• Les vagues de l’histoire

    Le jargon politique cultive sans retenue la métaphore maritime. Tenir le cap ; tenir la barre ; tous sur le même bateau, etc. Aujourd’hui, la vague verte. Une vague verte, après la vague bleue qui suivit la vague rose. Une vague verte, mais un coefficient électoral à marée basse. Il y aurait, suite à ce dimanche électoral, matière à se pencher sur l’état de santé de notre démocratie. Mais, à la veille de la commémoration du 80e anniversaire de la tragédie de Mers el Kébir, c’est sur un autre type de vagues qu’il m’a semblé utile de discourir.

    Alors qu’en ce début d’été la crainte d’une deuxième vague de la pandémie est au cœur de toutes les interrogations, j’en viens, à l’heure de cette commémoration, à décliner cette humeur du jour sur le thème des vagues meurtrières qui ont profondément façonné notre histoire. Mers el Kébir ? Un tragique épisode de la Seconde Guerre mondiale. .

    Une plaque scellée sur le mur de la chapelle nous rappelle cette tragédie. Un seul nom y est gravé. Celui d’Edouard Petibon, quartier maître mécanicien à bord du cuirassé Bretagne. Décédé à l’âge de 21 ans. Sous un déluge de feu et d’acier. Un nom qui s’ajoute à ceux des  quatorze Kermoustériens morts au combat, sur mer et dans les tranchées, lors de la Grande Guerre de 14-18. Plus jamais ça, disait on en 1919 lorsque Edouard Petibon poussa son premier cri. Plus jamais ça ! Vingt ans plus tard, une vague brune balayait cette illusion.

    Mers el Kébir ? Des navires britanniques qui tirent à vue sur des navires français dans l’incapacité de combattre. Au motif que  les Français ont refusé de donner l’assurance qu’ils ne rallieraient pas l’ennemi d’alors, l’Allemagne d’Hitler. 1295 morts, en l’espace d’un quart d’heure. Un fait de guerre qui a provoqué un profond traumatisme dans l’opinion publique de l’époque, tout particulièrement dans la grande famille du monde maritime.

    Suite au fracas de Mers el Kébir, l’entente cordiale d’alors a volé instantanément en éclats, faisant ressurgir le souvenir d’autres batailles navales entre les deux puissances maritimes. Sans remonter au temps de la conquête des empires coloniaux, marquée par des affrontements répétés, le coup de Trafalgar a incontestablement conditionné notre vision de l’histoire.

     

    Les vagues de l’histoire

     La bataille de Trafalgar, par William Turner, huile sur toile (1822-1824). National Maritime Museum, Londres.

     

    Le 21 octobre 1805, un certain Horatio Nelson, vice-amiral de la Royal Navy, malgré un nombre inférieur de navires, réussissait à damner le pion à la coalition franco-espagnole. Premier revers de taille pour Napoléon. Amour propre de nos marins gravement blessé.

    Un sacré chef de guerre que cet Horatio Nelson qui s’était déjà illustré en 1801 devant Copenhague, mais cette fois au détriment des Danois associés aux Norvégiens.

    Si Nelson est mort avant de connaître l’issue de la bataille de Trafalgar, c’est encore devant Copenhague que, deux ans plus tard, vont s’illustrer les Anglais pour empêcher la flotte danoise de rallier l’armée napoléonienne. En quelque sorte un avant goût de Mers el Kébir.

    Ce sont ces vieilles rancoeurs qui, tel le ressac, sont remontées instantanément à la surface lorsque furent connues les circonstances du drame qui venait de se nouer dans le golfe d’Oran, en Algérie. Au sein de la Marine nationale française, Mers el Kébir sera, au-delà de toute considération stratégique, vécu comme une trahison.

    Même si les plaies d’hier ont, depuis, été refermées, on a, de part et d’autres de la Manche, l’épiderme sensible dès qu’il s’agit de la mer. La perspective d’un Brexit qui n’a pas encore dit son nom soulève déjà bien des inquiétudes chez nos pêcheurs. Il y a peu, suite à un accouchement difficile de l’Europe bleue, la mer n’affichait pas vraiment les couleurs de l’entente cordiale. Coups de canons, abordages arraisonnements émaillaient l’actualité maritime. Plus jamais ça ! Plus jamais ça !

    Comme cela se fait quotidiennement, la flamme du soldat inconnu, sous l’Arc de Triomphe, va être ravivée ce vendredi, à 18h30, sous l’Arc de Triomphe. On y commémorera la mémoire des marins de Mers el Kébir, pour marquer le 80e anniversaire de ce drame.

    Cette cérémonie du 3 juillet se déroulera, somme toute, en catimini. Point de hauts représentants de l’Etat. Au regret de Jean Aristide Brument, le président de l’association des anciens marins et des familles des victimes de Mers el Kébir*.

    Car, à leur corps défendant, les victimes et survivants de cette hécatombe ont été injustement embarqués dans une histoire qui n’aurait pas été la leur, celle de la collaboration. Quels que puissent être les ressentiments de l’histoire.

    Le 27 novembre 1942, la flotte française se sabordera dans le port de Toulon pour échapper à la main mise des Allemands. Deux ans venaient de s’écouler, il était désormais clair qu’il fallait en passer par là. Le 3 juillet 1940, le doute subsistait encore.

     

                                                                                                          Claude Tarin

                                                                                               Mercredi 1er juillet 2020

     

     *Depuis 1984, l’association des anciens marins et des familles des victimes de ce 3 juillet 1940 entretient cette flamme du souvenir, contre vents et marées. Ce dimanche 5 juillet, à 11 h, une cérémonie se déroulera devant le monument au mort de Plouézec. Les noms de trois marins de cette commune, dont le père de l’épouse de Monsieur Brument, sont gravés sur ce monument.

     

    A suivre : Edouard Petibon, le Kermoustérien de Mers el Kébir


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