• Joseph Marie Ernot au bout du chemin du sacrifice

      Cote 304, le Mort-Homme, au sortir de l’hiver 1915 1916, ces collines qui se dressent, telles des remparts, sur la rive gauche de la Meuse, en Argonne, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Verdun, vont être le théâtre de combats ô combien meurtriers. Obnubilé par le souci d’obtenir l’accord de son homologue britannique, le général Haig, pour mener une vaste offensive dans la Somme, Joseph Joffre, le commandant en chef des armées françaises a quelque peu baissé sa garde sur le front Est, malgré les avertissements de ses généraux en poste à Verdun. Joffre et son état-major n’ont qu’un seul mot en bouche : l’offensive.

    Joseph Marie Ernot au bout du chemin du sacrifice

       Au lendemain de la guerre de 1870, sur cette zone désormais frontière, trente huit forts ont été construits autour de Verdun. Alors que s’engageait la Première guerre mondiale, celui de Douaumont venait tout juste d’être inauguré.  Le mercredi 2 février, il va ainsi tomber comme un fruit mûr aux mains de l’ennemi.

       Du côté allemand, il ne faut plus tergiverser Il faut, sans tarder, terrasser une fois pour toute l’armée française, ne serait-ce que pour espérer convaincre les Britanniques de leur intérêt à composer. Une percée sur cette ligne de front s’impose donc aux yeux du Prussien Erich von Falkenhayn, le chef d’état-major. Un déluge de fer et de feu va alors s’abattre sur toute la région dans les alentours de Verdun.

    Joseph Marie Ernot au bout du chemin du sacrifice

     

       Le lundi 6 mars dernier, l’infanterie allemande s’est lancée à l’assaut des deux collines jumelles séparées par un petit cours d’eau, le ruisseau de Montzéville. Ces mamelons  s’élèvent, à quelque trois cents mètres d’altitude, au nord de la commune Esnes-en-Argonne. C’est à la fois peu, mais c’est pas à pas qu’il va falloir gagner du terrain. Il faudra deux mois aux Allemands pour arriver à abattre toute résistance, le 25 février, le général Pétain aura  été entretemps chargé de réorganiser la défense sur tout ce segment du front. Il était temps !

       Une guerre d’usure s’engage alors. Pas question pour les Français d’en rester là. Un carnage au quotidien. Des deux côtés, on a peine à dénombrer les victimes. Les cadavres jonchent les pentes de ces collines soudainement orphelines de leurs forêts et  boursouflées de cratères. De part et d’autres, les artiflots n’ont eu de cesse de pilonner depuis le début de l’offensive. Peut-on encore parler de tranchées tant le terrain est ravagé ?

       Ce samedi 6 mai, Joseph Marie Ernot et ses compagnons d’arme ont reçu l’ordre d’attaquer sur le flanc nord-est de la Cote 304, une petite colline au nord-ouest de Verdun. Sa position à l’ouest et son altitude lui confère une position idéale pour observer le champ de bataille de Verdun, la vallée d’Esne au sud, les villages de Malancourt et Hautcourt au nord. Elle est surtout une position de tir stratégique pour contrôler les combats se déroulant sur le Mort Homme, de l’autre côté du ruisseau de Montzéville, Le Mort Homme, un nom prophétiquement évocateur puisque ce lieu est ainsi appelé depuis longtemps,

      Depuis plusieurs jours, Joseph Ernot et ses compagnons souffrent du manque de nourriture. Les cantines sont à l’arrière mais le marmitage incessant empêche tout ravitaillement. Le 77e régiment d’infanterie est venu renforcer le 68e régiment d’infanterie. Ces deux régiments font partie de la 17e division d’infanterie du 9e corps d’armée.

      Ce jour là, le soleil brille à nouveau après une longue quinzaine de pluie, mais les crêtes sont toujours et en permanence plongées dans un nuage de fumée et de poussière. Une à une les tranchées occupées par les Allemands vont être reprises. Mais pour  Joseph Marie Ernot, de la 36e  brigade d’infanterie, tout s’arrête là.

     

    Joseph Marie Ernot au bout du chemin du sacrifice

    Verdun,tableau de guerre interprété, projections colorées noires, bleues et rouges, terrains dévastés, nuée de gaz (1917). Huile sur toile de Félix Valotton (1865-1925). Musée de l'Armée, Paris.

     

      De la Belgique à la Meuse, la mort n’a eu de cesse de lui tourner autour. Lui aussi, comme ses frères Yves et Hippolyte, déjà morts au combat, a connu les affres de la retraite. La Belgique, les Ardennes, la Marne, les Flandres, l’Artois, que de souvenirs suintant l’angoisse. Il n’est pas encore midi quand la peur le quitte à tout jamais.

