• La chapelle conserve des secrets

    La chapelle conserve des secrets

     

     Quelque cent cinquante personnes ont mis à profit les journées du patrimoine pour découvrir ou revisiter la chapelle de Kermouster. Les membres de l’Amicale, qui ont assuré la permanence ces samedi 17 et dimanche 18 septembre, ont apprécié de pouvoir s’appuyer sur la présence et le savoir de Robert Mouly qui a, dans ce domaine, pris le relais d’Yvon Thomas (décédé en 2013), lui aussi rédacteur aux Cahiers de la Presqu’île.

    Dans le n°19 de cette publication * Robert Mouly a couché sur le papier les fruits de ses recherches concernant l’histoire de la chapelle. Nous disons chapelle car, comme nous allons le souligner un peu plus loin, il y aurait lieu à débattre sur le bien fondé de cette appellation. Mais, dans un premier temps, il convient de nous attarder sur l’histoire de cet édifice religieux. Les recherches menées successivement par Yvon Thomas et Robert Mouly ont considérablement déblayé le terrain, mais bien des questions demeurent sans réponse.

    Comme cela a été vérifié lors de ces journées du patrimoine, la chapelle – nous nous en tenons présentement à cette classification – conserve bien des  secrets. A commencer par la provenance des deux grandes statues polychromes qui encadrent le maître autel.

     

    La chapelle conserve des secrets

     Robert Mouly donnant des explications à ungroupe de marcheurs venus de Bourganuf (Creuse )

     

    D’où viennent les statues  de Saint Nicolas et Saint Modé ?

     

    La chapelle conserve des secrets

     A gauche, la statue de Saint Modé, à droite celle de Saint Nicolas

    Tout laisse à penser que ces statues, compte tenu de leurs imposantes dimensions, ont été récupérées sur d’autres sites n’ayant pas résisté à l’épreuve du temps. Proviennent-elles de l’abbaye de Beauport ? Robert Mouly n'écarte pas cette piste. Rappelons brièvement qui sont ces deux saints qui ont ici place d'honneur!

    Chronologiquement, sur le plan liturgique, le « bon » Saint Nicolas, protecteur des enfants, des avocats de Paris (tous les autres vénérant Saint-Yves), des célibataires mais aussi des prêteurs sur gages et des notaires, bénéficie de l’antériorité puisqu’il est né en 270 en Lycie, sur la côte sud de l’actuelle Turquie. Saint Maudez quant à lui, était un évangélisateur venu d’Ultonie (Ulster)  et qui a débarqué en Armorique au tout début du VIe siècle, en compagnie de sa sœur, désormais vénérée en Bretagne sous le nom de Sainte Juvette..

    Ce qui est définitivement acté est gravé dans la pierre. L’édifice qu’il nous est donné de connaître a d’abord été un simple oratoire, émanation de l’abbaye Saint Nicolas d’Angers, fondée, quant à elle, en 1020 par Foulques III dit Foulques Nerra (Noir), comte d’Anjou. Explication :

    Grand pèlerin de Palestine, Foulques Nerra, surnommé ainsi pour sa cruauté, a donné suite à un vœu qu’il avait fait alors que son bateau se trouvait au coeur d’une tempête. Or Saint Nicolas, nous ne l’avons pas encore dit, était aussi le protecteur des marins et des bateliers. Donc il n’y a pas lieu de s’étonner que cet évêque de Myre, que l’on fête à travers le monde, soit honoré dans un terroir de marins que ce comte venu d’outre Loire a disputé à ses voisins bretons et qui aura été un grand bâtisseur d’édifices religieux, histoire d’obtenir la clémence du Ciel après une vie, par ailleurs, riche en atrocités.

    On peut supposer que la chronologie a été également respectée en ce qui concerne la canonisation des deux saints de Kermouster, même si, comme la quasi-totalité des saints bretons, celle de Maudez (ou Modé, comme cela est écrit sur le socle de sa statue) n’a toujours pas bénéficié de l’onction papale. Le culte  de Saint Nicolas a  été introduit dès le VIIe siècle par des moines orientaux. Pour Saint Maudez, c’est la vox populi qui lui a donné son auréole.

