artichaut. Bien que ne pouvant en rien me poser en connaisseur de son œuvre, je ne vois guère que le tableau ci-dessus qui éclaire, de manière quasi imperceptible, ce penchant culinaire. Visiblement, fidèle à Bacchus, ce sont surtout les fruits de la vigne qui ont été pour lui, le plus souvent, source d’inspiration.

    Malgré ses qualités intrinsèques, cette nature morte n’est assurément pas une œuvre majeure pour ce maître du dessin et de la couleur qui, bien avant Rembrandt, aura su maîtriser le clair obscur. Et, puisque l’artichaut est au cœur de cette divagation, je ne puis cacher ma préférence  pour ce tableau réalisé par son compatriote milanais  Guiseppe Arcimboldo (1527-1593) alors que celui-ci était le portraitiste officiel à la cour de Prague.

     

    De l’artichaut à la peinture à l’huile

     L'Été de Guiseppe Arcimboldo, huile sur toile (1573), Musée du Louvre, Paris

     

    Bien évidemment L’Été, comme les autres tableaux de la série Les quatre saisons ne représente pas le visage d’un haut personnage ayant dirigé le Saint Empire ; le droit à la caricature n’existait pas en ces temps. Mais ici s’étale une ingéniosité figurative. Avec, jaillissant de la poitrine, tel un glaive planté dans le cœur, un artichaut dont la célébrité n’est plus à faire.

    À ce stade de cette énième chronique, je subodore votre perplexité. Certes l’artichaut aura été et demeure  lui aussi fruit des pinceaux, mais pourquoi un tel rapprochement avec la peinture à l’huile ?

    Ce serait faire preuve d’indigence intellectuelle si je me contentais de le justifier en m’appuyant sur le fait que c’est la vinaigrette qui ajoute à l’artichaut ce plaisir que je partage désormais avec Catherine de Médicis et Le Caravage. Point de vinaigrette sans huile évidemment. Colza ou tournesol ? Les goûts et les couleurs… Mais il me faut avouer ici que ce n’est pas la succulence de ce récent dîner qui me fait dire aujourd’hui, alors même que Ti ar skol se pare chaque semaine des attributs de salle d’exposition, que ma préférence va à la peinture à l’huile. La raison est plus sérieuse, bien évidemment personnelle puisque relevant d’un ressenti qui plonge ses racines… dans le temps.  

    Depuis le début de l’été vous avez peut-être franchi le seuil de Ti ar skol plusieurs fois et, au passage, éprouvé de l’émotion. Si j’avoue, quant à moi, être resté sur ma faim – les goûts et les couleurs…- cela ne tient pas au fait que je n’y ai pas vu le moindre tableau mettant l’artichaut en vedette, mais parce que bien souvent, trop souvent, pour ne pas dire à chaque fois, l’irritation l’a emporté sur toute autre considération.

    Sans m’étendre sur la qualité même du travail exposé, je retiens de ces premières expositions de l’été une appétence affirmée pour l’acrylique par ces peintres qui revendiquent, en toute modestie,  le plus souvent, leur qualité d’amateur. Qu’il soit entendu que cette technique est et sera encore à la source d’œuvres prestigieuses, et que je ne suis pas sans faire également les yeux doux à la gouache ou à l’aquarelle.

    Je n’ai pas les mots pour expliquer ce qui fait qu’au toucher des yeux l’huile dite siccative emporte ma préférence, mais je m’irrite à entendre ces peintres motiver les raisons de leur choix en nous rappelant l’avantage qu’il y a à préférer l’acrylique à l’huile. L’acrylique a pour effet de sécher très vite. Question : l’art de peindre consiste-t-il à gagner du temps ?

