• Sur le chemin de l’école : Yvon Perrot

     

    C’est en avril 1959 qu’Yvon Perrot s’en est allé goûter pour la première fois aux plaisirs d’une salle de classe. La tradition était maintenue. Les cinq ans à peine révolus, les parents lâchaient la bride aux petits pour une période d’initiation après les vacances de Pâques. Une immersion de quelques semaines avant la rentrée au mois de septembre suivant.

    Tout comme Marie Hélène Costiou (chronique précédente), Yvon Perrot garde un sacré bon souvenir de Jean Madiou. C’est avec cet instituteur qu’il clôturera son cycle du primaire en 1967.

    Alors que le monde des enseignants connaît de fortes turbulences depuis le début des années 1960, la toute nouvelle réforme  du tiers temps pédagogique se met peu à peu en place. Mais ce n’est que deux en plus tard, en 1969, qu’elle sera réglementairement ficelée, pour n’être mise en application qu’en 1978. Les événements de mai 1968 ne sont pas étrangers à ces atermoiements.

    A lire le récit des souvenirs d’Yvon Perrot, tout laisse à penser que Jean Madiou, qui quittera Kermouster à la fin de l’année scolaire 1966-1967, était déjà un adepte de cette réforme qui prévoyait d’accorder aux élèves un temps d’éveil. Primauté au calcul et au français, bien sûr ;  un deuxième temps pour l’éducation physique, mais également un temps pour leur faire découvrir des savoirs par leur mise en activité et non par une restitution de connaissances toutes faites. Il y avait là de quoi convaincre un élève qui ne se voyait pas vivre privé de contact avec la nature.

     

                                                                                                                                           C.T

                                                                                                                                28 novembre 2020

     

     Le bateau bleu, le steak haché…et la typhoïde

     

    Le souvenir le plus marquant reste pour moi le bateau bleu de Monsieur Madiou. Monsieur et Madame Madiou auront été mes seuls instits. Ils sont restés longtemps à Kermouster. Jean Madiou était bricoleur. Il aimait aller pêcher. Il posait des palangres sur le sable, devant Goas Luguen. Buzucs au bout des hameçons.

    Il a lui-même construit son bateau.  Une embarcation en contreplaqué, de quatre à quatre mètres vingt de long. Construite à  même la cave qu’il y avait sous le préau, c’est-à-dire sous ce qui deviendra plus tard le café épicerie. Je me souviens bien de ce bateau car nous avons aidé l’instituteur, avec deux ou trois copains, pour le sortir de cette cave.

    Autres souvenirs marquants liés à Jean Madiou : le goémon de Goas Luguen et sa 403 diésel

    Quand il faisait beau, il nous emmenait jusque la grève. Nous descendions à Goas luguen en passant par le lavoir et le routoir. Pour la remontée nous ramenions des brassées de goémon. Les instituteurs entretenaient un potager. Au point de vue, là où il y a la boîte à livres.

    C’est l’instit qui m’a amené avec d’autres copains passer le certificat d’études à Lézardrieux. Je sens encore l’odeur du gas oil. Au bord de l’asphyxie, tant ça puait.  C’était une 403 Peugeot de l’époque.

    Il m’arrivait de manger à la cantine, dans la petite maison que Chinie avait mise à disposition. Le steak haché de Louise Quentin, la cantinière : succulent ; un régal. Rien à voir avec le steak haché d’aujourd’hui


    Chez Maria Lahaye, l’épouse du douanier Désiré Maguer, dans leur maison de la place du Crech, nous apprenions le latin. Juste ce qu’il fallait pour pouvoir répondre la messe. Mais carrière d’enfant chœur limitée dans le temps.

    Le jeudi, jour sans école, j’invitais les copains à venir jouer aux boules, dans l’allée qu’il y avait derrière la maison des parents.  Michel Turuban, Eugène Carvennec et tant d’autres.

    Mais c’est un autre souvenir qui me revient en tête. Le Covid 19 y est pour quelque chose. En fait, c’est un événement qui remonte à bien avant que j’aille à l’école. En 1956. Mais comme cela a marqué la famille, j’ai eu souvent à entendre parler de cela.

