• Joseph Guillaume Turuban : le camp, le cimetière, la nécropole

    Joseph Guillaume Turuban : le camp, le cimetière, la nécropole

     

      Où ? Quand ? Dans quelles circonstances le fils de Guillaume Turuban et de Marie-Anne Le Goff a-t-il été fait prisonnier ? Incorporé le 7 septembre 1914, il avait rejoint, le cap de ses vingt ans tout juste franchi,  le 87e régiment d’artillerie le 17 mars 1915, une semaine jour pour jour après que ce régiment eut réussi à repousser vigoureusement les attaques allemandes sur la Côte 196, au nord de Mesnil-les-Hurlus, en Champagne. En en payant le prix fort : 11 officiers et 180 hommes tués, plus de 600 blessés et 400 disparus, la plupart tués dans de violents corps à corps.

       Sous réserve de voir émerger un document jusque là oublié, tout laisse à penser que c’est aux Eparges que Joseph Guillaume Turuban a été contraint de  lâcher son arme et de lever les bras.

       Depuis le 17 avril, le 87e se bat dans les Hauts-de-Meuse, au pied de la crête des Eparges. Comme  son pays Henri Charles Marie Cavan, décédé dans le bois de Saint-Rémy, près de Mouilly, Guillaume Joseph Marie Turuban aura crapahuté lui aussi dans la tranchée de Calonne 

      Mais a-t-il connu cette satisfaction que l’on ressent, après avoir craint le pire, d’enlever une tranchée ennemie et mettre à l’actif de son régiment plus de 500 prisonniers ?

      Si oui, a-t-il pu ressentir l’honneur que l’on peut éprouver quand est tombée la reconnaissance officielle de l’état-major, le 1er juillet, soulignant la bravoure de son régiment ?

      Etait-il encore au combat, quinze jours plus tard, quand il a fallu engager le corps à corps dans le ravin de Sonvaux ?

      A-t-il participé, de nouveau en Champagne, aux attaques de Tahure pendant le mois d’octobre ?  Ceci infirmerait notre supposition première.

      Sauf si, après avoir à nouveau passé l’hiver sur les Hauts-de-Meuse, résisté à l’ennemi sous Verdun, il s’est retrouvé aux Eparges ?

      Des questions sans réponses. Mais une certitude. C’est à Hammelburg que la guerre a pris pour lui une autre tournure.

     

     

    Joseph Guillaume Turuban : le camp, le cimetière, la nécropole

     

      Hammelburg, dans le nord-est de la Bavière, à environ 30 km au nord de Würzburg. Après être, très certainement, monté dans son wagon en gare de Metz et quarante huit heures de voyage, Guillaume Joseph Turuban découvre un petit village typique de la Franconie. Mais pour lui et ses compagnons d’infortune, c’est une autre épreuve qui s’annonce. D’emblée.

      Pendant plus d’une heure, en rang quatre par quatre, il va lui falloir gravir un chemin en lacet très pentu. Au bout de ce chemin, les fils de fer barbelé, savamment croisés et entrecroisés. Tous les vingt mètres autour de ce camp, dont il franchit la porte, une sentinelle baïonnette au canon.

      Une longue marche harassante suivie, en guise de réconfort, d’un brouet de farine d’orge, de gruau et de sciure de bois, que les déjà locataires contraints des lieux ont baptisé « polenta ». Ou, peut-être, du poisson fumé à moitié cru et un petit cube du déjà fameux pain K, le pain Kriegbrot, un mélange de froment, de seigle, de pommes de terre et de paille. 

      Ce pain K,  pain KK pour Kriegs Kartoffelbrot, sera une arme de dérision tout au long du conflit. Il est facile d’imaginer les fous rires que déclenchait alors le slogan : « Le Français mangent du pain blanc, le Allemands du pain KK ». Mais, alors qu’il découvre son nouveau lieu de résidence, il n’est pas dit que Guillaume Joseph Turuban ait le sourire aux dents.

      Logé dans une baraque  en planches, large d’une dizaine de mètres, longue de cinquante, chichement éclairée par des lucarnes minuscules, il va lui falloir cohabiter, pour un temps ô combien incertain, avec quelque 300 autres compagnons. Au premier abord, incontestablement un mieux comparé à la tranchée. Le camp regroupe une douzaine de baraques de ce type.

