Un mois après les Trobairitz,  Ingrid Blasco nous a fait découvrir, en la chapelle, un autre pan de la musique médiévale. Avec les Trobairtiz, la forme féminine des troubadours en langue d’oc, elle accordait, mi juillet, sa vielle à roue aux sons du traverso, flûte traversière baroque, de Sidonie Euvremer et de la flûte à bec d’Alice Khaati. Ce mercredi soir, c’est la bandonéiste Kristina Kuusisto qui était à ses côtés, toutes les deux formant avec le percussionniste Mathias Mantello le trio Harmonies barbares. Que peut-on trouver de barbare dans cette musique et dans ce trio ? Rien, si ce n’est que ce basant sur des manuscrits oubliés de l’Espagne du Moyen Âge, ces trois musiciens  composent des  arrangements musicaux faisant fi des interdits portant, à cette époque, sur certaines harmonies?

Même si ses origines remontent au XIIe siècle, la vieille à roue n’est en rien un instrument barbare au sens du terme, du moins si on en s’en tient à la connotation actuelle de ce mot. Selon certaines sources, cet instrument aurait été conçu dans une abbaye bénédictine allemande. Elle suscitera, après la toute dernière salve d’applaudissements, la curiosité de plusieurs spectateurs.  Quant au bandonéon, auquel le tango argentin a donné ses lettres de noblesse, c’est encore à un Allemand, mais plus récemment puisque inventé  à la fin du XIXe siècle, que nous devons d’être envoûtés par ses sonorités.

Faut-il qualifier de barbares le daf, dabourka, udu et tous ces autres tambours du percussionniste, sous prétexte qu’ils nous viennent de l’ancienne Perse, du Maghreb ou du Nigeria, vastes régions dont les turpitudes actuelles masquent cruellement la savante musicologie? Sous les doigts de Mathias Mantello, on y retrouve cette même maîtrise des enchaînements rythmiques qu’ont eue avec  la grosse caisse, la caisse claire, le charleston et les cymbales des percussionnistes du temps du disque vinyle 45 et 33 tours. Ce n’est point exagéré que d’avoir à le comparer au batteur Art Blakey, un maître en ce domaine, à Joe Morello, dont le solo dans le Take five du quartet Dave Brubek a marqué toute une génération quelque temps après celui de Brian Bennet du groupe britannique The Shadows. Oui, ce n’est point exagéré.

Pour Ingrid Blasco la catalane, de par ses grands parents paternels, pour Kristina Kuusisto, la finlandaise et pour Mathias Mantello dont les racines doivent (peut-être) se trouver en Italie, la musique a le pouvoir de traverser le temps et les frontières. S’agissant, comme ce fut le cas ce mercredi, tout au long d’un programme baptisé Disfrutar (s’amuser en castillan), les Harmonies barbares ont confirmé leur talent en nous faisant apprécier une musique qui transcende les clivages. « Ce programme, précise Ingrid Blasco, est l’expression d’un métissage entre des musiques et des cultures différentes qui, avec le temps, la cohabitation, le respect mutuel, la tolérance, l’acceptation et l’assimilation de la différence, se sont fondues les unes aux autres ».

En une dizaine de morceaux, le trio Harmonies barbares a conquis ses auditeurs d’un soir. Hélas, un public trop peu fourni, en raison de l’entrée en vigueur du passe sanitaire.  Une vingtaine de personnes, désireuses mais oublieuses, n’ont malheureusement pas pu franchir le porche de la chapelle. Pour autant, nos trois musiciens ont su encore donner le meilleur d’eux-mêmes pour nous faire apprécier ce métissage de sons arabo-andalous, séfarades ou chrétiens. Sur ce registre, le souffle du bandonéon s’est révélé aussi envoûtant que sur son répertoire naturel. Kristina Kuusiko, tout comme ses deux compères, est une habituée de ce lieu. Il nous y a été donné, à maintes reprises, d’apprécier sa maestria.

 Voilà des ‘barbares » dont il fait bon croiser le chemin.

                                                                                                                                     Claude Tarin

                                                                                                                          Jeudi 19 août 2021