• Sur le chemin de l’école : Dominique Le Bleiz

     

    C’est le 16 septembre 1960 que Dominique Le Bleiz et Maryse, sa sœur jumelle, découvrent, alors âgés de quatre ans et demi, l’école de leur nouveau village. Leurs parents, demeurant précédemment à Kérity, viennent tout juste de s’installer dans leur nouvelle ferme au lieu dit Kernharant Vraz en Kermouster. Ils découvrent le couple d’instituteurs, Monsieur et Madame Madiou, qui vont les chapeauter jusque la fin de la primaire. Jean Madiou vient, quant à lui, d’en finir avec ses deux années de service militaire obligatoire.

    Pour Dominique ces premières années d’école n’auront guère été insurmontables. Son goût pour les mathématiques lui aura facilité la tâche. Mais c’est ici qu’il va nouer de solides amitiés. L’école c’est aussi le temps des premiers copains.

                                                                                                                                            C.T

                                                                                                                    Lundi 30 novembre 2020

     

     

                                                                                                                                

    Les billes de chez Chinie, les boules de chez Mimie,

    la limonade de Louise « Cantine »

     

    Tout était à refaire dans notre nouvelle maison. Ce n’était que terre battue et dans ce qui allait devenir le salon, il y avait une cheminée dans laquelle les anciens propriétaires faisaient cuir les patates pour les cochons.

    Nos instits auront été Madame et Monsieur Madiou. Madame pour les années de petites classes, Monsieur pour les suivantes.. En y repensant, je me souviens que la maîtresse n’était guère tendre. C’était certainement une bonne institutrice, mais elle était criarde et nos oreilles pouvaient chauffer de temps en temps.

    Tout a commencé par un quiproquo, quand on nous a demandé de donner le nom de nos parents. « Jobley » ai-je répondu spontanément. C’est toujours comme ça qu’on avait, jusqu’à ce jour, prononcé le nom de notre père. Incompréhension de l’institutrice qui devait avoir un autre nom sur sa liste. Le soir même j’en ai parlé à mes parents. Chez nous, on ne disait jamais Joseph Le Bleiz.

    Comme nous n’habitions pas très loin, il nous fallait à peine une quinzaine de minutes pour rejoindre l’école. Un jour, je ne sais plus trop pourquoi, ma sœur et moi sommes retournés à la maison alors que nous étions dans la cour pour la récréation. Par contre, je me souviens de la baffe à laquelle nous avons eu droit au retour.

    Surpris de nous revoir de sitôt à la maison, les parents nous ont bien entendu obligés à retourner en classe. Nous étions alors en grandes sections, avec Monsieur Madiou. Nous ne l’avions pas fait exprès, mais j’imagine que pour l’instit il fallait marquer le coup. Pour l’exemple. En ce temps là, ça ne rigolait pas tous les jours. Mais c’est la seule gifle dont ma sœur et moi avons écopé. Je garde un bon souvenir de Monsieur Madiou. C’était un bon maître.

    Pour rentrer en classe, on se mettait en rang, à la queue leu leu. Pour ce qui est de l’écriture, il a fallu jongler avec le plein et le délié et les buvards ont certainement révélés que dans la classe il y avait plus de cochons que de gens propres.

    Comme nous habitions à proximité de l’école, nous ne mangions pas à la cantine. Sauf le mardi ! Ma mère allait vendre des œufs sur le marché de Paimpol. J’ai le souvenir de Louise Quentin. C’est elle qui faisait la popote. Bien évidemment, on l’appelait Louise « Cantine ». Elle habitait La Roche noire. Mais je me souviens surtout  que c’était le seul endroit où on pouvait boire de la limonade. Chaque élève avait sa bouteille attitrée. C’était des grandes bouteilles avec fermeture métallique. Ma sœur et moi, compte tenu du fait que nous ne mangions à la cantine qu’une fois par semaine, nous en avions pour un mois avec la même bouteille. Autant dire qu’à la fin, il ne restait plus beaucoup de bulles.

    Pour ce qui des devoirs à faire à la maison, total trou noir. Je ne m’en rappelle pas. Mais je devais les faire. Et comme j’étais bon en maths, la moyenne grimpait suffisamment pour compenser certaines insuffisances. Mais, compte tenu du fait que je suis né en décembre, j’avais, d’emblée, gagné une année. Par contre, il m’a fallu déchanter quand je suis arrivé au collège. Ça n’a été que colle sur colle, avec à la clef de la première année, le redoublement. Mais, la deuxième année n’aura été que révisions.

