• Edouard Petibon : le Kermoustérien de Mers el Kébir

     

     

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

     Edouard Petibon,école des mousses de Brest (1936-1937

     

     De quoi demain sera-t-il fait ? La chaleur est torride ce mercredi 3 juillet 1940 au-dessus du golfe d’Oran. Mais ce n’est pas cela qui perturbe la vie à bord du cuirassé Bretagne, La Bretagne comme on l’appelle couramment dans le milieu maritime. Comme tout le reste de l’équipage, le Kermoustérien Edouard Petibon, quartier maître électricien, campe toujours  dans l’expectative. Quel rôle va jouer maintenant la Marine française, le gouvernement ayant capitulé et signé un armistice avec l’Allemagne, le 22 juin dernier. La France s’est donné, sous le vent de la débâcle, un nouveau Président en la personne du Maréchal Pétain et l’ancien vainqueur de Verdun a cédé aux injonctions des ennemis d’hier en signant cet armistice.

    Cela fait tout juste un an que le Bretagne a rejoint la 2ème escadre de la flotte de la Méditerranée. Il est amarré dans le port de Mers el Kébir. En arabe, Al marasa al kabir, le grand port. Le cuirassé y est cul à quai depuis le 27 mai dernier. Entre le Bretagne et le Dunkerque, croiseur de bataille, navire amiral de cette escadre, sont également stationnés deux autres navires, le cuirassé  Provence et le croiseur Strasbourg. Sur bâbord, le Commandant Teste, un transport d’hydravions, masque la passe d’entrée du port. Sur mouillage à l’écart, six contre-torpilleurs destroyers : les Mogador, Volta, Le Terrible, Kersaint, Tigre et Lynx.

     

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

    Au premier les contre-torpilleurs au mouillage. Le cuirassé Bretagne, le deuxième à ^partir de la droite à l'arrière plan

     

    Tous ces navires font partie de la Force de Raid, constituée, au début de la guerre, pour contrer la marine allemande. Depuis le mois d’avril, elle patrouillait en Méditerranée pour parer à une éventuelle entrée en guerre de l’Italie fasciste, effective depuis ce 10 juin. Cette force est placée sous le commandement du vice-amiral Marcel Gensoul, qui se trouve à bord du Dunkerque. Mais les dès ont roulé depuis ce 22 juin  sur le théâtre des opérations. Le Reich allemand a gagné la partie face à la France et la Marine française a perdu toute marge de manœuvre.

    Depuis lors, sur le Bretagne, comme sur tous les autres navires de guerre français, on ne sait plus trop à quel saint se vouer. A Londres, le 26 mars dernier, la France et la Grande-Bretagne s’étaient engagées à ne jamais négocier, ni signer un armistice ou un traité sans accord mutuel. Mais compte tenu de l’évolution de la situation, que vaut cette parole d’Etat ? Quelle va être l’attitude du nouveau gouvernement face à l’Occupant ? Vice et versa ! Faut-il croire Hitler quand il dit qu’il n’utilisera pas pour son compte l’arsenal maritime, ni l’empire, d’un pays qui vient de faire allégeance, même si ce n’est pas ce que disent les termes officiels ?

     A Mers el Kébir, ce 3 juillet, l’effet de surprise a joué à plein. Les silhouettes de navires britanniques sont apparues au lever du jour sur la ligne d’horizon. Cette escadre, forte de dix-sept unités, est commandée, depuis le croiseur HMS Hood, par l’amiral James Sommerville. C’est sur lui que va reposer la charge de mener la négociation qui s’est engagée aussitôt.  Faut-il s’en s’inquiéter outre mesure ? Les Britanniques sont toujours des alliés, jusqu’à preuve du contraire.

    Le  lundi 24 juin, le vice-amiral Gensoul avait accueilli à son bord  Sir Dudley Burton Napier North, le commandant en chef britannique à Gibraltar. Les deux hommes se connaissaient déjà, ayant eu à naviguer de conserve pour la traque des navires allemands. Ce jour-là, il s’agissait de connaître les intentions des Français stationnés en Méditerranée. 

    Une conversation courtoise, entre deux hommes qui s’apprécient, mais qui ne se conclura par aucun engagement. Une seule certitude : « J’obéirai aux ordres » dira à son homologue le vice-amiral Gensoul, soulignant ainsi d’emblée sa loyauté envers le gouvernement « légal » qui venait de se constituer.  En y ajoutant une précision selon laquelle il avait reçu l’assurance formelle de l’amiral François Darlan « qu’en aucun cas les navires français ne tomberaient intacts aux mains de l’ennemi. »

     Chef de la Marine française au début de la guerre, Darlan vient d’être nommé ministre de la Marine par Philippe Pétain. Cela fait donc tout juste une semaine. Ce vendredi, il ne s’agit plus d’une simple conversation entre gentlemen, mais bel et bien d’une négociation de la dernière chance.

    Alors que dans ses propres ports, la Grande-Bretagne a déjà neutralisé marins et navires français venus s’y réfugier après la débâcle, Winston Churchill entend tout faire pour que les Allemands ne mettent pas la main sur l’ensemble de la flotte française. L’opération Catapult est lancée.

