• Le tableau qui fait renaître le lavoir

     

    En ce week-end placé sous le signe du patrimoine européen, le sujet de cette chronique ne peut que vous intéresser puisqu’il va y être question du vieux lavoir de Kermouster. Mais remontons d’abord le temps à ce vendredi 4 septembre  marqué par une rencontre imprévue. Ce jour-là, Marie-Thérèse et François Le Rousseau, sortant de chez eux, aperçoivent une femme en train de photographier le lavoir. A leur grand étonnement car, malheureusement, devenu ce qu’il est, ce lavoir n’offre plus guère d’intérêt esthétique.

    Ce qui n’était pas assurément le cas dans le courant du premier semestre de l’année 1914, quelques jours ou quelques semaines avant de voir des jeunes du village rejoindre leur régiment à Guingamp ou à Brest, pour un aller sur le front, sans retour pour plusieurs d’entre eux. Il ne se trouve plus personne ici pour nous dire avoir vu un peintre, Paul Madeline (1863-1920) installer son chevalet au bas de la rue du lavoir. Le temps a passé, le lavoir s’est dégradé, ce tableau le fait en quelque sorte renaître.

    Ce n’est qu’au cours d’une conversation que Marie-Thérèse et François m’on apporté tous les éclaircissements nécessaires dont je tire aujourd’hui l’essentiel.

     

    Le tableau qui fait renaître le lavoir

     Le vieux lavoir de Kermouster, par Paul Madeline, circa 1914. Collection particulière

     

    Cette inconnue photographe ne l’est certainement pas pour bien des gens de la région. D’abord parce que Marie-Paule Connan Debunne est native de Pontrieux et qu’elle a occupé un temps la direction de l’animation culturelle de la Roche Jagu. Son père, Georges Connan était marin au long-cours. Une « payse » en quelque sorte, mais qui, après avoir exercé une carrière professionnelle au sein des instances européennes à Bruxelles, a jeté l’ancre, la retraite venue, sur les rives de la Grande Creuse, à Crozant, petite commune de la Creuse.

    Grâce aux contacts échangés par Marie-Paule Connan Debunne avec Marie-Thérèse et François Le Rousseau, un pont a pu ainsi être jeté entre la rive du Trieux et celle de la Grande Creuse. Il aura fallu seulement un ou deux clics pour découvrir un village qui vaut assurément le détour et qui, peut-être, vous incitera à y aller. Ne serait-ce que pour y admirer le tableau du lavoir.

     

    Le tableau qui fait renaître le lavoir

     Crozant sur un méandre de la Gra,de Creuse. Photo Floris Bressy, avec le concours de l'aéroclub de la Creuse (DR)

     

    Située à une soixantaine de kilomètres au sud de Châteauroux, la commune de Crozant s’honore, tout comme on peut le faire ici, d’avoir capté le regard d’artistes peintres dès le milieu du XIXe siècle, dont certains, contemporains de George Sand, qui demeurait à Nohant-Vic non loin de là. Crozant a sa « Vallée des peintres » et c’est ce qui a amené Marie-Paule Connan Debunne à faire un petit crochet par Kermouster à l’issue d’un séjour sur l’île de Batz. Avec pour objectif : ramener des photos du lavoir afin d’ étayer les connaissances sur le peintre Paul Madeline dont deux tableaux sont présentés dans le cadre d’une exposition organisée par le Musée et Centre d’interprétation de Crozant. Si l’un, représente un paysage  du cru, le deuxième n’est autre que « notre » lavoir. Si le cœur vous en dit, ne perdez pas de temps pour prendre la route. L’exposition se tient jusqu’au 10 octobre.

    Qua sait-on de Paul Madeline ? Qui peut nous dire ce qui l’a amené à venir poser son chevalet au bas de la pente de la rue du lavoir. La note circa, à l’arrière de cette toile propriété d’un particulier, nous permet d’affirmer que ce tableau a été peint avant que l’artiste-peintre, bien qu’ayant dépassé la cinquantaine, ne s’en vienne mettre son talent, à l’automne 1916, au service de l’armée. Paul Madeline illustrera, à même les événements, les paysages meurtris par la Grande Guerre.

     

    Le tableau qui fait renaître le lavoir

     Le bombardement d'Arras, gravure Paul Madeline

     

    Est-ce sur un champ de bataille qu’il aurait pu faire la connaissance de Charles Thorndike (1875-1935), ce peintre d’origine américaine, installé à Kermouster, et qui fut, quant à lui, brancardier pendant le conflit ? Est-ce Charles Thorndike qui lui a fait connaître son village d’adoption, comme il le fit avec tant d’autres peintres ? Son nom n’a, jusqu’ici, jamais eu l’heur d’apparaître dans le moindre écrit. Un autre tableau, une huile sur toile intitulée Pins et rochers au Trieux, réalisée en 1912, semble indiquer que Paul Madeline avait déjà séjourné dans la Presqu’île.

     

    Le tableau qui fait renaître le lavoir

     Pins et rochers au Trieux, huile sur toile (33x41 cm hors cadre) de Paul Madeline. Bretgne. Ecole de Crozant

     

    A ces supputations s’ajoutent celles qui tournent autour de la relation d’amitié que ce peintre peut avoir nouée avec Paul Signac (1863-1935) et Henri Rivère (1864-1951), deux artistes qui ont immortalisé les rivages du Trieux. Mais c’est peut-être non loin des rives de la Seine que le lien s’est tissé puisque cet ancien élève des Beaux Arts de Paris, illustrateur dans une maison d’éditions, a été amené, suite à sa rencontre avec le poète musicien interprète  Maurice Rollinat (1848-1903), lors d’une incursion en Creuse en 1894, à fréquenter le célèbre cabaret Le Chat Noir où Signac et Rivière ont également exercé leur talent (lire également ci-après). Il se trouvera peut-être certains témoins ou connaisseurs  pour donner corps à ces supputations.

    Toujours est- il que Paul Madeline est bien passé par Kermouster. Les photos fournies par Claudie Missenard rappelant le lavoir tel qu’il était encore dans les années 1950 sont sans équivoque.

     

    Le tableau qui fait renaître le lavoir

     

    Le tableau qui fait renaître le lavoir

    La rue du lavoir dans les années 1950 (Photos René Israël) 

     

    L’exposition de Crozant ne semble pas pouvoir lever totalement le voile, mais elle nous permet quand même d’en savoir plus sur l’identité de ce visiteur d’il y a plus de cent ans. Un inconnu, mais qui bénéficiait alors déjà d’une bonne réputation dans les milieux artistiques de l’époque ; Membre permanent du Salon d’Automne et du Salon de la Nationale des Beaux Arts, Paul Madeline a fondé en 1908 la Société Moderne qui regroupa d’autres artistes peintres. Le Salon des Indépendants lui a consacré une rétrospective en 1926.

     

    Le tableau qui fait renaître le lavoir

     Paul Madeline photographié par Nadar

     

    Grâce lui soit rendue d’avoir eu la bonne idée de coucher sur la toile ce lavoir que d’aucuns souhaiteraient voir recouvrer tout son lustre. L’actualité nous amène à poser cette question : est-ce que cette attente a des chances d’être prise en compte ?

    Ce lavoir est à deux pas de la chapelle qui aura reçu très certainement avant la fin du week-end, son lot de visiteurs. Le faire renaître de ses cendres pourrait accroître l’intérêt patrimonial du hameau. Même si, compte tenu du fait qu’il va nous falloir, à nous autres Lézardriviens, retourner aux urnes suite à l’annulation des élections du 15 mars dernier, cela n’a pas lieu de figurer dans les toutes premières priorités des deux programmes qui vont nous être à nouveau présentés. Mais, comme nous y invitent ces deux journées européennes, l’entretien du patrimoine est un dossier qui ne peut être délaissé. L’heure n’est-elle pas venue de faire un bilan complet des richesses patrimoniales de la commune, tout en n’oubliant pas ce que cela représente sur le plan budgétaire ?

    Est-ce que dans un tel domaine, la future équipe municipale, quelle qu’elle soit, pourrait s’affranchir de la nécessité qu’il y a à récupérer en amont des conseils et des avis de Lézardriviens passionnés par le volet culturel,  pour asseoir, là aussi, des décisions qui peuvent espérer obtenir l’assentiment du plus grand nombre. ?

    Ne serait-il pas temps, dans une commune qui s’honore d’avoir su attirer à elle des grands noms de la peinture, de savoir mieux tirer profit de ce riche passé pour permettre aux visiteurs d’un jour de s’en repartir heureux de cette immersion ?

     La salle Ti Skol ne peut peut-être pas se prêter aussi facilement que l’hôtel Lépinat de Crozant a la mise en place d’une exposition de la même envergure, mais, dans l’intérêt même des artistes et créateurs d’art de toutes sortes qui souhaitent la réserver, elle mériterait un suivi qui aille au-delà du simple dépôt de caution. Ce qu’une commune de 440 habitants peut faire est-il insurmontable pour une commune trois fois plus peuplée ?

    L’exposition consacrée à Charles Thorndike (août 1996) et  Le lézardrieux des peintres (août 2013) ont montré que l’on pouvait inclure des événements de ce type dans le programme culturel. Fort de toutes les informations que l’exposition de Crozant consacre à Paul Madeline ne peut-on dès lors envisager de pouvoir contempler un jour, à même la source de son inspiration, son tableau du lavoir ?

                                                                                                                               Claude Tarin

                                                                                                           Samedi 19 septembre 2020

     

     

    Le Chat Noir

     

    Le tableau qui fait renaître le lavoir

     Affiche de Théophile Alexandre Stienen (1896)

    Le cabaret Le Chat Noir, ouvert en 1881 au 85, boulevard Rochechouard puis déménagé au 12, rue de Laval en 1885, est devenu très rapidement le lieu mondain par excellence et très prisé par le monde de la nuit parisienne. Debussy y a fait ses gammes, on y croise entre autres Paul Signac, Camille Pissarro, Vincent van Gogh, Adolphe Léon Willette, Paul Seurat. Le théâtre d’ombres est la grande attraction qui se tenait au deuxième étage du cabaret. Henri Rivière a été à l’origine de ce spectacle où derrière un écran tendu d’une toile blanche, des silhouettes découpées éclairées par une lampe défilaient accompagnées par le récitant jouant le plus souvent avec l’actualité et improvisant au fil de la représentation. Rodolphe Salis aura été le meilleur exemple des récitants du théâtre d’ombres.

    Pour ce qui me concerne; ma connaissance du Chat Noir se limite à une rengaine extraite d'un chanson composée par Aristide Bruant. Un "tub" d'une époque révolue. Voici les paroles. Nombreux seront celles et ceux qui pourront les chanter dans l'instant.

    Je cherche fortune,
    Autour du Chat Noir,
    Au clair de la lune,
    A Montmartre!
    Je cherche fortune;
    Autour du Chat Noir,
    Au clair de la lune,
    A Montmartre, le soir
     


  • Commentaires

    1
    MClaire
    Samedi 19 Septembre 2020 à 17:06

    Bonsoir Claude, 

    Je connais Marie-Paule Connan,  et, très bien connu son père Georges à Pontrieux !

    Sympa ces photos du lavoir !

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