• La lettre d’adieu de François Marie Félicien Le Mevel

      Mars 1916. Les nouvelles sont toujours aussi désespérantes, d’où qu’elles viennent. On sait tout particulièrement ici que le sort de la bataille se joue aussi sur mer. La Presqu’île sauvage est une pourvoyeuse de marins. Ella en a déjà payé le prix. Le 26 février dernier, le torpillage en Méditerranée du Provence II, un ancien paquebot transformé en transport de troupes, a, à nouveau jeté l’émoi. Le navire transportait 1700 soldats vers Salonique. Il a été coulé par le sous-marin allemand U 35. Charles Berthou, matelot chauffeur de 2ème classe, 33ans, de Pleublian est au nombre des victimes.

      Il y a tout juste un an Le Bouvet, le 18 mars, heurtait une mine dans le détroit des Dardanelles. Le 27 avril, le croiseur cuirassé Léon Gambetta, sombrait après avoir été torpillé en Adriatique. Parmi les victimes du Léon Gambetta, deux Lézardriviens, Louis Drogo et François Marie Petibon, et le matelot pleubianais Albert Saint-Jalmes. La guerre pour le contrôle des Dardanelles, qui vient tout juste de s’achever, s’est révélée être un échec cuisant pour les flottes de la Triple entente. Une onde de choc.

     Un profond traumatisme. D’autant plus mal vécu que l’on pressent le pire depuis que l’Allemagne a jeté toutes ses forces sur le front de l’est avec Verdun-sur-Meuse pour cœur de cible. « Gericht ! » C’est ainsi que l’opération a été baptisée. En langage courant cela veut dire « lieu d’exécution ».

     Si la bataille qui se noue autour de cette place forte que constitue Verdun retient bien évidemment l’attention, nul n’oublie qu’il faut partout ailleurs résister à la pression ennemie. 

     

    La lettre d’adieu de François Marie Félicien Le Mevel

    L'église de Souain en silhouette (1917), huile sur toile de Félix Valotton (1865-1925). Natinoal Gallery of Art, Washington (USA)

     

      Mars 1916.  Les combats sont, à nouveau, violents et meurtriers à l’est de la ligne allant de Reims  à Châlons sur Marne, un secteur où sont déjà tombés Louis Marie Lahaye et Yves Marie Le Cleuziat. François Marie Félicien Le Mevel, 34 ans, est, à son tour, face à l’ennemi dans les parages de Souain, à l’est de la ferme Navarin. Depuis le 15 novembre dernier, le 294e régiment d’infanterie occupe des tranchées au nord de ce village déjà fortement ravagé par le marmitage des artilleurs allemands et français.

    La lettre d’adieu de François Marie Félicien Le Mevel

    La tanchée. Georges Victor-Hugo (1868-1925)*. Coll.La Contemporaine

      Pendant l’hiver, le mauvais temps a pesé sur le moral des troupes. Aucun engagement d’infanterie n’a été effectué  jusqu’en février. Mais il aura fallu sans cesse veiller à maintenir la protection des tranchées, entre le parapet et le parados qui protège des obus tombés derrière. Remettre en place ici des sacs de sable, là du grillage ou des planches. Réparer, tant faire se peut, le caillebotis, pour éviter de piétiner dans la boue. Un travail harassant, effectué sous une constante menace, l’arme à portée de la main. S’ajoute à cela, les rats et les poux qui pullulent dans ces boyaux de grande souffrance. L’artillerie, de part et d’autre, a, quant à elle, sans cesse, fait tonner le canon.

      « Il allait dans la tranchée, dans les boyaux, faisant rouler les douilles de balles, suivant au hasard l’étonnant dédale de ces lignes avancées, où l’on marche dix minutes sans rencontrer un vivant. La mauvaise volonté des hommes, outrés que la relève pût trouver propre ce qu’eux-mêmes avaient trouvé sale, la monstrueuse insouciance qui toujours leur fit préférer le péril à la peine d’organiser des abris, auraient fait de ces défenses d’affreux coupe-gorge si l’ennemi n’avait pas eu un égal désir de donner tout son sens au nom qui désigne ces lieux : secteur de repos. »

      Durant les premières années de la guerre, Henry de Montherlant est affecté au service auxiliaire. En février 1918, il se porte  volontaire pour être versé dans un régiment d'infanterie de première ligne, le 360e. Parti au front pour mourir, il en revient grièvement blessé, par sept éclats d'obus dans les reins, dont un seul put être extrait. En 1919, il deviendra  secrétaire général de l'Œuvre de l'ossuaire de Douaumont. Trois ans plus tard, il publiera son premier roman, Le Songe, dont sont extraites ces lignes décrivant les tranchées. 

      Le 26 février, les Allemands  se sont emparés de la ferme de Navarin. Le 294e RI va recevoir alors pour mission de s’emparer des tranchées des Tantes, creusées sur une ligne de crête d’est en ouest, dite Epine de Védegrange.