       Le malheur vient de s’abattre à nouveau sur la famille Ernot. C’est le troisième fils que la guerre a dévoré. Guillaume le père n’aura pas eu à l’apprendre. Il est décédé le 8 novembre dernier. Trois autres fils sont encore sous la menace. A la ferme, Rosalie, leur mère , et leurs quatre sœurs, l’angoisse de vit également au quotidien.

       « On distribua les brassards blancs. Les chefs de section procédèrent à l’appel. Le Vicaire ordonna l’alignement dans les rangs. « Que leur dire ? Les tromper en ne leur révélant pas encore de quoi il en retourne ? » Il regardait ses hommes tout en repliant quelques cartes d’état-major. « Que vous importe de connaître la situation dans son ensemble ? Ce que vous devez savoir, n’a rien à voir  avec elle. Vous devez mourir ! Verser votre sang, ce sang qui réchauffe nos artères. Nous devons mourir ! Voilà la sentence que je suis tenu de vous annoncer. Il n’est pas facile d’ordonner à un si grand nombre de jeunes gars : meurs ! Pourquoi ? me demanderez-vous ; Que répondre ? Devrai-je affirmer comme un général : « Verdun rachètera votre jeune sang versé » ? Un morceau de terre, une citadelle !  Qui serait prêt à en jurer ! Non, parlons avec franchise. Rouge ou bleue, la stratégie élaborée à partir des cartes ne nous concerne pas. Notre devoir est  simple. Très simple. A  l’idée de vous l’expliquer, j’en ai la gorge serrée. Troupe d’assaut ! Faut-il ajouter autre chose ? Troupe d’assaut ! » Il boucla son ceinturon et se dirigea vers la porte. ‘Est-ce que je fais bien ? Ne rendrais-je pas un meilleur service à beaucoup d’entre vous si je taisais la fin ? La Faucheuse ne vous l’annoncera-t-elle pas assez tôt ? 

       C’est peut-être ce genre de message qu’aura entendu Joseph Ernot avant de rencontrer à son tour la Faucheuse. Comment exhorter les hommes à sortir des tranchées ? Un dilemme permanent pour ceux qui conservant, au fond d’eux-mêmes, le doute et la compassion, ont la charge de les mener au combat. Mais ces lignes sont extraites d’un livre qui fera sensation quand il paraîtra en 1919. Elles sont de la main d’un officier allemand, descendant d’une lignée de militaires prussiens. Son grand père s’était  couvert de gloire lors de la bataille de Iéna en 1806. Son père était général. C’est donc très naturellement que Fritz von Unruh fut poussé vers une carrière militaire.

       Officier, il va participer à l’invasion de la Belgique et de la France dans un régiment de uhlans, dont la terrible réputation va très vite se répandre. Et pourtant sous l’armure perce déjà l’âme du poète, de l’écrivain. Le chemin du sacrifice. C’est sous ce titre que Fritz von Unruh va, à 34 ans, publier ses mémoires. Ou plutôt, s’agissant d’un poème lyrique, une ode à la prise de conscience. A travers la Grande Guerre et tout particulièrement la bataille de Verdun, Fritz von Unruh laisse percer l’espoir qu’au bout de ce chemin de l’horreur va renaître la paix et la démocratie.

       Comme pour le Mort-Homme, crête voisine, les combats de la cote 304 vont perdurer plus d’un an. Elle ne sera reprise qu’à l’issue d’une offensive le 20 août 1917, mais la rive gauche de la Meuse ne sera totalement reconquise qu’en septembre 1918.

    Joseph Marie Ernot au bout du chemin du sacrifice

     

    Au sommet de la Cote 304 se dresse un monument élevé à la mémoire des unités ayant combattus dans le secteur. Il a été inauguré le 17 juin 1934 par Philippe Pétain, depuis lors élevé à la distinction de maréchal. Le nom de la 17e division d’infanterie est gravé dans la pierre. Le décès de Joseph Marie Ernot sera acté le 26 février 1917 en mairie de Lézardrieux mais on n’a pas retrouvé trace du matricule 1707.

       Sur la hauteur du Mort-Homme s’élève un autre monument à la gloire des combattants. Le Squelette, une sculpture de Jacques Florent-Meurice. Une sculpture monumentale qui honore tout particulièrement les hommes de la 39e division d’infanterie. Se dégageant de son suaire, le squelette du soldat se dresse sur un socle où est gravé son cri : « Ils n’ont pas passé ».

     

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    Un autre lieu, situé non loin de là porte le témoignage  de ces temps douloureux, le village « mort pour la France » de Cumières. Avant que ne s’abatte sur lui une pluie de fer et de feu, Cumières était un village essentiellement agricole, en lisière de forêt. Tout comme à Kermouster, les laboureurs propriétaires ou fermiers avaient tous un domestique. De ce passé il ne reste plus rien, si ce n’est une stèle perdue à l'orée d’une forêt qui a, depuis lors, recouvré ses droits

     

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