• Migrants: du Monde à la Commune

     En famille, entre amis, le sujet finit toujours par tomber sur la table. Il y a ceux qui s’insurgent face à une politique qu’ils jugent trop coercitive, qu’ils n’hésitent pas à qualifier d’inhumaine, et ceux qui, à force d’arguments recevables, mettent sous le boisseau leur empathie naturelle pour exiger encore plus de fermeté. Ce n’est guère une situation confortable que d’avoir le cul entre deux chaises, même quand votre cœur balance franchement vers cette exigence de solidarité. Le cœur a ses raisons, mais la raison n’est pas pour autant dépourvue de cœur.

    Vieux réflexe coutumier, c’est vers le Président que s’agrègent les griefs et les espoirs. J’ai déjà souligné précédemment l’intérêt qu’il y a à souhaiter qu’Emmanuel Macron puisse contribuer à renforcer cette Europe. Sans l’Union, point de salut ! Ce Président a assurément une tête bien faite. Sa façon de conduire le char de l’Etat peut cependant irriter.

     Porté par un retour image on ne peut plus flatteur sur la scène internationale, il lui faut éviter de devenir, chez lui, un Président « hors sol ». A lui de  prouver qu’entre les embrassades avec des migrants d’un centre d’accueil et celles avec les dirigeants des plus grandes entreprises mondiales, sous les dorures du château de Versailles, c’est bien la volonté de renforcer la solidarité entre tous les maillons de la chaîne humaine qui l’anime. Il y a tant d’autres maillons de cette chaîne qui attendent eux aussi considération. Cependant, au jour d’aujourd’hui, c’est lui faire un faux procès que de laisser entendre qu’il n’a point de compassion sincère pour tous ces gens en déshérence. Qu’il n’oublie jamais cependant l’importance du respect et de la reconnaissance pour tous et de la nécessaire et équitable redistribution dans un monde en profondes mutations, sur lesquelles il n’a de cesse, avec raison, de nous alerter !

    D’évidence, concernant cet épineux dossier de l’accueil des migrants, tout ne dépend pas de lui ni de son gouvernement, même s’il en va de leur  responsabilité. Face aux multiples problèmes que pose cette immigration massive, chacun de nous a un rôle à jouer, en tout cas, peut jouer un rôle. Persuadez-vous en si tant est que cela soit encore nécessaire ! Nous pouvons collectivement, au niveau du pays, résoudre non pas la quadrature du cercle mais une partie du problème. Et cela passe aussi par l’échelon communal. De la commune au monde ; du monde à la Commune.

    Donner des visages à ces hommes, femmes et enfants

    Concernant les migrants, ne raisonnons plus en masse, mais en individus ! Donnons des visages à ces hommes, femmes et enfants qui fuient les horreurs de la guerre ou l’impossibilité qui leur est encore faite, pour de multiples raisons, de pouvoir vivre dans leur pays ! Le Gouvernement a mis en place quelques camps de regroupement. C’est la solution première pour éviter les « jungles », mais ce ne peut être qu’une solution transitoire. Evitons les ghettos !

    Au niveau communal, sans verser dans l’angélisme béat, nous pouvons grandement soulager tous ces bénévoles qui agissent en amont dans ces centres d’accueil, ne serait-ce qu’en se chargeant de fournir une aide en direct à ceux et celles qui ont fuit l’horreur « en famille ». La notion de famille est, de mon point de vue, le ressort premier de ce que pourrait être notre contribution : couple  avec ou sans enfants, femme seule avec enfants. Il ne s’agit bien évidemment pas d’exclure qui que ce soit, mais tout laisse à penser que ce sont des familles qui pourraient le plus facilement se porter volontaires à un éloignement des grandes villes. La ruralité a de grandes vertus.

    Posons nous cette question ! Est-ce qu’une commune de la taille de Lézardrieux (1000 à 2000 habitants) ne serait pas en mesure d’accueillir ne serait-ce qu’un couple avec ses enfants ? Je n’ignore pas le contexte dans lequel s’inscrit une telle suggestion. « Accueillir à l’heure de la suppression de la taxe d’habitation et autres ponctions budgétaires, mais vous n’y pensez pas ! ». Si, bien évidemment. Mais il y a urgence. La vie d’être humains est en jeu.

    Deux à cinq habitants de plus sur un total de 1500, est-ce hors de portée ? Je ne le pense pas. Ce qui vaut pour Lézardrieux vaut également pour les autres communes de la Presqu’île et bien aux delà des rives du Trieux et du Jaudy. Rien que dans les Côtes d’Armor, il existe environ 90 communes de la taille de Lézardrieux, c'est-à-dire susceptibles de trouver la ressource nécessaire pour agir de la sorte

    Une oasis de fraternité

     L’image d’une cellule familiale branchée sous perfusion d’un corps social de la taille d’une petite commune  a du sens. C’est lui offrir une oasis de tranquillité, l’intimité nécessaire à son propre épanouissement, mais c’est aussi lui permettre de se ressourcer au sein d’une collectivité dont elle a tout à apprendre. Le temps d’un exil, voire d’une naturalisation si cela est demandé, cette famille bénéficierait d’une attention soutenue et désintéressée, sans condescendance. Bien entendu, nos élus ont besoin de se sentir épaulés. Les bonnes volontés locales ne leur feraient pas défaut.

    Ces gens d’une autre culture  pourraient ainsi, progressivement, sans à-coup, apprendre à mieux connaître notre manière de vivre ensemble et, qui sait, in fine, trouver une grande vertu à cette société citoyenne qui entend défendre, bec et ongles, son concept de la laïcité. Croire est une chose, pratiquer en est une autre, mais l’intégrisme, d’où qu’il vienne, n’a pas sa place dans une société démocratique. Il n’a d’ailleurs sa place nulle part. 

    En donnant suite à cette suggestion, cette Presqu’île dite sauvage ne ferait pas que se donner bonne conscience. Elle  nous honorerait.

     

    Va pour le kawa !

    .

    Puisqu’il nous est encore possible de rêver à des jours meilleurs, rêvons ! Transportons nous dans l’avenir. Dans un proche avenir. Un jour de juin 2023, au bord d’un quai, sur le port de Lézardrieux. A l’heure où le soleil commence à faire son apparition au-dessus de Traou Vilin, sur l’autre côté de la rive.

     

    - Bonjour !

     

    - Ah ! Bonjour ! Y a pas à dire, on vit dans un chouette endroit. On ne se lasse pas d’un tel paysage. On a tout pour être heureux

     

    - C’est sûr ! Mais ça n’empêche pas d’avoir du vague à l’âme

     

    - Ah bon ! Que passa ?

     

    - Oh ! Rien de bien  grave. Mais je viens d’apprendre que Suleyman va nous quitter.

     

    - C’n’est pas vrai ! Pourquoi ? Pour quelles raisons ?

     

    - Il estime que la situation s’est nettement améliorée au Soudan et qu’il lui faut retourner au pays

     

    - Mais je me suis laissé dire qu’il avait fait une demande de naturalisation.

     

    - L’idée de demander la naturalisation française lui est venue à l’esprit, mais finalement il n’y a pas donné suite.

     

    - Dommage ! On perd un chic type. Ce n’était pas chose évidente il y a cinq ans quand il a débarqué à Lézard.

     

    - Oh oui ! Même si nous avons réussi à faire partager la décision de l’accueillir, nous redoutions que cela  pose plus de problèmes qu’autre chose. Sujet sensible, oh combien !

     

    - J’en conviens. Mais tout s’est bien passé. J’imagine que sa famille le suit. Quand partent-ils ?

     

    - Fin août, début septembre, le temps de régler quelques formulaires. Il n’en va pas comme d’une lettre à la poste.

