• Sur le chemin de l’école : Marie-Hélène Baibled / Costiou

     

    De Kernharant bihan à la place du Crech, une poignée de minutes suffit pour effectuer la distance. Pour Marie-Hélène Baibled, son cousin Yves Ernot et les copains et copines qui s’en venaient de Bodic, les deux cents mètres à parcourir ne se transformaient rarement, du moins à l’aller, en chemin des écoliers. Pas question d’allonger le trajet et prendre le risque d’arriver en retard pour la rentrée en classe.

    C’est en avril 1954 que Marie-Hélène Baibled a fait ses premiers pas sur le chemin du savoir. Pour une véritable rentrée dans le cycle du primaire après la période des vacances d’été.   A cette époque, la guerre d’Algérie, guerre qui ne dit pas son nom, est au cœur des préoccupations des adultes. Cela va durer encore quelques années, mais ce n’est que dans la grande classe qu’elle va, pour elle-même, en subir les effets collatéraux.

    Les instituteurs n’échappaient pas à l’obligation du service militaire et Jean Madiou, passé son temps de sursitaire, ne pourra pas faire autrement que d’endosser l’uniforme pour s’en aller de l’autre côté de la Médierranée. Jean Madiou, un nom inscrit dans la mémoire de Marie-Hélène Costiou. Elle l’aura eu comme maître en fin de parcours.

    Si l’on met toujours aussi peu de temps pour aller de Kernharant à la place du Crech, les décennies passées ont fait leur œuvre et bien des souvenirs se sont à tout jamais évaporés ou dorment, enfouis dans la mémoire. Mais pour Marie-Hélène Costiou, Jean Madiou aura joué un rôle primordial dans son cheminement, plus déterminant que son épouse et les institutrices qui l’ont remplacé pendant ses seize mois d’absence, de janvier 1958 à avril 1960. Quand la reconnaissance est solidement ancrée dans votre fort intérieur, elle dure toute la vie.

     

                                                                                                                                                    C.T.

                                                                                                            Jeudi 26 novembre 2020

     

    Sur le chemin de l’école :  Marie-Hélène Baibled / Costiou

     Année scolaire 1956-1957

    1er rang, de gauche à droite:  Joëlle Le Dantec*, Yvette Lescouarch, , Yveline Lescouarch, Marie Paule Le Boubennec, Joëlle Meudal*, Nicole Meudal*, Germaine Le Boubennec

    2ème rang : .. ?.., Christine Briand, Danièle Le Troadec, Marie Françoise Le Corre, Marie Hélène Baibled (entre Marie Paule Le Boubennec et Joëlle Meudal*), Lydie Le Briand, Christiane Le Briand, Yvette Bastard, .. ?.. (en partie cachée)

    3ème rang : Janine Le Briand, Alice Ernot,.. ?..

    4ème rang du dessus : Micheline Le Corre, Janine Adam, .. ?.., Marie Claude Séguillon (en partie cachée par Alice Ernot).. ?.., .. ?.., .. ?.., Marie-Françoise Séguillon (en partie cachée par Lydie Le Briand),.. ?..

     

    *Noms  à confirmer

    ** Pour agrandir la photo, cliquer sur le document

     

     

    « A,B,C,D, war me reir me bandez »

     

    Les années ont passé. Reste le sentiment d’une routine. Rien que quelques souvenirs.

    Dont un inoubliable : l’alphabet du grand-père. Dès la première année.

    Depuis la rentrée de septembre, je vais tous les jours à l’école avec Yves Ernot un petit cousin de mon père, de 8 ans mon aîné. Il habitait la maison où je vis désormais. Mais à cette époque j’ai grandi dans la ferme de Kernharant bihan, à quelques mètres de Prat Maréchal, qui aura servi d’école pendant l’Occupation. J’avais deux ans quand mes parents se sont installés dans cette ferme en 1951. Ils s’étaient mariés en 1947. Mon père sera resté cinq ans prisonnier durant la guerre.

    Yves et moi,  nous faisions souvent le reste du chemin avec les élèves qui arrivent de Bodic et de la Roche noire. Fin octobre, je fais la coqueluche. Je dois rester à la maison.  J’y resterai jusqu’à la rentrée de janvier.

