• Océane

    Alors que le mois de mai de l’année du confinement tire sa révérence, la vie d’avant se glisse subrepticement dans le champ de nos illusions. Les boîtes à lettres se remplissent de prospectus publicitaires, le téléphone nous invite de nouveau à rester en contact avec une voix qui nous propose une installation garantie pourvoyeuse d’économies d’énergie et sur le bas côté de la route menant à l’île à Bois les détritus en plastique recommencent à fleurir. Sourde inquiétude alors qu’au bord de l’eau tout respire encore la sérénité.

    Sur le parking, les camping-cars sont au rendez-vous du bien être. Qu’il fait bon avoir pu enfin réunir sa petite famille autour d’une table pliante avec vue sur mer. A deux pas de là d’autres adeptes de la maison sur roues, qui, visiblement, ne se connaissaient pas avant cette étape, échangent leurs impressions. Sur l’air du temps. Il fait beau.

    Sur le plan d’eau du Trieux, chassé croisé des kayaks. Sur une eau peinant à dépasser les 16°. Dixit les baigneuses du jour. La bise du vent freine le réchauffement.

    Le Soleil et la Lune pèsent également sur le coefficient. Ce touriste qui s’en revient avec sa canne à pêche ignore peut-être que la période de la morte-eau n’ouvre guère l’appétit des poissons. Mais être bredouille ne tue en rien les bonnes sensations qu’a procurées la manivelle du  moulinet. Le bonheur, on le sait, ne tient souvent qu’à un fil.

    De l’autre côté de la digue, c’est un joli prénom saisi à la volée qui apporte une coloration enjouée à ces instants particuliers qui vous font apprécier d’être là à ce moment là. « Océane ». Qui de ces deux petites filles, jouant avec leurs radeaux en polypropylène au bord de la baie de Pommelin, est Océane ? Quel joli prénom ! Elle aurait pu tout aussi bien s’appeler Marine, Ondine, Doris, Delphine, Naïa, Nausicaa  ou Morgan, un prénom breton qui signifie « née de la mer ». Mais c’est en tant qu’Océane que la voici lancée dans le grand bain. Sait-elle, elle-même, qu’elle est aussi fille de la mer ?

    On ne le dira jamais assez. Une vie ne suffit pas à faire le plein de connaissances. J’ai grandi au rythme des messes dominicales et je découvre, à deux pas du Paradis, qu’il existe un Saint Océan. Consultation faite, il s’agit d’un chrétien qui a été brûlé vif, au IIIe siècle, sous le règne de l’empereur Maximien Hercule, pour avoir refusé d’abjurer sa foi.

    Océan a vécu en Bithynie, en Asie mineure, côté mer de Marmara. C'est-à-dire, non loin de Byzance, aujourd’hui Istanbul. Son prénom il le doit à la mythologie.  Okeanos est l’aîné des Titans, fils d’Ouranos (le ciel) et de Gaïa (la Terre). Un grand frère beaucoup plus paisible que bien d’autres. Ses 3000 fils sont les dieux fleuves et ses 3000 filles les Océanides.

    Je ne sais pas si c’est en pensant à ce saint que des parents en viennent à prénommer ainsi leur fille. Ce que je sais, c’est que ce prénom sonne bien à l’oreille. Bien mieux qu’Océan que l’on fête chaque 18 septembre. Dans un quasi anonymat,  puisqu’il doit s’effacer devant Sainte Nadège! Et je ne doute pas non plus que ce prénom Océane continuera à vivre au rythme des marées, contrairement à Pélagie qui, pourtant, selon moi, a sa propre charge poétique.

     

    X  Æ A-12

     

    Le choix du prénom est une affaire qui n’engage pas que les parents. Il faut le porter toute sa vie. Aussi, ce jour, alors que du côté des Etats-Unis le succès  de la mise en orbite de SpaceX gomme légèrement l’image d’une Nation n’en ayant pas terminé avec son racisme anti-noirs et, depuis peu, anti-asiatiques, je m’interroge sur ce que pourra être le monde d’après tel que le prévoit Elon Musk, ce milliardaire américain d’origine sud-africaine, patron de la société Tesla qui est à l’origine de ce lancement. Je m’interroge parce que ce personnage messianique vient tout juste d’être père et qu’il a prénommé son fils X  Æ A-12. Je vous laisse le soin d’aller découvrir les explications qu’Elon Musk apporte pour expliquer un tel choix, mais je ne peux y voir qu’une inquiétante mégalomanie.

    En investissant l’espace, ce cinquantenaire, à qui tout semble réussir, affiche ni plus ni moins son intention de changer le monde et l’humanité. Il veut réduire le « risque d’extinction humaine » en créant une vie multi-planétaire par l’établissement d’une colonie humaine sur Mars. Rien que ça !

    Lâchement, je me dis que je ne serai plus là pour être le témoin d’un tel bouleversement. Loin de moi l’idée cependant de m’opposer à une meilleure compréhension des lois de l’univers. Sans le savoir, la rigueur et le sérieux de ces hommes et femmes qui ont conçu Space X, Elon Musk n’aurait pu à lui seul mettre sur orbite ce projet « titanesque ». Mais l’histoire de l’humanité est riche de ce détournement d’objectifs scientifiques qui ont permis à des illuminés de se croire dotés d’une mission quasi divine.

    X  Æ A-12 serait-il l’enfant Jésus de ce monde d’après qui, cette fois, n’aurait vraiment plus rien à voir avec celui d’avant ? Je m’accroche à l’espoir que ce futur hypothétique dont son père entend être le géniteur n’en vienne pas à se décliner au présent.

    J’en suis pour l’heure à plaindre cet enfant sigle. Il n’est pas sûr qu’on lui permettra de vivre par lui-même sa vie d’enfant. Fruit d’une jouissance narcissique, il risque fort de se voir privé du plaisir que procure le pâté de sable. Pauvre gosse de riches à qui tout sera donné avant qu’il ne se découvre par lui-même. La fierté de ce prénom hors normes,  il devra l’assumer bon gré mal gré. Il ne s’appartiendra pas, car il fait déjà partie du projet  Mais peut-être arrivera-t-il à briser ses chaînes pour les beaux yeux d’une Océane. Aura-t-il lui aussi le droit de rêver à une autre vie que celle qu’on lui prévoit ? On ne peut que le lui souhaiter.

     

                                                                                                                Claude Tarin

                                                                                                       Dimanche 31 mai 2020

     

    Haïku spatial

     

    Pour cet énième haïku, restons les yeux fixés sur la voûte stellaire avec Okeanos,  mission spatiale à laquelle travaillent les Japonais. Objectif de cette mission : déposer un engin sur un des astéroïdes qui sont sur la même orbite de Jupiter autour du soleil. Pour y étudier les origines du système solaire. L’ambition est donc ici plus humble que celle affichée par Elon Musk.

     

    Astéroïde

    Dans le filet d’Okeanos-

    Plein soleil

     

    Saint Océan

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Le Guen Louis & Anne
    Lundi 1er Juin 2020 à 08:56

    Merci pour les renseignements sur le Saint Océan , martyr . J'arriverai certainement à l'évoquer lors de mes visites du Patrimoine de la Presqu'ile avec ses nombreuses chapelles au bord de l'eau .

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