     

    Keffieh ou simple voile sur la tête du Christ ?

     

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    Est-ce un keffieh ou un simple voile qui couvre la tête du christ qui est suspendu au-dessus de la nef centrale ? Sur ce point de détail, il n’y a pas consensus. Les tenants du keffieh ne sont pas sans rappeler que la région a connu l’influence des Templiers, un ordre de chevaliers qui assurèrent la protection des pèlerins se rendant à Jérusalem au XIe et XIIe siècle et ont donc côtoyé des populations coiffées ainsi. D’où cette représentation peu orthodoxe.

    Reste à dater précisément la mise en forme de cette sculpture en bois. Pour Robert Mouly ce christ a été façonné dans le courant du XVe siècle

     

    Pourquoi les armoiries de Jeanne d’Arc ?

     

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    Autre énigme : la présence d’un blason représentant les armoiries de Jeanne d’Arc. Comme on se perd en conjectures sur l’autre blason dont la facture est similaire, on ne dispose d’aucun indice fiable. Que cachent ce M et le A entrelacés de l’autre blason (photo ci-dessous) ? Robert Mouly pense que cela est en rapport avec la Vierge Marie, avec l’Immaculée Conception.  Mais ne peut-on y voir l’empreinte de  Marie-Anne-Renée de Bellingant de Penmarc’h, ancienne propriétaire des lieux. C’est elle qui décida, en 1740, de donner à l’édifice encore plus d’envergure,  quatre cents ans après que les chanoines de l’ordre de Prémontré, qui rayonnaient à partir de l’abbaye de Beauport, eurent procédé à une première modification sur la base de l’oratoire dédié à Saint Nicolas. Est-ce cette dame qui a voulu, de cette façon, honorer la mémoire de la Pucelle d’Orléans ? Si ce n’est elle, c’est donc qui ?

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    Y a t il encore des gisants dans la chapelle ?

     

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    Autre question sans réponse ? Sous certaines  dalles, dans la chapelle, trouverait-on les restes des personnalités dont les noms, difficilement lisibles, sont gravés dans la pierre ? De quelle époque est cette sépulture sur laquelle on peut lire « La tombe appartient à Béatrice Lavellu (u Lavell) ». Est-ce même encore une tombe ? Il se peut, bien que cette tradition moyenâgeuse, qui permettait aux hommes d’Eglise, aux nobles et autres personnages de la haute société de se faire enterrer à l’intérieur des édifices religieux,  a été interdite au XVIIIe siècle. « Nous avons retrouvé un acte royal de 1750 interdisant cette pratique dans la paroisse de Pleubian » souligne Robert Mouly. Toujours est-il  qu’un édit datant de 1776 a mis officiellement fin à cette pratique, pour d’évidentes questions de salubrité. Pour autant, il semble qu’elle se soit poursuivie plusieurs décennies durant.

     

    Mais est-ce une chapelle ?

     

    Voici une interrogation qui risque de provoquer débat mais que nous nous devons de répercuter, même si on a encore du mal, pour notre part, à admettre que « notre » chapelle est une église. C’est, en tout cas, ce que nous a affirmé Gilles Kervella, un Sarthois qui connaît bien Kermouster puisqu’il y séjourne souvent. Notamment les jours de grande marée, comme c’était le cas ce week-end d’équinoxe. Après avoir tourné moult cailloux, samedi après midi, derrière l’île à Bois,  Gilles Kervella a, comme qui dirait, lancé son pavé dans la mare.

    Juste avant la fermeture des portes, il franchissait le seuil de…l’église. Un édifice qu’il a maintes fois eu l’occasion de visiter, mais qui se pare aujourd’hui d’un nouveau vitrail. Et c’est ce vitrail qu’il lui fallait découvrir. Parce que tout ce qui concerne l’art religieux l’intéresse.