    Un jour, Yves Riou, un jeune frère à ma mère, a été frappé par la fièvre, la paratyphoïde. Mes parents ont pensé qu’il avait dû être intoxiqué par l’eau de la fontaine. A cette époque, les chevaux s’abreuvaient à cet endroit. Ceci explique peut-être cela.

    Le médecin d’ici voulait le faire opérer. Fort heureusement, il n’en fut rien. Grâce au docteur Israël-Asselain et au chirurgien Paul Hertzog, le diagnostic de paratyphoïde fut fait. Il existait déjà des antibiotiques qui pouvaient soigner cette maladie. Ces médecins de Paris avaient maison à Kermouster depuis quelques années. Ils ont su quoi faire pour guérir mon oncle.

    Pour ce qui est du parcours scolaire, rien de bien extraordinaire à signaler, si ce n’est que j’ai passé le certificat d’études puis obtenu plus tard le brevet. Pour finalement arriver à faire le métier auquel j’aspirais tout naturellement, agriculteur, pour travailler en plein air. Aujourd’hui, à la retraite, avec la chasse et la pêche je reste dans mon élément, la vie en plein air.

    Bien évidemment, Marie-Claire et moi ne pouvions que souhaiter que l’école survive. Mais quand nous avons inscrit Karine pour qu’elle se familiarise avec ce qui aurait pu être son école, les jeux étaient faits. Il n’y avait plus assez d’élèves, toutes sections confondues, pour maintenir en place une institutrice. Aussi, c’est à Lanmodez que Karine et, plus tard, Morgane sont allées à l’école.

     

                                                                                                                                            Yvon Perrot

     

    Sur le chemin de l’école : Yvon Perrot

     En toute dernière page du registre matricule de l’école de Kermouster, le nom de Karine Perrot, fille aînée d’Yvon et Marie-Claire Perrot. Karine, alors tout juste âgée de deux ans, aura été la toute dernière élève à être inscrite, le 2 juin 1983. Ultime tentative pour sauver ce qui visiblement ne pouvait plus l’être. A la rentrée de septembre, l’école de Kermouster fermait à tout jamais ses portes 

     

     * Pour lune meilleure visualisation, cliquer sur le document

     

     

    « Tout n’était pas mieux avant »

     

    Cela vous a peut-être échappé, mais, suite à l’une des toutes premières chroniques du cycle de l’histoire de l’école (Le Kermouster d’Yves Saindrenan), Claudie Asselain/Missenard, fille du docteur Israël/Asselain, avait inséré un commentaire qui nous rappelait que l’on pouvait effectivement mourir, ici, de la typhoïde voilà tout juste soixante ans.

    Avant de lui (re)céder la parole, un rappel : dans un récit écrit de sa main, Yves Saindrenan, qui, avec son épouse, enseigna à Kermouster durant l’année scolaire 1953-1954, nous raconte le drame qu’il leur aura fallu surmonter : la perte d’un de leurs jumeaux, qui devait s’appeler Yvon. Seule sa sœur Marie a survécu. Elle est née une semaine après Yvon Perrot.

    « Comme le montre en filigrane le récit de Monsieur Saindrenan, écrivait Claudie Asselain/Missenard,  non, tout n’était pas mieux avant, n’en déplaise aux passéistes de toutes obédiences. Aujourd’hui, une naissance de jumeaux ne peut pas être une surprise car l’échographie la décèle, alors que le cas n’était pas si rare que ça à l’époque. Aujourd’hui, le taux de survie d’un prématuré de 7 mois est de 81% et la France a vu un fort recul de sa mortalité néonatale. Et même, si les habitants de la presqu’île avaient souvent une santé de fer, on pouvait ici attraper la typhoïde en buvant de l’eau et en conserver de graves séquelles. »

    « J’en fus témoin enfant en allant visiter avec mon père une jeune fille handicapée à vie parce qu’elle avait bu de l’eau » ajoutait alors Claudie. « L’espoir que le docteur de la capitale pouvait peut-être apporter un remède à son état fut malheureusement déçu. Je n’ai jamais oublié cette visite et soixante ans après, je pense que les vaccins protègent et que, non, tout n’était pas mieux dans les années cinquante. »

    A l’heure où l’espoir et la crainte se mélangent autour de la mise « en marché » de vaccins susceptibles de contrer efficacement le Covid 19, ce témoignage est « parole d’or ».