     

    Ti ar skol : un mouchoir de poche

     

    Le loisir de la peinture pèse sur le budget et tous ceux qui s’y adonnent n’ont pas d’emblée la certitude de pouvoir s’appuyer sur des commandes comme ce fut le cas pour ces peintres qui n’ont pas eu l’heur de connaître la peinture en tube, mais qui se sont montrés maîtres dans l’art et la manière d’utiliser l’indigo, la gaude, le noir d’os et bien d’autres pigments naturels pour les associer à l’huile et en tirer le bleu, le jaune, le rouge et ce vert… artichaut. La tentation de s’imposer par le nombre ne date pas d’aujourd’hui, mais elle semble désormais s’imposer chez tous ceux qui franchissent le Rubicon en exposant des toiles souvent fraîchement peintes mais à peine sèches. La technique permettant de sauter vite fait d’une toile à l’autre, on espère ainsi multiplier ses chances de convaincre.

    De mon point de vue, ils et elles gagneraient sur tous les tableaux en donnant du temps au temps pour présenter au public le ou les tableaux que ces artistes peintres ne souhaiteraient pas vendre, parce que ce travail serait en soi un aboutissement ou, pour le moins, une évolution significative. J’y ajoute le souci qui devrait être le leur de penser à la présentation de leur travail. Quitte à utiliser toutes les cimaises, construire le meilleur cheminement possible.

    La salle de Ti ar skol est un mouchoir de poche et ses murs sont trop souvent chargés au point de nuire à la présentation d’ensemble. Il n’y a pas que sur la toile qu’il convient de trouver le nombre d’or. Dès les premiers pas le visiteur ne demande qu’à être séduit pour, au-delà d’un éventuel coup de cœur, comprendre la démarche de l’artiste peintre. Ce n’est pas la première fois que j’évoque ce qui pour moi pose problème. Disons que j’enfonce à nouveau le clou.

     

                                                                                                                                                   Claude Tarin

                                                                                                                                         Lundi 8 août 2021

     

     

    Haïkerm pour les Astéracées

     

    De l’artichaut à la peinture à l’huile

     leurs d'artichauts de Jérusalem par Claude Monet, huile sur toile (1880)

     

    Ce n’est pas faute d’avoir cherché, mais je n’ai pas trouvé matière à expliquer ce qui vaut au topinambour, le nom d’artichaut de Jérusalem. Ni par ses origines, ni par une tradition culinaire, le topinambour a un rapport quelconque avec Israël.

    Ces recherches m’ayant fait découvrir ce tableau de Monet m’ont finalement amené à pénétrer un peu plus dans le monde des Astéracées, une famille dans laquelle le topinambour côtoie l’artichaut et le tournesol, dont Van Gogh aura été le thuriféraire.

     

    De l’artichaut à la peinture à l’huile

     Les Tournesols, Van Gogh, huile sur toile (1888), Neue Pikanothek de Munich, Allemagne

     

    Si l’huile de l’un associé aux feuilles et au cœur de l’autre ont l’heur de satisfaire le palais, force est de reconnaître que le topinambour ne bénéficie en rien, du moins chez nous, d’un tel intérêt. Cela tient assurément à des souvenirs d’enfance irrigués par des propos parentaux peu amènes envers le topinambour et le rutabaga, légumes de substitution et de subsistance pendant les années d’occupation.

    À ce qu’il se dit, le topinambour aurait un goût se rapprochant de celui de l’artichaut. Alors, pourquoi pas lui (re)donner sa chance ?

    La photo ci-dessous sommeillait depuis sept ans sur le disque dur de l’ordinateur. Elle me permet de conclure cette divagation par un haïkerm à caractère œcuménique puisque qu’à travers cet océan vert artichaut éclairé par l’ocre rouge du phare de Bodic, elle rend implicitement hommage à toutes ces plantes de la famille des Astéracées que des œils avertis ont su, quant à eux, mettre remarquablement en lumière

    Vigie de la mer

    Au cœur d’un champ d’artichauts

    Ocre rouge et vert

     

    De l’artichaut à la peinture à l’huile

     


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