• Spectacle vivant à l’ère de l’Homo Écranopithèque

     

     

    Spectacle vivant à l’ère de l’Homo Écranopithèque

     Le lièvre et la tortue à la manière de la compagnie Atomes scéniques;

     

    Ne cherchez pas dans le dictionnaire ! J’ai l’immodestie de penser que je suis le premier à définir ainsi notre nouveau statut. Si ce n’est pas le cas, je fais d’avance amende honorable. Mais quoi qu’il en soit, il est avéré que quatre millions d’années après l’Australopithèque et quelque 30000 ans après l’extinction de l’homme de Neandertal et de l’Homme de Cro-magnon, nous sommes témoins et acteurs d’une nouvelle ère, celle de l’homme n’agissant plus et ne se définissant plus qu’au travers d’un écran : l’Écranopithèque.

    Des historiens bien au fait de leur science ne seront pas sans affirmer qu’il faut remonter à 130 ans, très précisément au 28 octobre 1892 pour voir émerger des humains pouvant se penser via une projection d’images animées. Ce jour-là, donc trois ans avant Auguste et Louis Lumière, Émile Reynaud (1844-1918), l’inventeur du Praxinoscope, organisait au musée Grévin, à Paris, la toute première séance de son Théâtre optique.

    Certains penseurs ne seront pas sans affirmer toutefois qu’il convient de repousser à la date du 27 janvier 1926 l’émergence de l’irrésistible attrait de l’écran dans notre quotidien. Ce jour là, tirant profit des avancées technologiques, dont le tube cathodique mis au point par l’Allemand Karl Ferdinand Braun (1850-1918), l’Écossais John Logie Baird (1888-1946) organisait devant la Royal Institution la toute première émission de télévision.

    J’hésite pour ma part à trancher, car je n’ai pas oublié que la magie des séances dominicales du cinéma a opéré bien avant celle ressentie, quant à elle, à partir de la fin des années 1950, via le premier poste de télévision familial. On dévorait alors l’écran, chaque soir, jusqu’à l’extinction de la mire. Inutile de taire cette vérité. Face au « petit » écran, nous étions littéralement « scotchés ». Comme le sont désormais nos enfants et petits enfants sur leur téléphone portable. Vous-même, peut-être ?

    Pour eux, les Écranopithèques du Smartphone,  nous relevons, en quelque sorte, de la préhistoire. Pensez ! Le premier téléphone portable, l’IBM Simon est né en 1992, donc trois quarts de siècle après la télévision. Mais voici qu’il se trouve à son tour aujourd’hui ringardisé par de nouvelles applications, toutes plus chronophages les unes que les autres. Toutefois, cela ne nous dédouane en rien de nos propres responsabilités  - je parle ici des gens de ma génération dont vous lecteur faites peut-être partie - car nous n’avons pas su, nous les Écranopithèques de la première génération, anticiper sur les effets addictifs de ce compagnon de tous les jours, dont on ne peut mettre en cause, par ailleurs, l’utilité si ce n’est l’efficacité. Donc, mea culpa ! Mais que cela nous plaise ou non, cette identité d’Écranopithèques nous colle aussi définitivement à la peau.

    Est-ce à dire que notre caractéristique première d’Homo Sapiens va disparaître totalement au fil des générations qui vont prendre le relais ? Il m’arrive de le craindre, mais, fort heureusement, il ne se passe guère de jours sans que je puisse trouver matière à me rassurer. Tenez ! Pas plus tard que jeudi dernier, sur le parking de l’île à Bois, il nous a été donné de vivre un vrai moment de bonheur intergénérationnel partagé sans écran interposé.

     

    Spectacle vivant à l’ère de l’Homo Écranopithèque

                                                                                                                                        (Photo Patricia Dufour)

     

    Ce jour-là nous étions conviés à assister à un spectacle vivant, c'est-à-dire que nous pouvions enfin, après de longs mois d’abstinence, regarder des acteurs en chair et en os se mouvoir devant nous. Les spectateurs et les acteurs ne font alors qu’un ; point d’écran intermédiaire pour partager la vibration des ondes ; s’il n’y avait eu la nécessité de maintenir une certaine distanciation, toujours à cause de ce maudit Covid, on aurait pu traduire notre satisfaction en se tapant dans les mains.

    Ce spectacle ciblait avant tout le très jeune public, mais pas que lui ! Et pour cause ! Il nous offrait, à nous qui avons de l’âge, un véritable bain de jouvence puisque les deux comédiens de la compagnie Atomes scéniques nous ont, à leur manière, rouvert le grand livre des fables de Jean de La Fontaine.

    Ayant déjà dit, dans une précédente chronique rappelant le 400ème anniversaire de sa naissance, toute l’estime que je porte à ce génial écrivain, je n’y reviens pas, mais il me faut souligner le talent de ses porte-voix que sont Dominique et Jean-Claude Perraux. Ils ont su meubler l’espace qui leur était réservé en contrebas du parking tout en nourrissant de la plus belle manière qui soit l’imaginaire des spectateurs. De leur malle, style coffre de pirates, ce couple de  saltimbanques venus de l’Isère a fait jaillir le loup, l’agneau, le bœuf, la grenouille, la poule aux œufs d’or, le rat des champs et celui de la ville, sans oublier le lièvre, la tortue, le corbeau et le renard. Et cela sous le regard émerveillé d’une poignée d’enfants. C’est en cela qu’il y avait matière à se rassurer.

    Par le mime et le mot,  Dominique et Jean-Claude Perraux ont su tenir en haleine, de bout en bout, leur public ; trop maigre assurément, en raison d’une concurrence redoutable, celle de la marée. En cette fin d’après-midi, la mer était à son plus haut niveau, s’en venant lécher les châteaux de sable. Il faisait beau, il faisait chaud. Tout se conjuguait à merveille pour vaincre toute réticence à mettre les pieds dans l’eau. À Kermouster, on ne le dira jamais assez, rien ne se fait sans tenir compte de l’horaire des marées.

    En contrebas d’un parking plein comme un œuf, sur cette parcelle alors interdite aux quatre roues, le rêve a cependant également pris toute sa part. Les sourires des enfants ont fait plaisir à voir. Quelle plus belle récompense pour des acteurs que t’entendre des gloussements et des rires aux éclats ! Preuve s’il en est que le rêve ne passe pas uniquement par le canal d’un écran tactile. A fortiori chez des enfants préférant encore la pelle et le seau.

    Nourri dès l’âge de raison au fameux juron Anthropopithèque ! du capitaine Haddock, je suis prêt à mettre ma main au feu que le goût du livre et du spectacle vivant résistera aux effets pervers des écrans, tel le roseau pliant mais ne rompant pas sous le vent mauvais.  Dans sa nouvelle coque d’Écranopithèque, l’Homo Sapiens n’abdiquera pas et saura demeurer maître du virtuel et de sa capacité à rêver. De cela il faut nous en persuader, même à l’heure d’une Olympiade sous cloche.

     

     

                                                                                                                                        Claude Tarin

                                                                                                                           Lundi 26 juillet 2021

     


  • Commentaires

    1
    Mercredi 4 Août 2021 à 20:43

    Merci pour l'article bien sympathique !

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :