• Poulpes et danseuses en piste à Ti ar skol

     

    Au premier coup d’œil, rassuré ; d’emblée; je sais que ce ressenti est pleinement partagé par de nombreuses personnes ayant, elles aussi, franchi le seuil de Ti ar skol, qui accueille, depuis le début de la semaine, cinq exposants venus de Pontrieux. Aux quatre exposantes annoncées (Freya Recksiek, céramiques, Céline Saunier, vannerie, Anne Bourdon, peintures, Laurence Maillard, papier sur fil de fer fil de fer) s’est joint entre-temps Raphaël Loubaton. Quatre, c’était déjà beaucoup ; dès lors, comment ne pas craindre qu’à cinq la salle d’exposition, comme cela s’est déjà produit, prenne l’allure d’un bric-à-brac, quelles que puissent être l’excellence (ou non) des œuvres exposées. Compréhensible mais vaine appréhension comme on a pu et peut encore le constater, jusque ce dimanche fin d’après-midi !

     

     Il faut ici féliciter ces créateurs d’avoir su concocter une exposition digne de ce nom. En peinture, on parle du nombre d’or ; à Ti ar skol le nombre n’a pas nui au tableau général, le point d’équilibre entre ces cinq exposants ayant été judicieusement trouvé. Leurs talents respectifs n’en ont été que bien mis en valeur.

     

     

     Poulpes et danseuses en piste à Ti ar skol

     Laurence Maillard présentant une de ses compositions

     

    Ce sont d’abord des petites danseuses des mobiles de Laurence Maillard qui captent le regard. On en vient à espérer que le vent puisse s’engouffrer dans la salle pour que ces ballerines papier fil de fer s’élancent dans un gracieux ballet. Drapées dans leur simplicité apparente, ces charmantes créatures vous entraînent dans une valse à mille temps ; pour ce qui me concerne, celle des lointains souvenirs : le Lac des cygnes, musique Tchaïkovski, tant de fois regardé à la télévision, ou, cette fois sur grand écran, le West Side Story des années 1960, celui du chorégraphe Jérôme Robbins, musique de Léonard Berstein. Laurence Maillard n’est pas chorégraphe, mais ses danseuses étoiles, aux tutus aquarellés, imbibés d’une lasure à base de soja, ont déjà figuré dans des spectacles aux côtés de danseuses en chair et en os. Elles ont un charme fou.

     

    Toutes aussi belles sont les poulpes de Freya Reksiek. Je sais, la pieuvre* suscite plutôt à première vue de l’épouvante. Il faut le dire, injustement ! Les naturalistes vous expliquent combien ce céphalopode à une tête bien faite et que ses neuf cerveaux, dont un par tentacule, lui permettent de danser voluptueusement dans la masse d’eau, en faisant souvent des pointes sur ces huit pieds.

     

     

    Poulpes et danseuses en piste à Ti ar skol

    Freya Recksiek ( gauche) et Céline Saunier

     

     

    En accordant la priorité à ces poteries animalières, Freya Recksiek, ne fait, là, aucunement preuve d’opportunisme comme d’aucuns pourraient le penser. Car, en effet, le minard – autre appellation de cet octopode – est en passe de réinvestir les côtes du secteur, après avoir totalement disparu au sortir du rigoureux hiver de 1963. Freya Recksiek n’était pas encore née et cette américaine ne fait ici que puiser dans la mer une source d’inspiration lui permettant de diversifier ses créations. D’ailleurs, à bien l’écouter, réaliser des céramiques de cette nature nécessite un sacré tour de main. Freya Recksiek dit n’en réaliser tout au plus qu’une par an. Le rendez-vous avec Kermouster, balcon au-dessus de la mer, l’a tout simplement poussée à mettre les bouchées doubles.

     

    Originaire de North Kingstown, comté de Washington dans le Rhode Island, Freya Recksiek aura peut-être retrouvé ici, face à l’estuaire du Trieux des impressions d’enfance. Elle avait vingt ans quand elle a quitté la rive de la baie de Narraagansetth pour venir se construire en France. Après moult expériences et une escale au musée de la céramique à Ger, commune de l’Orne, elle a fini par jeter l’ancre à Pontrieux voilà six ans. North Kingstown est le lieu de naissance du peintre Gilbert Charles Stuart 1755-1828). Son portrait de George Washington lui vaut postérité. Freya Recksiek n’a pas l’heur de connaître Charles Thorndike (1875-1935), notre célébrité locale qui lui est né à Boston, non loin du Rhode Island, mais elle conserve le souvenir de ce portrait de George Washington qui vous suit de son regard pénétrant.