    Comment peut-on encore contester les progrès dont nous sommes redevables à la médecine ? Progrès d’autant plus souhaitables et nécessaires que la typhoïde, - mais il en va de même avec d’autres maladies que la science a réussi à contenir - continue à faire des ravages. Certes sous d’autres cieux, mais tout relâchement en matière d’hygiène, tout retour en arrière à un mode de vie faisant fi de ces questions, pourrait s’avérer préjudiciable.

    D’après l’Organisation mondiale de la santé, entre 11 et 21 millions de personnes en seraient atteintes chaque année dans le monde et 128000 à 161000 en mourraient. Il y a sept ans, des recherches ont montré que 21 personnes étaient mortes de la typhoïde en France.

    Depuis la loi du 28 mars 1914 imposant la vaccination contre la typhoïde et les paratyphoïdes, les vaccins appelés à contrer ces maladies se sont considérablement améliorés, la médicamentation aussi. Recommandée pour les personnes devant effectuer des séjours dans des pays à l’hygiène précaire, cette vaccination est obligatoire en France depuis 2014 pour les seuls personnels de laboratoire d’analyse de biologie médicale.

    Ce souvenir familial, teinté d’une grande inquiétude, que vient de nous faire partager Yvon Perrot a, pour premier intérêt, de nous rappeler, comme le souligne fortement Claudie Asselain/Missenard, que oui, vraiment, « tout n’était pas mieux avant. »

     

    « Aux sources de ma naissance »

     

    Quand on tire sur le fil de l’histoire, tout n’est pas que misères. Depuis la mise ne ligne des toutes premières « rédactions » des anciens élèves de l’école de Kermouster, on a pu constater que cette école n’a pas été qu’un lieu de souffrances. Certes, les méthodes pédagogiques d’alors n’interdisaient pas aux instituteurs d’avoir la main leste pour forcer les plus récalcitrants à se mettre du plomb dans la tête, mais, quelle qu’aient pu être les frayeurs « vertigineuses » face à la page blanche quadrillée, ce temps de l’école n’en demeure pas moins celui de l’insouciance et de plaisirs partagés avec les copains et les copines.

    C’est peut-être en cela qu’il est utile de se dire que pour tous ces enfants, qui, présentement, effectuent dans les petites écoles leurs premiers pas vers la vie d’adulte, la situation que génère le Covid 19 peut, si l’on n’y prend pas garde, avoir des effets sur le long terme. Donc, combien il est nécessaire de leur permettre de pouvoir s’ébattre ensemble, en toute sécurité, avec ou sans masque.

    Il est un souvenir qu’Yvon Perrot a partagé sans le savoir avec Marie Saindrenan/Scheffer, la fille de ce couple d’instituteurs ayant vécu la douloureuse perte d’un enfant. Ce souvenir, c’est Andréa, sa mère, qui le porte au fond de son cœur.

    Une mère, mais pas elle seulement, je puis en témoigner, se souvient toujours du jour où son enfant effectue ses premiers pas. Ce n’est pas trahir un secret familial que de rappeler que c’est  sur cette allée de boules, sur laquelle quelques années plus tard il prendra plaisir à jouer avec ses copains de l’école, qu’Yvon Perrot a fait ses premiers pas. En même temps que cette petite fille qui ne savait bien évidemment pas alors qu’elle avait survécu à son propre frère.

    Sans tomber dans la pathos ni virer à la romance, je saisis l’opportunité que nous offre le témoignage d’Yvon pour céder la parole à Marie Saindrenan/Scheffer.