    Ancien photographe de presse puis éditeur et auteur de livres traitant de ce thème, Gilles Kervella a pour lui d’être un fin connaisseur de l’histoire des édifices religieux, même si ses travaux ne concernent que ceux de son département. Il le dit et redit : Kermouster est doté d’une église. Une église et non pas une chapelle du fait de la présence d’une chaire. Par ailleurs, il y avait aux abords de l’édifice un cimetière qui laisse à penser, selon lui, que le village a eu statut de paroisse.

    Jusqu’à ce jour, nous nous en tenions pour notre part à la notion de « frairie », c'est-à-dire une subdivision d’une trêve (celle de Lézardrieux), elle-même subdivision d’une paroisse (Pleumeur) . Kermouster était, avant la Révolution, une des frairies de la grande paroisse de Pleumeur. D’où la question : est-ce qu’une frairie pouvait avoir sa propre église ?

    Pour l’abbé Caous, le curé qui est en charge du secteur « La chaire ne suffit pas à faire une église. L’important, ce sont les fonts baptismaux, qui sont inexistants à Kermouster. Le cimetière peut aussi indiquer qu’il s’agit d’une trêve. » La trêve de Lézardrieux ayant son église, la trêve de Kermouster ne pourrait-elle pas avoir eu la sienne ?

    Documents à l’appui, Robert Mouly prêche non pas pour sa paroisse mais pour une approche plus objective, laissant à penser qu’il vaut mieux s’en tenir à la notion de chapelle. Si en 1840, la trêve de Kermouster regroupait quelque 650 personnes, il faut savoir, écrits à l'appui, que c’est à partir de cette époque que les habitants de Kerhamon, que l’on englobait dans la trêve, ont fait des pieds et des mains pour pouvoir n’assister à la messe qu’à Lézardrieux.

    Pour conclure (provisoirement ?) sur ce chapitre,  nous retenons cette suggestion émise par Yvon Le Bourva de Mihy-Tréguier , venu visiter « la chapelle » où un certain Pierre Boulé et dame Jeanne Le Guen, ancêtres de la famille, se sont mariés, le 17 octobre 1679. « Peut-être que ces notions de chapelle et d’église varient selon les régions ? ». Il est vrai que la Bretagne est riche de ses spécificités religieuses.

     

     Les vrillettes rongent la chaire

     

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    La base de la chaire est rongée par les petits coléoptères, ce qui la fragilise au poin d'en interdire l'accès.

    La chaire ayant été placée au cœur de ce « débat » sémantique, notons ce passage extrait de l’article de Robert Mouly dans Les Cahiers de la Presqu’île n°19. « La paroisse de Lanmodez qui, jusqu’alors, faisait partie du diocèse de Dol, passa dans celui de Saint-Brieuc. C’est alors que s’ouvrirent  des relations assez logiques avec sa voisine Kermouster. Un prêtre de Lanmodez officia dans ce village et prétendit que la chaire empêchait les fidèles de voir l’autel, et voulu la supprimer, manière habile pour attirer ces derniers dans sa propre paroisse. Les fidèles de Kermouster comprirent sa stratégie et s’y opposèrent à juste titre. »

    On imagine aisément qu’il ne viendrait aujourd’hui à l’idée de personne  de vouloir dépouiller la chapelle de cette chaire qui date du XVIIIe siècle, sous prétexte que celle-ci fait actuellement les délices des vrillettes. Il y a quelques jours, les responsables de l’Amicale ont fait venir, pour avis, une société spécialisée dans l’entretien des édifices religieux. Le verdict a été sans appel. La chaire est « en danger ». Les larves des petits coléoptères se régalent avec l’aubier du bois.

    Alors ? Après s’être mobilisées pour donner plus d’éclat au vitrail de la façade ouest, les bonnes âmes vont-elles à nouveau cogiter pour favoriser la prise d’une décision qui éviterait l’irrémédiable ?

     * Robert Mouly nous fait savoir que le N° 19 des Cahiers de la Presqu’île est épuisé.


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