    Yves va alors me rapporter quelques devoirs à faire.  C’est mon grand-père qui a la charge de m’aider à les faire car, même en cette période de l’année, mes parents sont pris toute la journée par le travail des champs et le soin des animaux. Mon grand père décide alors de m’apprendre l’alphabet.

    De retour à l’école, passés quelques jours, la maîtresse, Madame Le Gallo, me demande de réciter mon alphabet. Je m’exécute : «  A, B, C, D, war me reir me handez. » Et, là, je reçois une paire de claques, l’institutrice estimant sans doute que je me moquais d’elle en breton. « War me reir me bandez », cela veut dire « Sur mon derrière, j’ai tous les jours ». Chez nous, on parlait aussi bien le français que le breton. Maman, fille d’une famille nombreuse, n’avait pu poursuivre longtemps l’école. Elle s’exprimait essentiellement en breton. Du côté de mon père c’était différent. Son grand-père avait été douanier et son père, donc mon grand-père paternel, s’est fait agriculteur après avoir rencontré ma grand-mère. Je parle et je comprends le breton. Je comprenais donc tout ce qui disait à la maison, mais je ne parlais et répondais qu’en français.

    Rentrée chez moi, mes parents ne semblent pas trop contrariés, mais ils me disent que pour ce qui est des  blagues mon grand père est terrible. Ce n’était certainement pas la première fois que mes parents entendaient cette façon de dire l’alphabet.  Je pense, que ce jour là, ils ont été en colère après lui. Mon père était certainement loin de penser que j’en serais venue à réciter cela à l’école. Mis au courant de l’incident, mon grand-père va alors se rendre à l’école. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais la maîtresse m’a ignoré jusque la fin de l’année scolaire. Ce qui n’aura pas été très agréable.

    Plus agréable est cet autre souvenir.

    J’aurais aimé aller à la cantine comme pratiquement tous les enfants de l’école, mais je n’habitais pas assez loin. Peut-être aussi pour une raison de coût. Tous les midis je rentrais donc manger à la maison. Yves Ernot aussi. Et puis, en 1958 ou 1959, je ne sais plus très bien, pour des raisons familiales, je suis autorisée à rester manger à la cantine. Ce n’était plus Simone Thomas qui assurait le service, mais Louise Quentin. Le soir, je suis rentrée super contente d’avoir mangé du ragoût. Ce n’était pas pourtant la première fois, mais j’ai dit à maman qu’elle ne savait pas le préparer comme la nouvelle cantinière.

    Mes parents et Louise Quentin ont dû en parler. Ils se voyaient pratiquement tous les jours quand elle repartait chez elle à la Roche noire. Il a alors été convenu que j’irais à la cantine  les jours où il y aurait du ragoût. Avec le recul, je pense que ce n’était pas tant le ragoût qui m’intéressait, mais bien le plaisir de le partager, serré comme des sardines dans la cantine de chez Chinie, et de pouvoir jouer avec les autres enfants avant le retour en classe. 

    Autre bon souvenir : celui d’une punition… agréable

    Madame Madiou avait la charge de nous initier, nous les filles, à la couture. Pour les garçons, c’était peinture et dessin avec Monsieur Madiou. Les cours avaient lieu le samedi après-midi. Un samedi, j’oublie ma trousse de couture. On m’envoie dans la grande classe, en punition. Je frappe et j’explique à l’instituteur que j’ai oublié ma trousse. Il me dit : « Tant pis pour toi, tu vas faire de la peinture. »

    Cette année là, il fallait peindre Blanche neige et les sept nains sur du contre-plaqué. Ma punition s’est transformée en un immense plaisir. Je me suis appliquée contrairement à certains garçons qui auraient préféré aller jouer au ballon.

    Par la suite, j’ai souvent oublié ma trousse de couture. Les instituteurs ne devaient pas être dupes. Sous prétexte que je n’étais pas, en couture, au niveau des autres filles, on m’invitera donc à passer dans la grande classe.

    Je ne garde pas un souvenir précis de la période durant laquelle Monsieur Madiou s’en est parti faire son service militaire, en Algérie. Durant tout ce temps il a été remplacé successivement par deux institutrices, Mademoiselle Liscoet et Yvette Leroux.  Je pense qu’elles ont été trop gentilles, notamment Madame Leroux, et que nous avons dû leur pourrir la vie. Ce fut, en tout cas, une étrange période. Pour autant, cela ne m’a pas empêché de réussir à 11 ans l’examen de passage en 6ème. Je me souviens de ce jour où je suis allée passer cet examen à Lézradrieux, avec Charles Moreau, tous les deux, en vélo.