    En fin d’année scolaire, on allait tous les après-midi sur la grève de Goas Luguen, en descendant par la rue du lavoir. Plus pour la détente que pour autre chose. Là encore un souvenir remonte à la surface. Nous avions découvert un renard mort, à même la grève. Monsieur Madiou l’a enfoui sous le gros rocher qui émerge presque en face de la rampe du champ à Yvon Perrot. Le renard n’a pas mis longtemps à être entièrement bouffé par les crabes.

    Puisque j’évoque Yvon, je dois souligner qu’il était le champion aux billes. Des billes en terre, en verre qu’on achetait chez Chinie. L’école, c’est aussi cela, le temps des copains. Parmi eux, Serge Meudal. Fils des gardiens de l’île à bois, il m’aura ouvert les portes des blockhaus. Un formidable terrain de jeu.  Mais, je n’oublie pas qu’il y avait aussi des durs à cuir.

    On vivait au rythme des saisons. Il y avait le temps de nids, puis des pommes et des poires que l’on chipait ici et là. Sans oublier les châtaignes.

    Je me souviens qu’on allait jouer au foot quasiment tous les soirs sur la place devant le calvaire. A cette époque, il n’y avait pas d’arbre ni de pierres levées à cet endroit.  Après on allait boire de l’eau, au robinet, en face du café des parents de Mimie. C’est qu’on en a bu à plus soif des litres d’eau.

    C’est d’ailleurs dans l’allée de ce café que nous avons fait nos premières armes dans le jeu de boules. Le dimanche, après la messe. Nous sommes plusieurs à avoir été enfants de chœur.  La messe était tôt le matin : 8 h en été, 8h30 en hiver. Et c’était expédié. Mais cela nous valait d’être gratifié d’un petit pécule, car après avoir fait la quête pendant l’office, on avait le droit de tendre la sébile à la sortie. Aussitôt la messe finie, nous nous précipitions vers l’allée de boules. Il y en avait toujours qui traînaient. Nous n’avions qu’à nous servir.

    Me revoir en enfant de chœur me fait penser au catéchisme. D’abord, chez Maria Maguer. Elle nous faisait le caté le jeudi. Puis, plus tard, il fallait aller à Lanmodez. Toujours le jeudi. Je confirme ce qui se dit. C’était comme qui dirait la guerre des boutons entre Lanmodez et Kermouster. Mais moins méchante qu’avec les gars du bourg de Lézard. Pour eux, nous étions des sauvages. Les voyages scolaires ont été autant d’occasions de sortir la hache de guerre. C’était simple. On arrivait au site, on visitait, on mangeait et puis c’était la partie de foot. Pas de cadeaux. Kermouster contre le reste du monde.   

     

                                                                                                           Dominique Le Bleiz

     

     

    A la recherche du temps perdu

     

    Louise « Cantine », son ragoût, tant apprécié par Marie-Hélène Baibled / Costiou, sa limonade, mais surtout ce steak haché qui fait encore saliver Yvon Perrot (chronique précédente) et, comme on le verra prochainement, Pascal Perrot, ne peut que nous pousser à évoquer la fameuse « petite madeleine  de Proust ». Toute réflexion faite, cette rétrospective sur l’école de Kermouster, engagée depuis plusieurs semaines, ne s’apparente-t-elle pas « A la recherche du temps perdu », la grande œuvre d’un écrivain auquel, toute honte bue, je dois avouer que je n’ai guère prêté attention.

    Tout comme un chacun, en tout cas pour le plus grand nombre, je n’en ai retenu que cette histoire de madeleine, sans pour autant raffoler moi-même de ce type de gâteau. Bien que ne m’étant pas attardé personnellement sur le sujet, il aura été cependant facile d’en comprendre le sens profond. Certains faits, objets ou odeurs appellent les souvenirs. C’est ce que nous a  dit en substance Marcel Proust. Cette petite madeleine dégustée à l’heure du thé chez une tante est à l’origine d’une réflexion, engagée, dès le premier tome (Du côté de chez Swann), allant au delà d’une simple mise en bouche.

     

    Sur le chemin de l’école : Dominique Le Bleiz

    Premières pages de Du côté de chez Swann, avec les notes de révision faites à la main Par Marcel Proust. Ce manuscrit a fait l'objet d'une vente ayx enchères par Christie's en juillet 2000. Acquisition à 663 750 Livres sterling.