    Après que le contact eut été établi, la fille de l’ancien instituteur nous avait adressé un petit texte où elle disait son envie de venir un jour à Kermouster. Elle y a fait ses premiers pas, mais n’a jamais eu l’occasion depuis, contrairement à ses parents, d’y revenir.

    Ce jour là, Marie Saindrenan/Scheffer était loin de penser que son père, alors résident dans un ehpad  de Dinan, allait bientôt fermer définitivement les yeux. Yves Saindrenan, comme nous nous en sommes fait l’écho, avait gardé un contact étroit avec Kermouster. Pour son école ? Bien évidemment. Mais surtout pour les gens et pour y avoir été confronté à un immense chagrin.

    Voici le texte qu’avait adressé, le 31 août dernier, Marie Saindrenan Scheffer. J’ai pris sur moi, compte tenu de sa nature « poétique », de le présenter comme suit :

     

     

    Kermouster m'a été raconté plusieurs fois par mes parents

    Comme un éblouissement d'amour

    D'amour entre eux car jeunes mariés,

    D'amour pour le lieu si enveloppant de beauté.

    Kermouster, un regard enchanteur sur la vie …

     

    Kermouster a été aussi le témoin d'une douleur

    Je suis née à 7 mois et 10 jours

    Ma mère attendait des jumeaux sans le savoir

     Le médecin ne l'avait pas décelé

    Elle  a accouché de moi et de mon frère Yvon

    Yvon n'a pas survécu

    Sa petite vie d'une journée a été enterrée dans une immense douleur

    Vite cachée

    Vite camouflée.

     

    Tout s'est focalisé sur moi, mon énergie hors du commun

    Pour combattre le fantôme de cette mort.

     

    Ma mère m'a souvent parlé d'Andréa

    Comme d'un ange veillant sur moi...

     

    Andréa m'a récemment téléphoné

    Quand j'ai entendu sa voix, tout mon corps s'est apaisé

    Il a reconnu

    Cette mémoire d'amour enveloppant

    Le fil de complétude qui nous lie

     

    Est-ce à dire que le lieu aussi m'appelle ?

    Oui, Kermouster m'appelle

    Oui, Kermouster me parle

    Me chuchote d'y aller

     

    Je ferai prochainement un pèlerinage

    Aux sources de ma naissance.

    Pour humer

    Les embruns

    Le varech

    Cette Terre qui m a nourrie

    Qui m'a permis de grandir

    Solide comme un roc

    Fière d'être un capitaine

    Qui manœuvre son bateau de Vie

    Au son des marins de Kermouster.

     

                                                                                                       Marie SAINDRENAN SCHEFFER

     

                                                                                                              31/08/2020

     

                                  xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx

      

    Pour suivre : 

     

    Sur le chemin de l’école : Dominique Le Bleiz

     

    Précédemment : 

     

    Sur le chemin de l'école: Marie-Hélène Baibled / Costiou

     

    Sur le chemin de l'école: Jean-Pierre Le Dantec

     

    Sur le chemin de l'école: Yvon Corlouer

     

    Sur le chemin de l'école: Michel Le Troadec

     

    Sur le chemin de l’école : Marie Françoise Séguillon

     

     Sur le chemin de l'école: Michel Le Cam

     

    Sur le chemin de l'école: Marie-Claire Beauverger / Pochat

     

    Sur le chemin de l'école: Marie Françoise Arzul / Parenthoën

     

    Sur le chemin de l’école : Jean Bourdon  

      

    Sur le chemin de l'école : Huguette Arzul / Le Berre

     

    Sur le chemin de l’école : Marie Anne Beauverger / Ernault 

      

    Sur le chemin de l’école : Rosalie Le Blouch / Le Lay 

     

    Sur le chemin de l'école : Ernest Lavisse 

     

    Sur le chemin de l'école : Mathurin Boscher 

     

    Sur le chemin de l’école : Isabelle Marrec 

     

     Sur le chemin de l’école 

      

    Le Kermouster d’Yves Saindrenan 

      

    Adieu Monsieur…l’Instituteur!   

     

     

     

     



     

     


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