     

    - On les regrettera

     

    - A qui le dîtes vous ! Suleyman est effectivement un chic gars. Bon ! Il ne maîtrise toujours pas bien notre langue, mais cela n’a pas empêché le dialogue. Les Soudanais du Sud maîtrisent mieux l’Anglais que la plupart d’entre nous.  Qui aurait pensé que nous autres Lézardriviens nous deviendrons des experts sur le Soudan ?

     

    - Tout particulièrement sur Fachoda ! C’est quand même marrant d’avoir accueilli des Soudanais originaires de ce village. Cela nous a remis en tête  cette vieille histoire qui figure dans nos vieux manuels scolaires.

    .

    - Une histoire que Suleyman ne connaissait pas avant de débarquer ici. Mais en cinq ans, grâce à tous ces gens qui n’auront eu de cesse de lui faciliter la vie et celle de sa famille, il a fini par intégrer quelques solides notions de notre culture. Evidemment, Fachoda est devenu et restera,  pour nous aussi, incontournable.

     

    - C’est là-bas qu’il s’en retourne ?

     

    - C’est ce qu’il nous laisse entendre. A 35 ans il pense être en mesure d’aider son village à se reconstruire après toutes ces années de guerre entre la République du Soudan et le Soudan Sud. Il pense notamment agir dans le domaine de l’approvisionnement en eau, mais il va essayer de trouver du travail dans le secteur de la gomme arabique. Nous nous sommes renseignés. C’est effectivement un domaine où le Soudan occupe une place de leader en tant qu’exportateur de ce produit extrait de l’acacia. Comme quoi, on gagne à s’intéresser à ce qui fait la vie des autres.

     

    - Et sa famille, que va-t-elle devenir ?

     

    - Hiba, son épouse, pour ce que j’en sais, envisage de devenir institutrice. Elle a vraiment pris de l’assurance. Je crois qu’elle a tiré profit de sa proximité avec l’école Paul Le Flem. A 30 ans, elle a tout son avenir devant elle.

     

    - Mais quel avenir pour leurs enfants ?

     

    - Il est certainement trop tôt pour le savoir. Il faut espérer que cette région d’Afrique ne replonge pas dans le chaos. Une chose est sûre, Habo n’oubliera pas le plaisir qu’il a eu à faire de l’aviron. Si un jour j’apprends que ce gamin devenu adulte a monté son propre club à Fachoda ou autre part sur le cours du Nil, je ne serai pas étonné. C’est ce que je me disais tout de suite en regardant couler le Trieux. Il en aura passé de bons moments sur ce plan d’eau. Il est fort possible qu’il quitte Lézard la larme à l’œil. Il s’y est fait de bons copains. Quant à Uduru, sa sœur, elle semble bien armée pour faire face à son destin. Des quatre, c’est elle qui a le plus progressé en Français. Ce qui n’est pas notre cas, reconnaissons le pour ce qui est de l’arabe, ou pour le moins, du dialecte shilluk. Qui sait, si plus tard, elle ne jouera pas un rôle dans les relations entre nos deux pays ? Oui ! Qui sait ?

     

    - Avec toujours en tête une pensée pour Lézard !

     

    - Certains diraient qu’il s’agit là d’un retour sur investissement. Nul ne peut parier sur l’avenir, bien évidemment. Mais en accueillant cette famille, nous avons quand même jeté une passerelle entre deux mondes. C’est du gagnant gagnant !

     

    - Lézard port d’attache pour une autre famille ?

     

    - Bien évidemment, si on nous le demande

    -           

    - Ça vous dit un café ?

    -           

    - Vu l’heure, va pour le kawa !

     

     

     Gérard-Louis Gautier.-  Grand merci à Gérard-Louis Gautier pour ce dessin illsutrant bien le sens de cette chronique. Gérard-Louis est une "vieille connaissance", un compagnon de route sur le chemin de l'information. Son encrier est riche d'humanité, sa plume donne au trait finesse et sensibilité. Gérard-Louis fait partie de ces dessinateurs de presse qui vont à l'essentiel. 

     

     


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