    J’aimerais pouvoir dire un grand merci à Monsieur Madiou.  A son retour, il s’est montré très étonné de me retrouver. Il avait appris lors d’une permission que j’avais réussi mon passage en 6ème. J’aurais donc déjà dû avoir quitté l’école.  Mes parents ont peut-être pensé que j’étais trop jeune pour quitter le village. D’autant que de nombreux camarades étaient restés là. Mais ma mère, qui comprenait le Français tout en ne scahant pas le lire ni l’écrire, se voyait mal faire les démarches pour que j’aille au collège à Tréguier. Monsieur Madiou, méthode Boscher à l’appui, nous a permis de sauter l’obstacle. Car c’est en faisant l’effort de lire ce manuel que maman a pu gommer son handicap. Pour ce qui me concerne, cette nouvelle dernière année passée avec Monsieur Madiou s’est terminée comme la précédente. Examen d’entrée en 6ème à nouveau réussi. En septembre 1961, pour mes douze ans, je faisais ma rentrée à Tréguier

    Pour conclure, un autre beau souvenir. Alors que nous étions dans la cour de récréation, un jour de fin décembre, à la veille des vacances de Noël de je ne sais plus quelle année,  nous avons vu Yves Corlouer, qui travaillait alors aux Ponts et Chaussées à Lézardrieux, descendre de sa moto  pour venir nous apporter du chocolat chaud prêt à boire et deux croquettes fourrées pour chacun et chacune d’entre nous. Une moto marron. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Vraiment un beau souvenir.

     

                                                                                                            Marie-Hélène Baibled / Costiou

     

     

    D’un alphabet à l’autre

     

    Apprendre l’alphabet ! Autant dire grimper les premiers barreaux de l’échelle du bien parlé. L’alphabet ? Un mot français formé par les deux premières lettres de l’alphabet grec, alpha et bêta. J’avais fini par l’oublier.

     « Oméga, a écrit Gustave Flaubert, est la deuxième lettre de l’alphabet, puisqu’on dit toujours l’alpha et l’oméga ». Il ne faut pas toujours prendre pour argent comptant, c’est à dire au pied de la lettre, ce que disent les auteurs. Bêta est bien la deuxième lettre de l’alphabet grec.

    Ce qui est sûr, c’est que Marie-Hélène Baibled a dû se sentir, quant à elle, un peu bêta après la paire de claques sanctionnant ce qu’elle croyait être la bonne façon de réciter ce l’alphabet. Qui oserait remettre en cause le savoir d’un grand-père ?  Mais qui peut affirmer, au même âge,  avoir d’emblée réussi à grimper tout au sommet de l’échelle sans que la langue se fourvoie avant la vingt-sixième lettre de notre alphabet, sans même pour cela recourir au breton ?  Car il y a bien vingt-six lettres et non pas vingt-cinq comme le laissait entendre cette Méthode Boscher, conçue par un instituteur breton, dont on n’a pu, sur ce chemin de l’école de Kermouster, que vanter les mérites. Le récit de Marie-Hélène Baibled en est une nouvelle illustration.

     

    Sur le chemin de l’école :  Marie-Hélène Baibled / Costiou

     

    Qui saura nous dire pourquoi Mathurin Boscher a fait l’impasse sur le w ? Sauf erreur, le mot wagon était dans le langage parlé et la bataille de Wagram figurait bien dans les livres d’histoire de l’école de la République telle qu’elle fut conçue par Jules Ferry. On n’y faisait pas non plus l’impasse sur la défaite de Waterloo. Etrange « omission» ! Omission qui semble avoir perduré plusieurs années durant.

    Curiosité aidant, je m’en suis allé vérifier si il en allait de même dans l’alphabet breton auquel, les Kermoustériens de souche n’ont jamais eu besoin de recourir pour pouvoir se comprendre dans une langue ne pouvant plus franchir le seuil de l’école.  Comme le révèle le document ci-dessous, le w y est bien inscrit, mais le q et le x sont tous les deux aux abonnés absents. La déclinaison du c en ch et c’h permet cependant à cet alphabet de comporter vingt-cinq lettres.

