• « Kenavo Yffic ! »

     

     

    « Kenavo Yffic ! »

                                                                                                                    (Photo Catherine Gaillemain)

     

    Il était 1h du matin, ce jeudi, quand Yffic* a fermé définitivement les yeux, dans une chambre de l’hôpital de Paimpol. La maladie venait d’avoir le dernier mot.

    Il était 13h, ce samedi, quand les cloches de la chapelle ont sonné le glas. Huguette, sa grande sœur s’est fait un devoir de tirer sur cette corde, dont elle est une des rares personnes à en avoir la totale maîtrise ; pour que le départ de son frère soit honoré comme il se doit. Pour Yves Marie Arzul, Kermouster aura été son lieu de vie ; Kermouster, au-delà des hommages qui allaient lui être rendus, devait le saluer ainsi.

    Certes, une heure et demi plus tard, en l’église Saint Jean Baptiste de Lézardrieux, Yffic a eu droit à des obsèques à la hauteur de ses qualités d’homme que Gérard Eklu, curé d’origine togolaise de la paroisse d’Évry, a rappelées au cours de son homélie,  mais c’est peu dire que celles et ceux qui sont nés et ont grandi dans ce village, ou qui y vivent depuis tant de temps qu’ils ont l’impression eux aussi d’y être nés, déplorent que la chapelle ne soit plus le lieu de passage pour l’au-delà.

    Yffétic*, ainsi prénommé dans le cercle familial, aura été tour à tour un homme de la terre et de la mer. C’est ce que nous a rappelé Jean-Charles Paranthoën, son beau-frère, le mari de son autre sœur Marie-Françoise. Il aurait franchi le cap de ces soixante-seize ans le 21 octobre prochain si le destin n’en avait pas décidé autrement.

    Depuis plusieurs mois Yffic n’avait plus la force nécessaire pour poursuivre son chemin. Un « mystérieux » accident, comme le dira Jean-Charles Paranthoën, lui avait fait perdre l’usage plein et entier de ses jambes ; au cours de l’été 1997. Depuis cette date, il ne pouvait se déplacer qu’avec ses béquilles. Yves faisait sa petite marche quotidienne tout autour de Kermouster ; voici peu encore, accompagné par son petit caniche noir Doby. « Quand on voyait Doby on savait qu’Yves n’était pas loin » soulignera Jean-Charles Paranthoën. C’est cette image d’une fidélité à toute épreuve, entre un chien et son maître, qui restera gravée dans les mémoires.

    Après avoir débuté comme novice à la pêche, à Port Blanc Yffic aura, comme ses sœurs, travaillé pour le compte de la société Mahéo, « sur le dragueur ostréicole Élorn » précisera Jean-Charles Paranthoën. Au sortir du service militaire, effectué au centre d’instruction navale à Brest, ces quatorze mois sous pompon rouge n’auront fait qu’amplifier son désir d’être marin. S’en suivront dix années de navigation sur des sabliers, des navires de charge, des navires de forage et des cargos frigorifiques. Puis ce sera le retour à la terre, comme ouvrier agricole. Jusqu’à ce que le sort le contraigne à vivre avec un lourd handicap. 

     «  Yffétic n’Arzul, non discouis vad, kuchen te manm à te dad bas te douar Kervousteur L’ech out ganent. Kenavo ! ». C’est en Breton que Jean-Charles Paranthoën conclura son intervention. Traduction : « Yffétic Arzul repose toi bien auprès de ta mère et ton père dans ta terre natale de Kermouster ; Au revoir ! ».

    Au cours de l’office, Jean-Charles Paranthoën, qui lui aussi fut marin, aura l’opportunité de rendre un nouvel hommage à son beau-frère en interprétant à l’harmonica, accompagné par les voix du chœur, le cantique à Saint Maudez.

    On lira ci-après les hommages qu’ont tenu à lui rendre François Le Rousseau et Claudie Missenard ; François, au nom de tous les voisins résidents aux abords de la rue du lavoir, là où Yffic aura vécu tout au long de sa vie ; Claudie, au titre de l’Amicale de Kermouster, c’est-à-dire au nom de tous les Kermoustériens. Tour à tour, ils soulignent un trait fort de son caractère : une certaine forme de sagesse.

    À ces témoignages, exprimés par des amis ayant connu Yves Marie dès son plus jeune âge, s’ajoutera un souvenir personnel que ces tristes circonstances m’amènent à évoquer alors que je cultive le regret de n’avoir pas pu le partager de vive voix avec Yffik.

     

                                                                                                                                                 Claude Tarin

     

     

    «  Une forme de sagesse »

     

    Iffic* était un authentique Kermoustérien, attaché à son coin comme une moule à son rocher. Mais c’était un personnage un peu atypique qui ne se dévoilait pas facilement. Sous une carapace un peu rugueuse, on découvrait beaucoup de qualités.

     La Bonté ; jamais on ne l’a entendu dire du mal de qui que ce soit. Aucune jalousie ; aucune cupidité ; une grande sensibilité qui se révélait à certaines occasions. Par exemple :

    Son chagrin à la mort de son chien ; sa façon de guetter chaque printemps l’arrivée de ses hirondelles ; sa manière de prêter une attention particulière aux fleurs.

