• Du mot à la parole

    Je le dis d'emblée. Covidis 19 est du genre masculin, n'en déplaise à l’Académie française. Le masculin est mieux à même d’endosser le côté malfaisant de ce coronavirus ô combien anxiogène. Et qui a eu incontestablement des effets contestables sur notre façon de parler. L'Académie française va devoir se pencher sur les nouveaux mots que ce virus a engendrés.

    Plusieurs médias en ont déjà fait l’inventaire. Le Covid 19 ne s’est pas contenté  de passer par les narines ou la gorge pour s’en venir infester les poumons, il a déposé sur notre langue toute une série de mots nouveaux, voire anciens mais peu courants, comme asymptomatique. Un effet positif puisque enrichissement du cerveau il y a me  direz-vous! Je vous l’accorde. J’y vois en effet la preuve que notre langue, le Français, reste bien vivante, imaginative quitte, parfois, à lancer des emprunts dans nôtre environnement proche. Le cluster, par exemple, dont j’ai parlé dans la précédente chronique Avec la tentation, finalement avortée, de lui donner, compte tenu du thème choisi, une consonance française : le clustair. Je le replace.

    Même si ce mot dérivé de l’anglais, signifiant agglomérat, a depuis longtemps les honneurs de nos dictionnaires, il n’avait guère d’usage dans le parler de tous les jours, celui de l’homme de la rue. Les bonnes volontés et la solidarité qui ont marqué la vie du hameau ces dernières semaines pourraient avoir ainsi donné lieu au cluster de kermouster. Mais restons en celui de l’Amicale qui, soit dit en passant, vient de prendre une initiative en lançant l’idée d’un logo à son nom.

    De fait, l’affaire a été lancée il y a plusieurs jours et quelques Kermoustériens ont déjà fait des propositions. Mais le bureau vient de décider d’accorder une rallonge pour les éventuels dessinateurs retardataires. Vouloir se doter d’un logo prouve que l’envie d’être acteur du village n’a pas été mise à mal par cet envahisseur qui, fort heureusement, a compris qu’il n’avait rien à faire dans les parages. Donc, pas question de céder à la mélancovid.

    Les néologismes prenant racine dans le covid et le coronavirus ont fleuri dans les enceintes confinées pour éclore sur les réseaux sociaux. Le mot, par le biais de l’humour, est libérateur. Même s’il peut sous-entendre un mal être comme le covidivorce ou le coviolence. Mais ces mots, comme celui de covidioit, ne dureront que le temps de la mise au point d’un vaccin qui nous évitera, cette fois, d’avoir à nouveau à subir les affres d’un confinement.

    Déconfinement, par contre, lui restera. La quatorzaine devrait elle aussi survivre à l’éradication, plus ou moins avérée, du coronavirus. L’Organisation Mondiale de la Santé laisse entendre qu’il nous faudra désormais vivre avec cette épée de Damoclès.

    Du mot à la parole

    Certains commentateurs ont évoqué un livre de fiction anticipation écrit par Georg Orwell (1903-1950),  un journaliste écrivain britannique. Le titre de ce roman : 1984. Son auteur y développe le concept de Big Brother, une expression désormais courante dans nos conversations, mais Orwell, qui fut socialiste dans l’âme, anti nazi, anti totalitariste, anti communiste, évoque à travers sa narration l’émergence  d’une Novlangue, une nouvelle langue ou, plus précisément un nouveau parler. Mais rien à voir avec notre bon vieux Verlan qui consistait à inverser l’ordre des syllabes dans notre façon de parler. Là, avec la Novlangue, il s’agit d’une toute autre chose. On réduit le nombre de mots de façon à anéantir la pensée. Je suis tenté de penser que sur certains vecteurs de communication, c’est vers cette malédiction que courent un pan de l’humanité. Big Brother est à la manœuvre.

    Les mots ont un sens. Il convient de les protéger. Et quand un mot nouveau s’en vient à surgir, il faut  lui donner sa noblesse, à bon escient, quand on le couche sur le papier ou quand on le porte sur le bout de la langue.

    La parole ! Prendre la parole ! Tenir parole ! Tout au long de ces dernières semaines nous nous sommes convaincus qu’il y aura un avant et un après Covid 19. Qu’au sortir de son emprise, nous nous serons réinventés. Notre Président lui-même nous y a incité.

    Un après, il faut souhaiter que ce soit le plus vite possible, mais certaines prises de paroles me laissent à penser que cet après aura le goût de l’avant. Est-ce que les bonnes paroles émises alors que nous étions en pleine sidération, chavirés par l’émotion deviendront lettres mortes ?

    Ce vendredi Emmanuel Macron a évoqué la paupérisation de l’hôpital public, reconnaissant au passage que la réforme du système de santé engagée il y a deux ans était entachée d’erreurs. Endossant du même coup plusieurs décennies d’incurie dans ce domaine. Je veux croire que le message qui lui a été adressé par des infirmières portera ses fruits : ce n’est pas une médaille qu’il faut leur attribuer mais une reconnaissance qui aille au-delà de l’empathie.

    Paupérisation ? Mais n’est-ce pas une grande masse de nos concitoyens qui vont glisser vers cette paupérisation et rejoindre ainsi le trop grand nombre de pauvres qu’une société moderne digne de ce nom ne devrait plus accepter ? Rendre hommage aux personnels soignants est une nécessité, mais il convient, sur les décombres d’une économie, de redonner de l’espoir à tous ces gens qualifiés d’invisibles dont on a pu mesurer l’utilité dans ces temps difficiles. Il faut que eux aussi puissent avoir une lisibilité enthousiasmante de l’avenir.

    Beaucoup de promesses ont été émises. Il va falloir passer de la parole aux actes.

     

     

                                                                                                     Claude Tarin

                                                                                                 Vendredi 15 mai 2020

     


  • Commentaires

    1
    Elisabeth
    Samedi 16 Mai 2020 à 15:34

    Ne pourrait-on pas utiliser « foyer épidémique « , à la place de cluster, la langue française est si riche......

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