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

    Au premier plan, le cuirassé Bretagne, photo prise à bord du Commandant Teste.

     

    L’ordre qu’a reçu l’amiral James Sommerville est on ne peut clair : mettre hors d’état de nuire les navires de Mers el Kébir. « Vous êtes chargé de l’une des missions les plus désagréables et les plus difficiles à laquelle ait jamais été confronté un amiral britannique. » Derrière un message empreint de compréhension, toute la détermination d’un Premier ministre, fraîchement investi de cette charge, mais entièrement convaincu de la malignité d’Hitler.

    Après de longues heures de négociations, le capitaine Cedric Holland, émissaire britannique dépêché par l’amiral James Sommerville, quitte le Dunkerque à 17h30. Le délai portant sur un ultimatum, posé en fin de matinée, court toujours, mais plus pour très longtemps. Cet ultimatum repose sur trois points : soit la flotte française rejoint la flotte britannique dans sa lutte contre l’Allemagne nazie, soit elle se saborde, soit elle gagne les ports britanniques américains ou français des Antilles afin d’être désarmée.

    Même s’il n’aura pas caché, selon certains témoignages, son intention de saboter les navires sous sa responsabilité, Marcel Gensoul a obéi aux ordres de son gouvernement en refusant de se plier à cet ultimatum. Entre temps il avait reçu un message radio lui indiquant que les escadres de Toulon et d’Alger se portaient à son secours. Message qui aura été capté par l’Amirauté  britannique laquelle, cette fois, ne laissera plus aucune marge d’initiative à l’amiral James Sommerville. Plus question d’obtempérer.  Lui aussi va appliquer les ordres.

    Tout va alors aller très vite. Le pavillon signalant l’ordre d’ouvrir le feu est hissé, à 17h55, à bord du cuirassé H.M.S. Hood. Dix sept minutes plus tard, il est remplacé par celui du cessez le feu. Dix sept minutes d’orage de feu et d’acier.

    Sachant que la négociation venait définitivement d’échouer, on n’aura guère tergiversé à la passerelle du Bretagne. Ni ralliement, ni sabordage, les Britanniques, c’est désormais certain, allaient exécuter les ordres de leur Amirauté. Ils ne feront pas de quartier.  Le commandant Le Pivain a, sans tarder, donné l’ordre d’appareiller. Les amarres sont coupées. Les moteurs, en chauffe depuis plusieurs heures, sont mis en route. Le Bretagne vient tout juste de relever son ancre quand un premier obus le frappe sous la ligne de flottaison, sous la ceinture cuirassée. Tout aussitôt, c’est la chaufferie arrière qui explose sous l’impact d’un deuxième obus. Le Bretagne vient de perdre toute capacité à manoeuvrer. L’incendie se propage. Très rapidement, il chavire, se retourne et coule 

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

     Touché par deux obus, le Bretagne chavire et coule

     

    1295 marins sont morts durant l’attaque, dont 997 membres d’équipage du Bretagne, qui, de fait, sera le seul bâtiment à avoir été totalement détruit. Le Strasbourg et trois contre-torpilleurs ont réussi à s’extirper de la nasse, minée dans le courant de l’après-midi par les Britanniques. Le Provence et le Dunkerque, touchés eux aussi par des obus, ne pourront éviter l’échouage. L’équipage  du transport d’hydravions Commandant Teste, miraculeusement épargné, s’empressera de porter secours aux survivants du Bretagne.

     Pour Edouard Petibon et des centaines de ses équipiers, Mers el Kébir aura été l’ultime escale*.

    Ce n’est que dans son édition du 7 juillet qu’apparaîtra le nom du Bretagne dans les colonnes du journal L’Ouest Eclair. Depuis trois jours, seuls le Dunkerque, le Strasbourg et le Commandant Teste étaient cités dans les articles de ce quotidien régional.

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

     La Une du quotidien L’Ouest-Eclair du 5 juillet 1940

     

     Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

     

    C’est donc peut-être quatre jours après le drame que la terrible nouvelle concernant le navire d’Edouard Petibon est parvenue jusqu’à Kermouster, Le village est depuis quinze jours occupés par des soldats allemands. L’onde de choc n’en est que plus forte. L’ennemi d’hier campe sur le seuil de votre porte, mais c’est le compagnon du combat qui vous porte un coup de poignard dans le dos.

    Malgré les épreuves passées au coude à coude, récemment encore en Méditerranée pour le Bretagne, les Anglais ont cruellement déchiré le contrat de confiance. Incompréhensible ! Sidérant ! Inacceptable ! Tout ce qui concerne la marine ne laisse personne indifférent dans une région qui fournit tant de marins. Surtout pas Pierre Petibon, le père d’Edouard, ancien marin militaire lui-même.