     

    Pour Céline Saunier, la participation à cette exposition repose sur son goût retrouvé pour la vannerie. Retrouvé, car elle avait découvert l’art de tresser l’osier à Fayl-Billot, il y a une vingtaine d’années. Je n’aurai de cesse de l’écrire : on en apprend tous les jours, car ce village de Haute-Marne inconnu jusqu’à ce jour, pour ce qui me concerne, n’est plus ni moins que la capitale de l’osiériculture et de la vannerie.

     

     

    Poulpes et danseuses en piste à Ti ar skol

    La vannerie pour Céline Saunier, également illustratrice d'un joli conte pour enfant

     

     

    Depuis quatre ans, Céline Saunier s’est remise à l’ouvrage, dans son atelier de Pontrieux, atelier qu’elle partage avec Laurence Maillard. Sans renier l’intérêt de ses réalisations « ordinaires », elle entend faire évoluer son art avec un supplément de créativité, en cultivant l’espoir qu’elle pourra toujours s’adresser à des osiériculteurs de métier pour se procurer sa matière première.

     

    L’exposition de Kermouster nous révèle un autre de ses talents puisqu’elle vient d’illustrer de fort belle façon un conte pour enfants (Papa s’est perdu) qui, aux dires de son auteur, Marc Daniel, a vu le jour par grand vent sur le sentier des douaniers qui sillonne les falaises de l’Armor. Est-ce au pied de la falaise de Minard que ce conte a trouvé une issue heureuse ? Est-ce en rapport avec ces poulpes qui peuplaient la baie de Saint-Brieuc que l’on a donné ce nom à cette falaise ?

     

    « J’ai peur que lui aussi s’attriste à peindre le bleu de la mer, on oublie que souvent les artistes cherchent le rose de l’univers... » Ainsi s’exprime la jeune fille qui s’inquiète de ne pas voir revenir son père, artiste peintre souffrant de la disparition de son épouse. Voilà de quoi alimenter une discussion avec Anne Bourdon, l‘autre comparse de cette exposition. Car avec ses œuvres picturales, on ne s’éloigne guère du grand bleu. La couleur bleue est connue pour ses vertus relaxantes et sédatives. Le bleu réduirait la pression artérielle, le pouls et le rythme respiratoire. De là à voir la vie en rose...

     

     

    Poulpes et danseuses en piste à Ti ar skol

    Anne Bourdon, l'art-thérapie par la peinture

     

     

    Ce n’est qu’après avoir discuté avec Anne Bourdon que j’en viens émettre une telle réflexion puisque, au-delà du plaisir de peindre pour elle même, cette plasticienne, psychologue de profession, pratique l’art-thérapie, c’est à dire qu’elle tire parti des couleurs pour induire différentes émotions chez les personnes. Indéniablement, ses tableaux et triptyques sous forme de kakejiku ont enveloppé les créations des autres participants dans une paisible atmosphère.

     

     

    Poulpes et danseuses en piste à Ti ar skol

    Raphaël Loubaton et Freya Recksieck devant leurs compositions respectives

     

    Poulpes et danseuses en piste à Ti ar skol

     

    Ne reste plus qu’à poser l’œil sur les réalisations de l’artisan ébéniste Raphaël Loubaton, harmonieusement disposé dans cet espace exigu qu’est Ti ar skol. Là encore, le design est convaincant. Ainsi, ces tables gigognes associant le beige crème du frêne au rouge violet de l’amarante, un bois en provenance de Guyane. Raphaël Loubaton conçoit du mobilier avec des assemblages en bois, sans connections métalliques, sans clous, sans vis en ayant pour seul fil conducteur, le fil du bois

     

    Ce dimanche soir, Raphaël Loubaton et ses partenaires quitteront Kermouster. Une exposition a un côté éphémère. Je ne puis que vous inviter à remonter la rive gauche du Trieux jusque Pontrieux pour, dans leurs ateliers respectifs, parfaire ce qui n’aura peut-être été qu’un premier contact (voir ci-après).

     

     

                                                                                                                                   Claude Tarin

                                                                                                                    Samedi 30 juillet 2022

     

     

    * Selon certaines sources, l’appellation pieuvre est empruntée aux pêcheurs de Guernesey et ce serait Victor Hugo qui l’aurait francisé dans son roman Les Travailleurs de la mer.

     

     

    Pour prolonger l’exposition de Ti ar skol

     

    Raphaël Loubaton, Galerie ZINA-O

    Céline Saunier et Laurence Maillard, Atelier tout en l’air

    Freya Recksiek, Atelier Khnoum

    Anne Bourdon, ourdan967@gùail.com


  • Commentaires

    1
    Anne Bourdon
    Lundi 1er Août 2022 à 09:36
    Merci beaucoup pour ce bel article. En retour je souhaite vous envoyer une photo par mail.Une belle poursuite de l'été à tous les kermousteriens
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