• A propos d'un certain Nouveau Monde

     

     Les circonstances m’ont amené (précédente chronique La planète des Fous) à annoncer plus rapidement que prévu, après quasiment un an de silence, mon intention de redonner vie à ce blog sous un nouvel intitulé. Le Point K n’était destiné à naître sur les cendres de Kermouster…l’humeur du jour que dans le courant de la mi-décembre ; avec pour premier thème de réflexion : le message en déshérence de la Symphonie du Nouveau Monde d’Antonin Dvořák, une symphonie, la neuvième de ce compositeur Tchèque, qui chaque fois que je l’écoute, a le don de me transporter dans un « autre monde », celui où règne la concorde universelle.

       Pour avoir consulté la programmation du Carnegie Hall, le grand auditorium new-yorkais où elle a été exécutée pour la première fois le 16 décembre 1893, j’ai constaté, à regret, que le pays de L’oncle Sam n’allait pas être au rendez-vous du 130ème anniversaire. C’est dans cette mythique salle de concert new-yorkaise qu’un tel anniversaire se devait d’être fêté…même si, fort heureusement, elle fait depuis lors partie des « incontournables » du grand répertoire, à travers le monde. Il n’en reste pas moins vrai que le pays qui l’a vu naître n’est pas celui qui colle le mieux à l’humanisme qui suinte entre les notes de cette merveilleuse et envoûtante partition.  

       C’est à cela que je pensais ce lundi dernier quand, découvrant le visage hilare du vainqueur de l’élection en Argentine, je n’ai pu retenir mon envie d’expulser, sans plus attendre, cette angoisse qui ne me lâche plus depuis que je suis contraint de reconnaître que la volonté du peuple, dans des pays dits démocratiques, peut encore, au XXIème siècle, nous amener au pire.

       Sans un excès de naïveté, pour m’en tenir au pays qui s’honore d’avoir accueilli en son sein la statue de La Liberté éclairant le monde, j’ai longtemps voulu croire, que de ce côté-là de l’Atlantique, ce message humaniste d’Antonin Dvořák, portait enfin ses fruits ; mais l’élection à la Présidence des Etats-Unis de Barak Obhama aura été un trompe l’œil ; elle a masqué les réalités sociétales, minées par le racisme, que ce compositeur européen aura découvert par lui-même le 27 septembre 1892 en mettant le pied sur ce continent, quatre cents tout juste après Christophe Colomb.

       Ce n’est pas sans se faire prier que Dvořák, modeste fils de boucher dont la célébrité sur le plan musical n’était déjà plus à faire, a répondu favorablement à la demande qui lui était faite de venir sur place prendre en charge un tout nouveau conservatoire, tout en mettant à profit son contrat pour composer une symphonie typiquement américaine, la plus possible dégagée du carcan de la musique allemande ; n’avait-il pas réussi, alors que son pays demeurait soumis à la tutelle politique et culturelle autrichienne, à se libérer de cette prégnance, tout en restant admiratif et humble face à ses célèbres prédécesseurs germaniques que sont Beethoven et Wagner, pour ne citer que ces deux grands symphonistes. Mais l’Amérique, c’était loin, c’était s’éloigner trop de temps de cette terre natale qu’il aura chérie plus que tout. Il finira par accepter et honorera les espoirs mis en lui.

       Dans l’entretien qu’il a accordé au New York Herald, au lendemain de cette création, Antonin Dvořák  explique en ces termes le sens de sa démarche : « Je pense que la musique des Noirs et celle des Indiens, sont pratiquement identiques aux modèles européens utilisés par Mendelssohn, les anciens modes ecclésiastiques, Félicien David dans sa Symphonie «Le Désert», Verdi dans «Aïda » et moi-même dans ma Symphonie en ré mineur. J'ai donc étudié attentivement un certain nombre de mélodies indiennes qu'un ami me donna, et m'imprégnais complètement de leurs caractéristiques…en fait de leur âme. »

       Profondément croyant, Dvorak a jeté un regard lucide et sans a priori sur ce Nouveau Monde où il va séjourner trois ans durant. Mais la salve des applaudissements qui a salué sa Neuvième Symphonie ne peut faire oublier qu’il se trouva d’autres éditorialistes et d’autres compositeurs pour dénigrer et regretter qu’il ait donné la parole à ce que d’aucuns considèrent alors comme des êtres n’appartenant pas à ce peuple américain, si ce n’est de races inférieures.

       Bien avant ces deux journées du sacre,  Dvořák  avait annoncé la couleur : « Je suis à présent convaincu que le futur de la musique de ce pays devra prendre sa source dans ce que l’on appelle les mélodies nègres » avait-il déclaré courant mai 1893 au New York Herald.

       Depuis son arrivée à New York, Dvořák avait pu apprécier cette musique à travers la voix de Harry Burleigh (1866-1919), un jeune élève noir du Conservatoire dont il avait été appelé à diriger la programmation musicale. Et il y avait déjà plusieurs années qu’il avait en tête une œuvre du grand poète américain Henry Longfellow (1807-1882). Le chant de Hiawatha est un élément clef de sa neuvième symphonie.

       Cette première déclaration aura heurté une opinion empreinte de préjugés racistes car Dvořák laissait déjà entendre que l’on peut créer une école nationale américaine fondée sur un héritage non européen Dans l’édition du New York Daily Tribune du 7 janvier 1894, Henry Krehbiel balaye, d’un trait de plume acéré, le propos tenu par le compositeur américain George Chadwick reprenant cette idée que de « telles mélodies ne peuvent devenir la base d’une école américaine de musique ». « Ces chants, lui rétorque Henry Krehbiel, quoiqu’ils contiennent des intervalles et des particularités rythmiques d’origine africaine, sont le produit des institutions américaines, mais aussi d’un environnement social politique et géographique où ont été placés les esclaves noirs […]. Le matériau brut peut bien être étranger, le produit fini est natif de l’Amérique ».

       Aujourd’hui, cent trente ans après la création de cette symphonie, nul ne peut contester que Dvořák a été un précurseur. L’Amérique a donné naissance à de talentueux compositeurs qui ont su plonger dans les jeunes racines de ce Nouveau Monde. Ils ont incontestablement contribué à jeter des passerelles entre les diverses composantes de ce grand pays. Toute œuvre musicale digne de ce nom doit déboucher sur une transcendance.

       Hélas, le message de ce qui aurait pu devenir la symphonie de référence pour les Etats-Unis est aujourd’hui en déshérence, notamment dans ce pays d’où il a émergé  

       Je me console en me disant que ce vendredi soir France Musique fera entendre sur son antenne cette Symphonie du Nouveau Monde, en deuxième partie d’un concert de l’Orchestre symphonique de Radio France, dirigée par une jeune chef finlandaise de tente ans, Emilia Hoving.

     

    ·         SourcesAntonin Dvořák  , Guy Erismann, (Editions Fayard), Dvořák in America, Joseph Horowitz Ed. Cricket Book) ; Antonin Dvořák , Philippe Simon, (Coll. Mémophiles,Ed. Papillon)

     

                                                                                                                                   Claude Tarin

                                                                                                                     Kermouster 23 novembre 2023


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