     

    Cette réminiscence d’une odeur, d’une saveur, d’une suavité lointaine, les analystes la qualifient de « conscience affective ». Le passé redevient présent. Quitte, cependant, à ce que le passé noircisse le présent. Yvon Perrot et Pascal Perrot sont sur ce point affirmatifs : si les steaks hachés d’aujourd’hui les ramènent à la cantine de leur enfance, ils n’arrivent pas, sous la dent, à soutenir la comparaison avec ceux de Louise Quentin. A bon entendeur, salut !

    Dans l’évocation de ses souvenirs d’école, Jean-Pierre Le Dantec évoquait, quant à lui, le souvenir indélébile de l’orange, de la brioche et du chocolat chaud, dégustés  lors des soirées festives de Noël organisées collectivement ; c’est cette orange de Noël qui cristallise, également pour moi, moult délectations passées.

    Il est vrai qu’à cette époque, une orange avait valeur de cadeau succulent au pied du grand sapin. Je ne peux pas en dire autant du plat d’épinards tel que l’on nous les servait à la cantine du lycée, à une période où il était de bon ton d’avoir commencé à éplucher « A la recherche du temps perdu », en potassant les extraits publiés dans l’inoubliable série des Lagarde & Michard, laquelle aura  passé en revue tous les écrivains du Moyen Âge au XXe siècle qu’il serait bon d’avoir lu.

     Désolé, je me surprends à faire du Proust, c’est à dire  des phrases longues. C’est peut-être ce style qui m’a certainement détourné de cet auteur. Quoique ! A l’heure du tweet rayonnant, n’est-il pas temps de s’insurger contre le souffle de plus en plus court de la phrase. Sujet, verbe, complément, c’est bien entendu sur ce postulat qu’il nous a fallu apprendre à lire et à écrire notre langue maternelle. La relative  indifférence à l’œuvre de Proust doit avoir une autre raison. Son côté suranné peut-être !

    Après avoir pris la précaution de m’être assuré que mon libraire a ces livres en magasin ou de lui faire  passer commande par Internet si ce n’est pas le cas,  je me dis, ce jour, qu’il serait peut-être quand même temps d’aller récupérer sur place, mains propres et visage masqué, les sept tomes de cette œuvre centenaire. Quitte à patienter dans la rue, pour une histoire de jauge de clientèle. « Une jauge…. pour jauger » comme le rappelait Robert Lamoureux dans son fameux sketch Papa, maman, la bonne et moi.

    Les mots, comme le montre cet autre souvenir personnel, peuvent eux aussi être déclencheurs d’une dose de nostalgie ; « Une jauge…pour jauger ». Je n’y peux rien ! Au mot jauge j’entends à nouveau la voix rocailleuse de Robert Lamoureux. Grâce à Internet on peut revoir et entendre cet humoriste, lequel nous ramène à une époque où on ne pouvait peut-être pas tous apprécier les vertus du papier toilette. Il fallait « se torcher » avec des coupures de papier journal accrochées à un clou. Ecouter ce sketch, c’est retrouver les plaisirs simples de l’enfance. Je revois tourner sur le Teppaz la platine génératrice d’un plaisir d’écoute sans cesse renouvelé.

    Mais revenons au temps présent ! Puisqu’il s’avère qu’après avoir été un soi-disant bénéficiaire des Trente Glorieuses – on connaissait la chasse d’eau - il me faut, pour moi-même, mais aussi pour les autres et surtout, en pensant aux générations qui suivent, lesquelles sont le plus fortement impactées par cette pandémie, respecter, encore pour un temps indéterminé, les bonnes règles d’un confinement efficace. Toutes ces précautions prises, la lecture d’une œuvre aussi copieuse que À la recherche temps perdu ne me ferait pas perdre mon temps de confiné. Elle le meublerait intelligemment. D’aucuns la considèrent comme majeure, comme la plus représentative de la littérature française, au même titre que le sont Shakespeare, Cervantes, Dante, Faulkner et Goethe dans leurs pays respectifs.

    Aujourd’hui j’apprécie au plus haut point les épinards ; je ne déteste pas le steak haché, mais bien que n’ayant pas connu celui de Louise Quentin je m’en tiens à l’avis de mes voisins ; l’orange n’a plus tout à fait la même saveur de rareté, mais son jus est presque devenu incontournable à l’heure du petit déjeuner. Alors ? Proust ? L’avenir le dira ou ne le dira pas,  tant le « temps perdu ne se rattrape jamais » aux dires de Jules Renard, un contemporain de Marcel Proust dont on ne retient pour ainsi dire, et injustement, que le célèbre Poil de carotte.