     

    Sur le chemin de l’école :  Marie-Hélène Baibled / Costiou

    Ayant autant de facilités à parler le breton que l’hébreu, c'est-à-dire tout à fait incapable de ramener ma science, je me suis dit, après avoir fait ce double constat, qu’il ne serait pas inutile d’aller nourrir la réflexion sur l’utilité du breton  du côte de chez Claude Hagège . Ce célèbre linguiste m’est apparu, un jour, à travers le petit écran et je ne puis qu’avouer qu’il m’a totalement subjugué. Tant par sa maîtrise parlée d’une dizaine de langues et ses connaissances dans une cinquantaine d’autres que par sa façon de s’exprimer, sans excès de condescendance, seulement mû par la volonté de convaincre par l’explication.

    Il y a une trentaine d’années, le 28 mai 1988, ce professeur honoraire au Collège de France était venu faire une conférence, à Lannion, sur son rapport à la langue bretonne. Il répondait ce jour à l’invitation d’une association de parents d’élèves. On peut retrouver trace de cette conférence sur le site de l’école Diwan, école qui se charge de redonner au breton, dont la création remonte à la fin des années 1970.  Quelques idées à retenir :

    Apprendre le breton ne vous handicape pas pour l’apprentissage pour les autres langues. « La structure de la phrase bretonne fait apparaître des caractéristiques qu’elle partage avec d’autres langues et qui faciliteront l’accès à ces langues. Tout cela met l’enfant bretonnant en situation d’avoir, au travers d’une langue assez exotique, un très large moyens d’expression qui viennent s’ajouter à ceux que le français lui propose. »

    Le breton n’est pas une menace pour le français. « Je trouve autour de moi, chez les gens qui défendent le français face à l’anglo-américain, beaucoup plus de locuteurs de langues régionales que de francophones unilingues. »

    Apprendre le breton n’est pas un ressourcement artificiel. « La culture locale n’est pas une résurrection artificielle entreprise par des intellectuels qui entendent donner à leur conscience une ou des raisons de se rassurer. Ce n’est pas davantage une sorte de ressourcement artificiel  destiné à nourrir une revendication politique, mais tout simplement une reculturation vers quelque chose d’authentique et d’ancien. » Et Claude Hagège d’ajouter : « L’Europe des Nations, qui n’empêchera pas l’Europe supranationale, c’est aussi l’Europe des langues. »

    Dans un ouvrage, Contre la pensée unique, Claude Hagège pourfendait l’usage immodéré de l’anglais tout précisant que cette langue n’en demeure pas moins, elle aussi, le support d’esprits libres.

    Que Marie-Hélène Costiou se rassure, comme bien d’autres Kermoustériens, à commencer par Jean-Paul son mari, elle a une qualité que bien d’autres non pas : celle de pouvoir parler au moins deux langues couramment, dont celle de ces grands-parents. Puisse t'elle conserver l’envie de passer, à son tour, le relais !

     

     Prononciation des  voyelles et des diphtongues

     

    Sur le chemin de l’école :  Marie-Hélène Baibled / Costiou

     

    Prononciation des  consonnes

      

    Sur le chemin de l’école :  Marie-Hélène Baibled / Costiou

     

     Pour suivre : 

     

    Sur le chemin de l’école : Yvon Perrot

     

    Précédemment : 

     

    Sur le chemin de l'école: Jean-Pierre Le Dantec

     

    Sur le chemin de l'école: Yvon Corlouer

     

    Sur le chemin de l'école: Michel Le Troadec

     

    Sur le chemin de l’école : Marie Françoise Séguillon

     

     Sur le chemin de l'école: Michel Le Cam

     

    Sur le chemin de l'école: Marie-Claire Beauverger / Pochat

     

    Sur le chemin de l'école: Marie Françoise Arzul / Parenthoën

     

    Sur le chemin de l’école : Jean Bourdon  

      

    Sur le chemin de l'école : Huguette Arzul / Le Berre

     

    Sur le chemin de l’école : Marie Anne Beauverger / Ernault 

      

    Sur le chemin de l’école : Rosalie Le Blouch / Le Lay 

     

    Sur le chemin de l'école : Ernest Lavisse 

     

    Sur le chemin de l'école : Mathurin Boscher 

     

    Sur le chemin de l’école : Isabelle Marrec 

     

     Sur le chemin de l’école 

      

    Le Kermouster d’Yves Saindrenan 

      

    Adieu Monsieur…l’Instituteur!   


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :