• Allons enfants de la Patrie !

     

    La Marseillaise ! En glissant l’hymne patriotique dans le package de survie de l’esprit civique, le Président de la République m’offre l’opportunité de discourir sur un débat qui me secoue les méninges depuis fort longtemps.

    D’abord, que cela soit bien clair ; je ne peux nier le trouble émotionnel que je ressens dès que sonnent les premières mesures ; côté cœur, les palpitations vont bon train. À quoi cela tient-il ?

     À l’école ?

    J’ai beau fouiller dans ma mémoire de vétéran, je ne me revois pas dans la cour de récréation, ni dans la salle de classe, répétant mes gammes, raide comme un piquet, blouse grise sur le dos et godillots bien cirés. Idem au collège ou au lycée.

    Sous l’uniforme, durant le service militaire ?

    Pour marcher au pas, il y a mieux et c’est sur des fanfares, agrémentées de paroles dont je n’ai jamais cherché à mesurer la supposée « incommensurable profondeur », que j’ai appris, fusil sur l’épaule, à mettre un pied devant l’autre, à la même cadence que mes compagnons d’arme. « Gauche ! Gauche ! Dans la troupe, y a pas de jambes de bois… »

    Alors ? Où et quand ?

    À doses homéopathiques très certainement.

    Dès mon plus jeune âge, aux côtés des parents, lors des commémorations des deux grandes guerres devant le monument aux morts de la commune ; émotion garantie avec la sonnerie Aux morts. Ici, pas besoin de paroles.

    À l’occasion des défilés du 14 juillet, l’incontournable rendez-vous patriotique.

    Mais toujours, sans en avoir été ni forcé ni contraint ; au fil des circonstances et des émotions partagées.

    Tel une boisson chaude qu’il faut laisser infuser, le son du clairon a fini par irriguer ce sentiment d’appartenance à une collectivité que j’ai appris à nommer Patrie ou Nation.

    L’esprit patriotique au forceps ?

    Contrairement à ce que pense le chef de l’État, vouloir contraindre gamins, élèves et potaches, tout juste sortis de l’apprentissage de l’alphabet, à ingurgiter la prose de Rouget de l’Isle risque fort de ne pas avoir les effets escomptés.

    D’ailleurs, il y a beaucoup d’hypocrisie sur les bancs de la classe politique. Combien d’élus siégeant à l’Assemblée nationale ou dans l’hémicycle du Sénat seraient capables, dans l’instant, à chanter, sans la moindre hésitation, les six couplets d’affilée, car six couplets, au moins, il y a ; auxquels s’ajoute celui destiné aux des enfants.  Je ne leur fais pas ici la leçon car je serai moi-même infichu de le faire, mais je les mets au défi de combler au plus vite cette lacune pour se montrer exemplaires. Chiche !

    Que l’on ne vienne surtout pas me reprocher de manquer à mes devoirs de citoyen en égratignant ainsi un symbole fort de la République !

    En me rafraîchissant la mémoire sur l’historique de La Marseillaise, j’ai réappris que cet hymne, enfant de la Révolution, a suscité, depuis lors, moult controverses ; je vous laisse le soin de valider cette affirmation en interrogeant, comme je l’ai fait, Wikipedia. Je ne fais donc ici que reposer les termes d’un débat que les propos d’Emmanuel Macron devraient nous conduire à mener.

    Cette émotion qui me saisit dès que s’élèvent les premières mesures de notre hymne national – il en va de même pour bien d’autres - s’estompe, pour ce qui me concerne, presque aussitôt, le refrain pas encore achevé.

    Si du temps de la Révolution, il était de bon ton d’en finir avec un pouvoir monarchique reposant sur un socle de courtisans au sang bleu puisqu’anoblis, ce sang impur dont il nous faut nous abreuver me reste dans la gorge. C’est quoi le sang impur ?

    Toujours celui des Autrichiens, comme en 1792 ?  Celui des juifs, des tziganes et autres soumis à l’ignorance populaire à travers les siècles et que les tenants du nazisme ont voulu exterminer une fois pour toute ? Celui des arabes ? Des Chinois ? Des Indiens ? Des Canaques ? Des Africains ?

    D’accord, ce sang qui est le nôtre est impur au regard de ces fanatiques sanguinaires brandissant l’étendard de la Charia. La tentation du « œil pour œil dent pour dent » est forte et il en va, en effet, de l’intérêt général de nous prémunir de ce fléau. Mais ne tombons pas dans le piège d’une vengeance aveugle et discriminatoire dont nombre de leurs coreligionnaires, mais concitoyens à part entière et républicains dans l’âme, en subiraient les conséquences. Le temps des croisades est révolu.

    Faut-il rappeler à certains tenants de « la France aux Français » qu’ils sont les héritiers, souvent en ligne directe, de citoyens qui, l’envahisseur ayant imposé ses vues, se sont empressés d’écrire un hymne de substitution -Maréchal nous voilà – tout en devenant complices d’une barbarie sans nom, si ce n’est celui de la Shoah.

    Cela fait tout juste cinquante ans, Giscard d’Estaing, prédécesseur d’Emmanuel Macron dans cette fonction élyséenne, avait exigé que l’on en revienne à une Marseillaise moins tonitruante, se rapprochant plus de la manière dont les anglo-saxons ont conçu leurs propres hymnes ; une Marseillaise moins martiale, plus lente dans son exécution. Peut-être, dans son for intérieur, souhaitait-il qu’on en vienne également à apporter quelques modifications au texte.

    Tous les gens de ma génération se souviennent également de La Marseillaise reggae de Serge Gainsbourg, gravée, cinq ans plus tard, dans le sillon de l’album « Aux armes et cœtera ». Un scandale innommable aux yeux des milieux les plus conservateurs. Le chef de l’État n’était encore qu’un poupon. Prendrait-il, aujourd’hui, la défense de ce « monstre sacré » de la scène internationale ?

    Deux « tempêtes » sans lendemain. Dès l’élection de François Mitterrand, la version IIIème République était rétablie dans son rythme, la prose n’ayant subi aucune modification entretemps.

    C’est sur ce point que notre Président, par ailleurs si soucieux, tout comme nous, de l’avenir de l’Europe, a manqué cruellement de jugeotte ou, dans son entourage, d’avis éclairés par l’esprit des Lumières. Tout en conservant cette sonorité martiale comme cela semble être dans ses intentions, il y avait là matière, pour lui, à faire d’une pierre deux coups : demander une réécriture du texte qui, tout en soulignant la fierté que l’on doit éprouver à être citoyen français, nous la fait partager avec tous les Européens et, à plus long terme, avec le reste du monde. Et laisser, au fil des manifestations, les mots vantant l’universalité diffuser dans les esprits, sans inutiles contraintes. Pour le rendez-vous des Jeux Olympiques, il n'est peut-être pas trop tard.

    Je ne peux croire qu’Emmanuel Macron ignore que La Marseillaise ne se limite pas aux six couplets de Rouget de l’Isle, qu’elle s’est « enrichie », du moins dans son amplitude, de huit couplets supplémentaires. Or, il s’en trouve un qui, moyennant un léger coup de gomme, pour effacer cette suffisance qui est la nôtre à nous croire le nombril du monde, aurait toute sa place dans une Marseillaise repensée et plus respectueuse.

     

     La France que l'Europe admire

    A reconquis la Liberté

    Et chaque citoyen respire

    Sous les lois de l'Egalité.

    Un jour son image chérie

    S'étendra sur tout l'univers.

    Peuples, vous briserez vos fers

    Et vous aurez une Patrie !

     

    Je ne mésestime en rien les problématiques qui se posent au plus haut sommet de l’État. Tant sur le plan intérieur qu’à l’international, cela équivaut à tenter de résoudre, jour après jour, la quadrature du cercle.

    Durant sa conférence de presse sur la thématique du réarmement, le Président a, comme il en a le droit, coiffé la casquette du commandant en chef ; des armées, mais pas seulement ; du bateau sur lequel nous sommes tous embarqués.

    Chacun à son poste, nous a-t-il fait savoir. Et tout se passera pour le mieux !

    Mais il semble avoir oublié qu’il y a une règle intangible en matière de navigation :

    s’il est trop tard pour faire marche arrière, il faut toujours faire face à la vague.

    Tribord ? Bâbord ? Gare à ce coup de barre trop prononcé qui, dans un sens comme dans l’autre, amènerait le navire au travers de la vague. Or, en appelant les Tribordais à souquer ferme sans compter sur les Bâbordais, Emmanuel Macron a pris ce risque. Pourquoi a-t-il fait fi de sa conviction première, son fameux « En même temps. »

    Nous nous sentirions rassurés si tous les partis de gouvernement soucieux du maintien de la démocratie avaient été sollicités pour faire face à la montée des périls. Cela s’appelle : l’Union nationale.

    Faut-il se faire du mauvais sang ? Le pire est devant nous, mais nous pouvons encore espérer « passer la vague »

    Enfants de la Patrie ! la partie n’est pas encore perdue

     

    Aux rames, citoyens !

    Souquons à l’unisson !

    Ramons ! Souquons !

     Sang-froid nous garderons

     Ensemble nous gagnerons !

     

     

                                                                                                                                     Claude Tarin

                                                                                                                    Samedi 20 janvier 2024


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