      Mais là aussi, couché sur une paillasse de copeaux, il va lui falloir également composer avec des rats, énormes, de la taille de petits lapins, attirés par les détritus que le coup de balai n’arrive pas à chasser. 

     Dans un rapport écrit suite à son évacuation en Suisse pour laryngite et tuberculose pulmonaire le 24 mai 1916, Charles Lewine, membre du 245e de ligne, prisonnier dans ce camp depuis la fin août 1914, raconte que "les paillasses n'étaient changées que tous les cinq à six mois, elles grouillaient de vermine. La nourriture était bonne au début, mais devint plus tard, mauvaise et insuffisante. On trouvait dans le pain de la sciure de bois et de la paille hachée. Il y a eu dans ce camp, une petite épidémie de variole".

      Combien de temps Guillaume Joseph Turuban a-t-il connu les affres de la détention ? Là encore, le mystère reste entier puisque l’on ne connaît pas la date de son arrivée au camp. Ne serait-ce que par une simple carte envoyé à sa mère, on sait qu’il n’est pas resté sans donner signe de vie à cette mère, désormais confrontée à la dureté du quotidien depuis le décès de son mari et par l’absence des aînés. Guillaume Turuban est décédé le 15 avril 1912, à l’âge de 62 ans. A cette époque, Joseph Guillaume et ses six frères, dont Yves, le grand-père de Marcel Turuban, aujourd’hui maire de la commune,  donnaient un bon coup de main à la ferme de Ker Campf, comme à Pen an Guer les frères Ernot. 

      Une seule certitude : il a été immédiatement enterré dans le cimetière près du camp, après avoir succombé le 23 mai 1916 dans le baraquement de l’hôpital de réserve d’Hammelburg. « Le prisonnier de guerre, soldat au 87e  régiment français d’infanterie, 3e  compagnie,  Guillaume Joseph Marie Turuban, cuisinier, âgé de 21 ans, de religion catholique, né à Lézardrieux, célibataire…est décédé à l’hôpital de réserve de Hammelburg, baraquement de l’hôpital MM40, à six heures un quart du matin ». C’est ce qu’indiquera le message adressé par le médecin chef, message signé Glück  Officiellement, Joseph Guillaume Turuban est décédé d’une tuberculose intestinale.

      Combien de fois Guillaume Joseph Turuban avait-t-il accompagné, lui-même,  un collègue jusque sa tombe dans le cimetière qui se trouve à deux kilomètres du camp ?

     

    Joseph Guillaume Turuban : le camp, le cimetière, la nécropole

     

      Quand un prisonnier français mourait un cortège d’une vingtaine de volontaires suivait le corbillard sur la route. Devant la tombe ouverte, l’aumônier français du camp disait les prières du mort. Au moment où le corps disparaissait, un piquet de soldats allemands, commandé par un officier qui levait l’épée, rendait les honneurs en tirant un feu de salve. « Il y avait du côté allemand un visible souci de respect et de correction militaires devant la mort d’un soldat » souligne Robert d’Harcourt (1881-1965) dans un livre où il raconte ces souvenirs de captivité et d’évasions de ce camp bavarois, livre d’où sont extraites toutes ces précisions retranscrites qui révèlent ce qu’y étaient les conditions de vie

      Docteur ès lettres, professeur à l’Institut catholique de Paris, Robert d’Harcourt  se sera évadé par deux fois. En vain. Enfin libéré, il racontera ses souvenirs dans un livre* publié dès 1919.

      Qui de lui ou de Joseph Guillaume Turuban a assisté à l’arrivée de l’autre ? Incorporé dans la 21e compagnie du 325e régiment d’infanterie, Robert d’Harcourt a été fait prisonnier à la fin février 1915 et transféré de l’hôpital Saint-Clément de Metz vers Hammelburg au tout début du mois d’août. Une seule certitude, leurs destins se sont croisés. Il n’est donc pas impossible que le futur académicien ait fait partie de la poignée de volontaires qui ont suivi le corbillard portant le corps de Joseph Guillaume Turuban. Le 11 juin 1916, deux semaines après l’enterrement, Robert d’Harcourt s’évadait. Il sera repris et passera un second séjour.à Hammelburg, d’où il s’échappera à nouveau, pour être repris puis transféré, cette fois, dans un autre lieu de détention.

      Autres questions sans réponse précise : depuis quand Joseph Guillaume Turuban repose-t-il dans la nécropole nationale des prisonniers de Sarrebourg ? Quand a-t-il quitté le petit cimetière du camp parsemé de croix en bois noir où le nom du défunt et le n° de son régiment de son régiment en lettres de blanches, suivies de la mention : « Mort pour la France » ?

      « Mort pour la France ! Oui ils étaient bien morts pour la France ceux que les blessures mal soignées ou l’épuisement de la captivité avaient conduits là, dans cet obscur coin de terre bavaroise ( ;;;) Ils avaient longtemps lutté. Bien des jours de suite, dans le lazaret ennemi qui avait abrité leur déclin, ils s’étaient retournés fiévreux sur leur lit contre la muraille, sans parler au voisin, en pensant obstinément à la France, avec le tenace espoir des condamnés : pouvoir tenir encore un peu, un tout petit peu, jusqu’à cette paix qui n’était plus qu’une question de jours, de semaines ; revenir mourir chez eux ! Oh ! Vivre seulement jusqu’à cette minute-là ! »

     

    Joseph Guillaume Turuban : le camp, le cimetière, la nécropole

    Dessin Jean-Pierre Laurens (1875-1932)

     

      Le témoignage de Robert d’Harcourt, hormis ceux de prisonniers n’ayant pas sa notoriété, est l’un des rares livres  qui ont été écrits sur le sort des prisonniers de la Grande Guerre. Dix ans plus tard, Georges Cahen Salvador (1875-1963), alors membre du Conseil d’Etat, publiera  Les prisonniers de guerre (1914-1919). Il présidait la commission des prisonniers de guerre à la conférence de la paix en 1919. Mais il faudra attendre la fin du XXe siècle pour que d’autres écrivains historiens s’emparent du sujet.

     

    Joseph Guillaume Turuban : le camp, le cimetière, la nécropole

      A quand remonte l’arrivée, dans cette ville de Moselle, du convoi transportant tous les corps des prisonniers ?

      Créée en 1922, la nécropole de Sarrebourg est le seul cimetière de prisonniers français de la guerre 14 18 décédés en Allemagne. ; Au lieu dit « Hasenweide », face à la ligne bleue des Vosges, 13298 soldats reposent côte à côte. Emergeant de cette forêt de croix et de stèles blanches, une sculpture en granit, Le géant enchaîné, une œuvre réalisée par trois prisonniers du camp de  Graffenwohr,  autre camp bavarois, les architectes Gillon et Perrin et le sculpteur Freddy Stoll. Le ciseau de l’artiste en a tiré un gladiateur puissant qui sent sa force momentanément vaincue, mais non brisée, et qu’animent le désir et l’espoir de la revanche.

      Pour Joseph Guillaume Turuban il n’y a plus de désir ni d’espoir.

     

    Joseph Guillaume Turuban : le camp, le cimetière, la nécropole

     

      *Souvenirs dr czptivité et dévasions 1915-1918.  Robert d’Harcourt a été élu à l’Académie française le 14 février 1946. Il s’est vu attribuer le fauteuil 14, celui du maréchal Louis Franchet d’Espérey. Sa connaissance de l'Allemagne l'amène à dénoncer dès 1933 le caractère néfaste du régime nazi dans de nombreux articles. En 1936, il publie l'Évangile de la force, son ouvrage le plus célèbre, dans lequel il s'élève notamment contre l'embrigadement des jeunes Allemands au sein des mouvements nazis et il souligne l'incompatibilité radicale entre l'idéologie raciste nazie et le christianisme. Germaniste émérite, il publia plusieurs études sur Schiller et Goethe 

     *Jean Pierre Laurens (1875-1932), a été fait prisonnier en septembre 1914, à Rocquigny, près de Péronne. Il est alors transféré au camp de Wittenberg, au sud de Berlin

     

      A suivre

    Joseph Le Luron au royaume des Immortels

     

     

     


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