    Une forme de sagesse.

    Il aimait la vie et se contentait de son sort. « J’ai tout ce qu’il me faut » disait-il souvent.

    Iffic, c’était un rayon de soleil de le croiser et d’écouter ses histoires et ses fameux dictons cent fois répétés. « Le monde n’est jamais content, soit c’est trop sec, soit il pleut trop ».

    Iffic c’était aussi ses coups de gueule qui résonnaient dans le vallon, semant la terreur chez les touristes de passage. Mais ce n’était pas méchant.

    Iffic, tu vas beaucoup nous manquer, car en fait nous t’aimions.

     

                                                                                                                                       François Le Rousseau

     

     

    Yffig*, tu étais une figure de Kermouster. Un être tout simplement gentil ; tu n’avais jamais fait de mal - sauf peut-être à toi même. Un être courageux quand, malgré toute la difficulté, tu marchais avec tes deux cannes jusqu’à ton champ voir si le foin avait été enlevé.

    Tu savais apprécier les choses simples : manger ton orange tranquillement l’après-midi devant le panorama ; monter prendre en société un petit verre de rouge le soir, au temps de Sylvie. Tu racontais facilement ta jeunesse, tes navigations loin ou plus près sur les sabliers, tes copains partis trop tôt.

    Tu n’en as jamais voulu à l’existence, tu as pris ce qu’elle t’a donné de bon, tu ne t’attardais pas sur le mauvais.

     Une forme de sagesse.

    Sans toi, quelqu’un manquera à Kermouster. Nous ne t’oublierons pas.

     

                                                                                                                                                 Claudie Missenard

     

     

    « Salut la classe ! »

     

    « Kenavo Yffic ! »

     

     

    Ce tableau a une histoire**. Il résume à lui seul la vie d’Yffik.

    Août 2013, dans ce qui fut son ancienne classe, la foule est au rendez-vous d’une exposition organisée par Thérèse Jamet, alors an charge de la vie culturelle au sein de l’équipe municipale de Lézardrieux. Fil rouge de cette exposition : Lézardrieux tel que l’ont couché sur la toile des artistes peintres confirmés, mais également des amateurs. Aux côtés de Thérèse, il convient de veiller à toute inadvertance qui pourrait endommager ces tableaux que leurs propriétaires nous ont confiés. Je ne peux bien évidemment en préciser la date précise, mais ce n’est qu’après avoir effectué de récentes recherches sur ce tableau, qu’a ressurgi le souvenir de ces instants où j’ai vu Yves Arzul, arc-bouté sur ses béquilles, le contempler de longues minutes. C’est cette image d’un homme vivant pleinement un ressenti qui a imprimé dans la mémoire. De toute évidence, il appréciait alors de voir que son lieu de vie, la rue du Lavoir, avait retenu l’attention d’un peintre. Mais qui sait ce que furent ses pensées durant tout ce temps ?

    Ce que je ne savais pas à l’époque, c’est que ce tableau nous offre un raccourci sur son itinéraire puisqu’on y voit à la fois, en arrière plan, la maison où il est né et, au tout premier plan, celle où il vécut et où il reposa deux jours durant après avoir rendu son dernier souffle à l'hôpital ; Yffic avait tenu à ce qu’il en soit ainsi.

    Comme l’a souligné François Le Rousseau, Yves Marie avait une carapace rugueuse. Les apparences peuvent être trompeuses. Il aura cependant fallu du temps avant que l’on puisse passer du simple bonjour, élémentaire courtoisie, à un échange plus en profondeur. Accoudés au comptoir de La Cambuse, il ne pouvait toutefois être question de converger vers l’intime. Ses escales à même le point de vue,  où sa silhouette lui conférait l’image du philosophe en pleine méditation, allaient s’avérer être des opportunités qu’il convenait de saisir. Avec, pour ce qui me concerne, deux priorités : recueillir ses souvenirs d’ancien élève de l’école, pour associer son récit à ceux de ses sœurs et de tous ces anciens camarades des années 1950 et revenir sur ces instants où je l’ai découvert contemplant ce tableau. La camarde ne nous en aura pas laissé le temps.

    Ici, chacun gardera son propre souvenir d’Yffic. Marie-Claire Pochat vous dira combien elle est émue de ne plus pouvoir rencontrer sur son chemin son ancien camarade d’école. « C’était couru d’avance. Quand nous nous rencontrions, Yffic y allait de son « Salut la classe ! ». Nous étions de la même classe d’âge ».

    Je pense avoir eu l’occasion de dire à Yves Marie que nous étions de la même année. Alors, je me sens autorisé à lui adresser un  « Salut la classe ! » empreint d’une profonde affection.

     

                                                                                                                                                        C.T.

                                                                                                                                            Lundi 12 juillet 2021

     

    * Littéralement, en Breton, le diminutif d’Yves s’écrit Yvig. Mais du fait que le v et le g se prononcent respectivement ff et c, il s’avère que l’on peut l’écrire de différentes façons ;

     

    ** Hormis le nom du propriétaire de ce tableau, les recherches concernant son auteur et sa date de réalisation n’ont pas encore abouti.


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