      L’opération a lieu le 15 mars. Avec un objectif : enlever le « Bec de Canard » et le bois 372. Deux bataillons de chasseurs des 294e RI et du 67e RI vont simultanément partir à l’assaut. Depuis cinq heures, l’artillerie n’a eu de cesse de pilonner les lignes ennemies, pilonnage qui a aussitôt déclanché la riposte de l’artillerie allemande.

    La lettre d’adieu de François Marie Félicien Le Mevel

    Sortie de tranchée pour l'attaque (1916). Georges-Victor-Hugo (1868-1925)*. Coll. La Contemporaine.

      Il est un peu plus de midi quand les compagnies d’assaut réussissent à faire tomber une première ligne. Mais les pertes sont importantes. Et le pire est à venir car la contre-attaque va être virulente. La tranchée conquise est reprise. L’attaque a échoué. Pour François Marie Félicien Le Mével la guerre s’est arrêtée nette, après vingt mois de combat. Il avait 33 ans. Il laisse derrière lui une veuve et deux enfants, qui seront déclarés pupilles de la Nation, comme tant d’autres après le guerre

      Lundi 13 mars, soit deux jours avant sa mort, François Marie Félicien Le Mével avait la tête ailleurs. Il pensait à sa famille. Il lui fallait écrire une lettre. Comme pour se débarrasser d’un mauvais pressentiment. En pays bretonnant, la mort est souvent associée à l’Ankou, un personnage de premier plan dans la mythologie bretonne. C’est lui qui vient vous annoncer votre mort prochaine. Pour nombre de soldats ne sachant guère lire et écrire le Français, la tradition orale et les contes pèsent sur l’entendement. Est-ce le cas pour ce Trégorrois qui maîtrise parfaitement le Français ? Nul ne saurait le dire, mais il n’est pas faux de penser que l’ombre de l’Ankou aura pesé chaque jour sur ces compagnies et bataillons venus de basse-Bretagne. 

      « Dans ou deux trois jours, écrira François Marie Félicien, je suis sûr d'être dans le royaume des songes ou dans un hôpital quelconque car on va partir ce soir ou demain pour attaquer et je suis dans le nombre (...) mais ne te fais pas de bile (...) tu auras une petite ressource du gouvernement et fait comme tu le fais maintenant. Soigne bien nos enfants et songe à moi de temps en temps (...) Voilà mes dernières volontés. Je te dis Adieu et on se verra dans l'autre monde (...) Si dans une dizaine de jours tu n'as pas de mes nouvelles, tu sauras que je serai dans l'autre monde. » 

      Pour son épouse, les jours qui suivront la réception de cette lettre seront des plus éprouvants. Avoir des nouvelles du front, c’est reprendre l’espoir de revoir un jour celui qu’on aime. Le courrier est aussi nécessaire que le manger et boire.

      Le manger et le boire. Depuis le déclenchement de la guerre, c’est une préoccupation quotidienne. Surtout pour tous les braves qui affrontent la mort à chaque heure du jour. Alors qu’assis au fond de sa tranchée François Marie Félicien Le Mevel couche ce qui sera ses dernières volontés, l’Ouest Eclair de ce 13 mars 1916 souligne encore les difficultés auxquelles sont confrontées les cultivateurs d’ici. Depuis le début de la guerre, comme  tous les collègues de Bretagne nord, il leur faut faire face à un manque cruel de main d’œuvre qualifiée. Ce n’est pas la décision que vient de prendre le ministre en charge des questions se rapportant à l’agriculture qui vont y remédier. Le ministre envisage d’accorder des permissions aux chefs d’exploitation qui sont sur le front afin d’assurer le travail dans les champs, dans les mois qui viennent. Une mesure de bon sens, mais qui ne règlera pas le problème d’autant plus que tous les cultivateurs qui ont été réquisitionnés dans les usines qui fabriquent des munitions devront rester à leur poste. Question de priorités !

      Depuis le déclenchement de la guerre, bien qu’éloignée des terres de grande douleur, la paysannerie souffre. Lors de la  dernière offensive en Champagne, il a été impossible de pouvoir vendre la production de pommes de terre, huit jours durant, faute de wagons. Le transport par voie ferrée n’a eu de cesse de connaître des hauts et des bas. D’autant plus qu’il a fallu faire face à la fermeture de certains marchés. Celui de l’Allemagne bien évidemment mais aussi ceux de Hollande et de Belgique. Même avec l’Angleterre, le trafic s’est fortement réduit. Faute de trouver des navires vapeurs en nombre et en tonnage suffisants. La guerre est, là aussi, à portée de jumelles.

     

      *Petit-fils de Victor Hugo, Georges Victor-Hugo (1868-1925) est écrivain mais aussi peintre et dessinateur. Bien qu’ayant effectué son service dans la marine, il est affecté, en 1915, dans un premier temps à la censure à Paris, puis comme agent de liaison au 171e régiment d’infanterie. On le trouve dans la région du Bois des Chevaliers dans les Hauts-de-Meuse, puis en Champagne au moment de l’offensive de septembre 1915. Il participe aux combats autour de la ferme Navarin, et obtient une citation à cette occasion mais est contraint de quitter le front pour raisons de santé en 1916.

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