• Hippolyte Ernot : l’ultime crête de Thiepval

      Ce mardi 6 octobre 1914, pour le caporal Hippolyte Ernot et ses camarades du 19e régiment d’infanterie, c’est une nouvelle journée d’incertitude à laquelle il va falloir faire face. Sera-t-on encore de ce monde dans les heures qui viennent ? La perspective de la mort obsède. L’objectif du jour : la crête de Thiepval, au nord d’Albert. Sur cette terre de Picardie, où beaucoup de céréales n’ont pas été battues, l’assaut se fait surtout à terrain découvert. Seul le bois d’Authuille peut permettre d’avancer sous couvert.

       Il ne fait plus aussi beau que les jours précédents. La pluie, la brume, la boue  pèsent aussi sur le moral. Depuis qu’ils ont débarqué du  train fleuri qui les a emmenés de Brest vers le front des Ardennes, le 8 août dernier,  la souffrance et l’angoisse n’ont cessé de coller aux brodequins. Bien que réserviste, Hippolyte, comme tous les collègues de la classe 1909, ont immédiatement été mobilisés. Il n’aura passé que très peu de temps sur les terres du preux chevalier Godefroy de Bouillon. C’est à Maissin qu’il aura fallu la première fois charger à la baïonnette avant de battre en retraite.

      Ce mardi, Hippolyte ne sait toujours pas non plus que son frère aîné est déjà tombé au champ d’honneur. A Kermouster, à la ferme familiale, il en est certainement de même. Comment pourrait-il en être autrement dans un tel capharnaüm où l’urgence n’est pas vraiment à la compassion. Il en va de la survie de la nation tout entière. La crête de Thiepval se doit d’être conquise. Il faut récupérer cette position pour empêcher les Allemands de pénétrer plus avant. Malgré une héroïque résistance, la digue du front belge s’est effondrée et l’ennemi s’est engouffré dans la brèche. Il s’approche à grand pas de Paris.  

     

    Hippolyte Ernot : l’ultime crête de Thiepval

     

       

      Pour éviter le débordement et l’encerclement de ses armées, Joffre, le général en chef, a organisé le renforcement des troupes vers l’ouest. Le 19e régiment d’infanterie (IVe Armée) opère au sein de la 22e division d’infanterie, dans le 11e corps d’armée. Le 5 septembre, le 19e RI était à Mailly-le-Camp, au Sud de Sommesous, dans l’Aube,  entre Sézanne et Vitry-le-François. Affecté à la IXe armée de Foch, le régiment a, les jours suivants  participé à la bataille de la Marne à Lenharrée. Les combats y ont été d’une extrême violence. Les Pleubaniais Francis Yves Marie  Le Gac et Jean-Marie Jezequel n’y ont pas survécu. Le régiment a ensuite poursuivi l’ennemi jusqu’à Suippes. En ce début du mois d’octobre,  il est dans la Somme, à Thiepval, au pied de ce village devenu forteresse qui surplombe une vallée au creux de laquelle s’écoule l’Ancre, un  affluent de la Somme. Pour le régiment d’Hippolyte, la mission est impérative : s’emparer de cette place stratégique.

      Le 180e régiment wurtembergeois de la VIe  armée allemande a travaillé d’arrache-pied pour rendre ce site imprenable. Le village et le château sont ceinturés par des fortins et des coupoles bétonnées. La ligne de fortification est renforcée par une série de redoutes et de tranchées baptisées des noms de Leipzig, Schwaben et Shiff,

       Hier lundi, les Allemands ont bombardé les positions qu’occupaient le 19e dans le bois d’Authuille.  La nuit tombée, le régiment a dû céder, suite à  une attaque en ligne de l’ennemi. Ce 6 octobre, appuyé par un bataillon du 62e régiment d’infanterie, ordre lui est donné de repartir à l’assaut du saillant de Leipzig. Le caporal Ernot n’atteindra pas la crête. Grièvement blessé, une ambulance le transporte jusqu’à Senlis-le-Sec, à une dizaine de kilomètres à l’ouest du champ de bataille. Mais la blessure est trop profonde. Hippolyte Ernot a rejoint son frère dans l’au-delà.

       C’est également à Senlis-le-Sec que fermera les yeux à tout jamais le Lézardrivien Edmond Stanislas Camuzard, lui aussi fils de cultivateur, le 18 décembre de cette année 1914. De la guerre de mouvement on est passé à celle des positions. Du front des Flandres à l’Alsace, sur plus de 750 kilomètres, quelque 10000 kilomètres de tranchées et de boyaux vont être ainsi creusés à main d’homme, sous un incessant marmitage. A peine 6 kilomètres séparent Thiepval d’Ovillers. C’est ici qu’est positionné le 19e régiment d’infanterie quand va tomber à son tour le 2e classe Edmond Stanislas Camuzard, lors d’une attaque à terrain découvert.

     

    Hippolyte Ernot : l’ultime crête de Thiepval

      

      Les deux camarades de régiment reposent, depuis lors, dans la nécropole nationale d’Albert. Une nécropole parmi tant d’autres, car la Somme n’en a bien entendu pas fini avec ces années de plomb. C’est ici que plus d’un million de soldats ont succombé à l’issue de ce qui est considéré comme une bataille des plus sanglantes de la Grande Guerre. C’est ici que les soldats du Commonwealth vont accuser, deux ans après la mort du caporal et du 2e classe du 19e RI, le plus grand nombre de pertes.

     

    Hippolyte Ernot : l’ultime crête de Thiepval

     

      Sur la hauteur de Thiepval se dresse le monumental mémorial dédié aux 72000 soldats britanniques et sud-africains disparus dans la Somme, entre l’été 1915 et août 1918.  Conquis le 25 septembre 1916 puis à nouveau repris lors de la grande contre-offensive allemande de mars 1918, le site sera définitivement libéré en août. Mais on n’évoque pas encore une possible armistice.

                                                                     Peu importe la cause, 

    Quel mal ont-ils dit que nous nous redressons, 
    Une malédiction pour les traités, les obligations et les lois, 
    Quand on doit se battre! 
    Et comme nous, les gars, sommes fiers et vrais, 
    Que reste-t-il à faire? 
    Lucasta, quand en France ton homme 
    Retourne sa quatrième fois, détestant la guerre, 
    Pourtant, il rit aussi calmement que possible 
    Et lance un serment, mais ne dit plus rien, 
    Ce n'est pas du courage, ça ne craint pas 
    Lucasta il est un Fusilier, 
    Et sa fierté l'envoie ici.

    Laissons les hommes d’État s’enflammer, écorcer et raser, 
    Et donc décider qui a commencé 
    Cette guerre sanglante et qui doit payer, 
    Mais il doit être courageux, 
    Doit asseoir et enfiler avec une respiration calme, 
    Jouer aux cartes avec la mort. 
    Ne te plume pas, il se bat pour toi; 
    Ce n'est pas du courage, de l'amour ou de la haine, 
    Mais faisons les choses que nous faisons; 
    C'est la fierté qui fait que le cœur soit génial; 
    Ce n'est pas de la colère, ni de la peur 
    Lucasta il est un Fusilier, 
    Et sa fierté le garde ici.

     

      Ce poème est extrait  du recueil Fées et Fusiliers rédigé en 1918 par l’écrivain anglo-irlandais Robert Graves, lequel sera laissé pour mort le 20 juillet 1916 au bois des Feux près de Bazentin, à proximité de Thiepval. Le poumon perforé par un éclat, celui-ci survivra, mais sera contraint de sen retourner vivre en Angleterre. Décédé en décembre 1985, dans sa quatre-vingt-dixième année, Robert Graves sera resté toute sa vie traumatisé par les épreuves vécues dans la Somme. Elles ont sans cesse nourri son œuvre.

     

    Hippolyte Ernot : l’ultime crête de Thiepval

     La bataille de la Somme (1917), de Richard Caton de Woodville (1856-1927), Musée de la garde, Londres

     

       Il en a été de  même pour le sous-lieutenant des fusiliers du Lancashire J.R.R Tolkien. Arrivé en France, le 4 juin 1916, celui qui allait devenir célèbre, dès 1920, avec Le Hobbit, puis avec  Le Seigneur des anneaux (1954)  a lui aussi combattu à Thiepval. Il aura, en tant qu’officier de transmissions, participé aux attaques sur la redoute de Schwaben. Victime de la fièvre des tranchées, une maladie transmise par les poux qui pullulent dans les boyaux, il est renvoyé en Angleterre dès le 8 novembre 1916.

     Retenons de lui cette citation extraite du tome 3 du Seigneur des anneaux :

     « Il y a des choses que le temps ne peut pas cicatriser.

    Des choses si profondes qu'elles se sont emparées de vous ». 

     

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