    C’est ce lundi 30 novembre que l’on connaîtra, avec vingt jours de retard sur la tradition, le lauréat du Prix Concourt 2020. Le Covid 19  (comme je l’ai déjà rappelé, Bernard Pivot, membre de du jury Goncourt attribue le genre masculin à ce coronavirus) s’est invité cette année, ce qui n’a pas été certainement sans contrarier Emile Cotte, le chef cuisinier du restaurant Drouant, restaurant parisien fondé en 1880 qui accueille à sa table depuis 1914, le premier mardi de chaque mois, le jury du Goncourt, ainsi que celui du prix Renaudot depuis 1926. Pas plus que ces collègues, le restaurateur ne peut avoir table ouverte. Le prix sera attribué par video-conférence.

    Marcel Proust a été un des premiers lauréats du Goncourt avec A l’ombre des jeunes filles en fleurs, en 1919 ; Jules Renard, membre de l’Académie Goncourt, sans en avoir reçu lui-même le prix, avait déjà tiré sa révérence neuf ans plus tôt.

    Dans les heures qui vont suivre la mise en ligne de cette nouvelle humeur du jour, dont une certaine Louise « Cantine » est à la source, nous connaîtrons le 118ème lauréat de ce prestigieux prix littéraire. Nous saurons également ce qu’il y aurait pu avoir  dans les assiettes des jurés si la tradition d'un jury réuni autour de la table avait pu être maintenue. .A l’heure où j’écris ces lignes il est à craindre que le chef Cotte n’ait à ce jour jamais entendu parler du steak haché de Kermouster qui a ravi tant de palais. Les Goncourt ne savent pas ce qu’ils perdent !

    Faut-il espérer qu’un jour, une bonne plume, tout aussi habile cependant dans le maniement de la queue des casseroles, accouchera  d’une œuvre qui, au travers d’une romance bien dosée, s’en viendrait à nous narrer l’histoire de cette humble cuisinière d’un hameau du bout du monde. Ne vous méprenez pas ! Je ne viens pas ce jour vous dire mon intention d’être moi-même cette plume. L’art des fourneaux n’est pas dans mes gênes. Tout au plus puis-je suggérer un titre : La cantinière de chez Chinie.

    Qui sait si un tel livre ne pourrait pas, par la suite concourir au Goncourt ? En tout cas, il aurait toutes ses chances avec le prix littéraire de la gastronomie Antonin Carême. Ce prix fête cette année sa vingtième année d’existence. Il honore la mémoire d’un cuisinier qui sera le premier à se faire appeler chef. Et pour cause !

    Antonin Carême (1784-1833), surnommé « l’empereur des fourneaux » aura su, à la force du poignet, se faire apprécier tour à tour par Talleyrand, le tsar Alexandre II, le futur roi George IV, l’empereur d’Autriche François 1er avant de diriger les cuisines du banquier James de Rothschild. C’est en Autriche, chez un lord, un certain Steward, qu’Antonin Carême aurait inventé la toque, un couvre-chef plus esthétique que le bonnet en coton que portaient auparavant les cuisiniers.

    Carême, roi de la gastronomie. Cela ne manque pas de sel. Alors pourquoi pas Louise Quentin, reine de la cantine ?

                                                                                                 

                                                                                                                                                  C.T.

     

     Pour suivre : 

     

    Sur le chemin de l’école : Pascal Perrot

     

    Précédemment : 

     

    Sur le chemin de l'école: Yvon Perrot

     

    Sur le chemin de l'école: Marie-Hélène Baibled / Costiou

     

    Sur le chemin de l'école: Jean-Pierre Le Dantec

     

    Sur le chemin de l'école: Yvon Corlouer

     

    Sur le chemin de l'école: Michel Le Troadec

     

    Sur le chemin de l’école : Marie Françoise Séguillon

     

     Sur le chemin de l'école: Michel Le Cam

     

    Sur le chemin de l'école: Marie-Claire Beauverger / Pochat

     

    Sur le chemin de l'école: Marie Françoise Arzul / Parenthoën

     

    Sur le chemin de l’école : Jean Bourdon  

      

    Sur le chemin de l'école : Huguette Arzul / Le Berre

     

    Sur le chemin de l’école : Marie Anne Beauverger / Ernault 

      

    Sur le chemin de l’école : Rosalie Le Blouch / Le Lay 

     

    Sur le chemin de l'école : Ernest Lavisse 

     

    Sur le chemin de l'école : Mathurin Boscher 

     

    Sur le chemin de l’école : Isabelle Marrec 

     

     Sur le chemin de l’école 

      

    Le Kermouster d’Yves Saindrenan 

      

    Adieu Monsieur…l’Instituteur!   

                                                                                                                               

     

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :