• D'une vague à l'autre

     

    Interprétation abusive ? Simple illusion d’optique ? C’est une puissante vague d’émotion qui a déferlé à travers l’écran de télévision, ce mercredi 14 février, lors de la retransmission de l’hommage rendu à Robert Badinter, en plein cœur de Paris, place Vendôme, face aux locaux du ministère de la Justice ; un lieu inhabituel pour un hommage de cet ordre ; un cérémonial tiré au cordeau ; un grand moment de retour sur nous-mêmes.

    Nous, car c’est au titre de témoin que j’exprime, ce jour, l’irréfutable reconnaissance que nous devons à cet homme « hors du commun », selon la formule consacrée, lequel, à force de ténacité, a rendu sa dignité à notre pays.  Claude Buffet, Roger Bontemps, Patrick Henry…des visages découverts, sur le petit écran et dans les gazettes, à l’occasion de procès et plaidoiries retentissantes. Deux cous tranchés, pour l’exemple ; une tête sauvée, contre vents et marées ; puis la cohérence d’un combat parachevé en 1981 par l’abolition de la peine de mort. Le flot incessant de l’actualité depuis un demi-siècle ne nous avait en rien fait oublier le grand mérite qu’aura été celui de Robert Badinter : nous ramener à la raison, celle d’un humanisme intransigeant, de portée universelle. Puisse le bruit de cette vague conserver son intensité ?

    Mais au lendemain de l’adieu, ce n’était que prévisible, cette vague du souvenir, malgré sa charge émotionnelle, n’a en rien balayé les craintes du présent, donc de l’avenir. Le jour-même où le ministère de la Justice ouvrait un registre pour que les Parisiens puissent venir témoigner leur reconnaissance à cet avocat de renom devenu Garde des Sceaux, une poignée d’individus s’étaient réunis autour de la tombe de Robert Brasillach, pour rendre hommage à celui qui fut le rédacteur en chef du journal Je suis partout, journal collaborationniste et antisémite, durant les années d’Occupation.  Que l’on ne s’y trompe pas ! La bête immonde du nazisme rôde toujours et fait de nouveaux émules au sein même de la jeunesse ; en avançant masquée, déjà salivante à l’idée de pouvoir « démocratiquement » reconquérir son pouvoir de malfaisance ; car, nul ne peut être dupe, des hommes et des femmes qui se croient être de race supérieure ont une lecture des principes démocratiques dépourvus d’humanisme.

    Leur confier les clés du pouvoir ne changerait en rien le sort de ceux qui se considèrent, souvent à juste titre, comme les oubliés, les invisibles dans ce pays. Les « fortunés », qui agissent sous le boisseau pour arriver à cette fin, n’auront pas plus de considération qu’ils n’en ont aujourd’hui pour ces « gens de peu » qui n’ont à leurs yeux pour seul intérêt de déposer dans l’urne le « bulletin qu’il faut ».

    Ne laissons pas se former plus avant la vague brune ! Ce n’est plus un simple clapotis ! Et ce, sans attendre la prochaine échéance électorale ! En quoi faisant ?

    En rappelant, à chaque occasion qui se présente à nous, que ce n’est pas en se réfugiant dans la peur des autres que l’on cimentera de façon durable une société qui, quels que soient les progrès qu’elle pourra accomplir, n’aura de cesse de veiller à son avenir.

    Aux politiques, qui, ce mercredi, se sont rassemblés autour d’un cercueil drapé de bleu blanc rouge, de faire la preuve qu’ils ont fait leur ce message d’humanisme que n’a eu de cesse de nous adresser le défunt, et qu’ils seront à même de faire front commun pour nous éviter le pire.

    Ils ont l’expérience du pouvoir ; ils connaissent la difficulté de l’exercice ; ils n’ont pas tous les mêmes solutions à nous proposer pour défendre l’intérêt général ; mais ils doivent répondre à une exigence commune : maintenir la France et, par extension, l’Europe, hors du cercle des pays doctrinaires, totalitaires, qu’ils soient théocratiques ou non. 

    L’émotion qui a été la mienne, dès le jour de l’annonce du décès de Robert Badinter, se nourrissait déjà d’une triste nouvelle. La veille, nous apprenions la mort d’Alfred Grosser, à l’âge de 99 ans. Sur bien des points, tous deux juifs de naissance, ces deux personnalités n’ont cessé d’être des lanceurs d’alerte.

    Comme le rappelait Ouest-France, dans son édition du 9 février dernier, Alfred Grosser, politologue, sociologue et historien franco-allemand (qui fut, entre autres collaborations, chroniqueur dans ce grand quotidien régional), se méfiait des généralisations. « Les Juifs, les Allemands, les Français, ces généralisations doivent être combattues » disait-il. Je ne puis que reprendre à mon compte cette idée en disant que tous les Français qui, pour l’heure, semblent sensibles à la propagande des mouvements d’extrême-droite ne sont pas (encore) des fascistes ni des nazis ; qu’il y a tout simplement chez ses concitoyens un sentiment de détresse et d’incompréhension. Le « Y a qu’a », qui surfe sur les multiples complexités de notre monde, est un va-tout qui ne leur permettra pas de sortir de l’ornière.

    Là où nos compétences nous permettent de formuler un avis, n’hésitons pas à le formuler, pour prendre notre part à la construction de cette digue sur laquelle - persuadons- nous-en ! -  viendra se fracasser cette vague brune.

    Si, ce jour, j’use et abuse de la métaphore de la vague cela tient à ce qui nous a été rappelé lors des ces journées d’hommages rendus à Robert Badinter. Sur le plateau d’Apostrophe, célèbre émission du temps jadis, répondant à la question de Bernard Pivot « Quel est le son, votre bruit préféré ? » Robert Badinter avait répondu : « la vague, celui de la mer ». Comment pourrais-je taire cette satisfaction d’entendre une personnalité de cet ordre placer spontanément, lui aussi, la vague dans sa quête du bien être…Mais il y a vague et vague !

    Robert Badinter aura voué une admiration sans faille à Victor Hugo lequel, comme cela a été souligné à maintes reprises ces jours derniers, aura été le premier à vouloir supprimer la peine de mort ; aussi vais-je conclure ce propos circonstancié par deux extraits tirés de l’œuvre de celui que l’on a qualifié « L’homme océan ».

    Tout comme Roger Badinter et Alfred Grosser l’ont été, Victor Hugo fut un Européen convaincu de la première heure. Voici ce qu’il avait déclaré lors du Congrès de la Paix de 1849

    « Un jour viendra où la guerre paraitra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Petersburg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu’elle serait impossible et qu’elle paraitrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où la France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne (…). Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d’un grand Sénat souverain qui sera à l’Europe ce que le Parlement est à l’Angleterre, ce que la Diète est à l’Allemagne, ce que l’Assemblée législative est à la France

    Hugo, le monarchiste devenu républicain, le patriote, se faisait alors le chantre d’une Europe unie, « irriguée par la vérité et la justice ». Un visionnaire. On mesure aujourd’hui le chemin qu’il nous reste à parcourir pour que cet espoir puisse se consolider.  Il faut redonner à la vague bleue une intensité plus que suffisante pour que le vaisseau Europe puisse naviguer plus sereinement.

    Tout juste revenu de son exil sur l’île de Guernesey, meurtri par la guerre de 1870 contre l’Allemagne, Victor Ugo continuera à éveiller les consciences. D’un poème, publié en 1872 dans un recueil intitulé : « L’Année terrible », j’extrais ces quelques lignes :  

     

    Pendant que la mer gronde et que les vagues roulent,

    Et que sur l’horizon les tumultes s’écroulent,

    Ce veilleur, le poète, est monté sur sa tour.

     

    Ce qu’il veut, c’est qu’enfin la concorde ait son tour.

     

    Soyons tous des poètes vigilants mais volontaires ! 

     

     

                                                                                                                     Claude TARIN

                                                                                                                     Jeudi 15 février 2024

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Joëlle
    Samedi 17 Février à 16:07

    Un beau texte ! Tu offres une réflexion profonde et poignante sur l'hommage rendu à Robert Badinter et les défis persistants auxquels la société est confrontée. C'est une analyse perspicace et engageante sur l'héritage de Badinter, tout en soulignant les défis contemporains liés à la préservation des valeurs démocratiques et de l'humanisme. 

     

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