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

     Pierre Petibon et son épouse Marie Virginie en 1939

     

     Son autre fils, François, est également engagé dans la Marine. Il fait partie de l’équipage du sous-marin Requin, positionné, comme le Bretagne, en Méditerranée, avec Toulon pour port d’attache. C’est là-bas que les deux frères ont pu se revoir, le temps de quelques escales. Edouard en informait encore ses parents, avant de rejoindre Mers el Kébir. Deux mois ont passé et, depuis lors, Pierre Petibon et Marie Virginie,  son épouse,  sont apparemment sans nouvelle de leur deux gars. Solange, leur fille, partage leur inquiétude. Dans l’épicerie de la place du Crec’h on ne se résout pas encore au pire. On veut croire qu’Edouard fait partie des rescapés.

    Pierre et Chinie Petibon vont s’accrocher à cet espoir. Quelques lettres échangées avec l’administration, mais également avec d’autres familles plongées elles aussi dans l’incertitude, révèlent l’angoisse qui va désormais être la leur des semaines et des mois durant. Angoisse à laquelle s’ajoute la crainte de ces soldats qui se sont installés, à même l’école, de l’autre côté de la place. Ce n’est qu’à la fin de l’été que le brouillard de l’incertitude se dissipera et révélera au grand jour la triste réalité.

    Dans un message daté du 5 octobre, le Bureau de renseignements aux familles de Brest fait savoir qu’il ne peut donner des renseignements plus précis que celui-ci, concernant le Requin : « Le sous-marin se trouvait à Bizerte le 11 septembre. La Marine n’a aucun moyen d’acheminer votre correspondance personnelle ». Message complété par une annotation écrite à la main. « Des nouvelles vous seront adressées ultérieurement concernant votre fils Edouard Petibon ». On ne peut plus laconique.

    Onze jours plus tard, c’est le maire de Lézardrieux qui va se voir confier, par ce même service administratif, la charge d’annoncer le décès d’Edouard Petibon : « Monsieur le Maire, j’ai regret de vous informer que le Secrétariat d’Etat à la Marine me fait connaître que le quartier-maître électricien Edouard Petibon est disparu à bord de la Bretagne à Mers el Kébir, le 3 juillet 1940. Au cas où vous ne l’auriez déjà fait, je vous serais obligé de vouloir bien prévenir, avec ménagements, son père, à Kermouster en Lézardrieux… ».

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

    Marie Virginie Petibon (1950)

     

    Est-ce ce samedi 16 octobre que Madame Petibon, apprenant l’irrémédiable, a poussé ce cri dont  Marie-Claire Pochat et Danielle Michel, ses petites filles, disent avoir eu connaissance : « Coupez moi la jambe, mais rendez moi mon fils ! ». Suite à un mauvais coup de pédale et une plaie mal soignée qui provoqua une gangrène, elle avait été amputée d’une jambe dans le courant de l’année 1939. Ce n’est que quatorze ans plus tard, le mardi 29 juin 1954 que Chinie, veuve depuis trois ans, pourra se pencher sur le cercueil de son fils Edouard.

    Comme l’aura permis la loi du 16 octobre 1946, Pierre et Marie Virginie Petibon avaient adressé une demande de restitution du corps de leur fils. Le 10 juin 1954, les services du Ministère des Anciens Combattants et Victimes de guerre, ont procédé à l’exhumation. Edouard Petibon aura reposé durant tout ce temps, aux côtés de ses compagnons d’infortune, dans le cimetière français de Mers el Kébir.

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

    Le vice-amiral Gensoul rendant les honneurs aux victimes dans le cimetière français de Mers el Kébir au lendemain de la tragédie (Photo France/Gamma-Keystone)

     

    Tous les cercueils exhumés ce 10 juin 1954 ont, quelques jours plus tard, transité par le dépôt mortuaire de Nantes du Service des sépultures de ce Ministère.  D’Edouard Petibon, nous ne connaissions que cette photo où on le voit, dans sa tenue de marin, associé à Guy Le Blouc’h, porter la maquette de La Marya, lors de la procession, le jour du pardon Saint Maudez, le premier dimanche de septembre 1938. Il est au premier plan. Sur sa gauche, François Sadou et son frère François. De l’autre côte, Auguste Bourdon. Tous ces noms sont gravés dans les mémoires des Kermoustériens qui ont vécu et grandi ici dans les années d’après guerre.

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

    Edouard Petibon (premier plan) le jour du  Pardon de Kermouster (septembre  1938)

     

    Je dois à Marie-Claire Pochat, la fille de Solange, et à Danielle Michel, fille de François, de pouvoir aller au-delà de ce seul souvenir photographique. Ses lettres et les quelques photos qui dormaient dans les armoires aux souvenirs nous aident à mieux cerner les traits de caractère de leur  oncle Edouard  Il avait visiblement le sens de la famille chevillé au corps. La régularité des lettres adressées à ses parents en témoigne. Leur contenu aussi.

    Une régularité rythmée par les périodes d’embarquement, de la fin de l’année 1937 jusque cette lettre datée du 28 mai 1940, qui semble être la dernière à être parvenue place du Crec’h.  Derrière les formules convenues, une belle écriture empreinte de sensibilité. Sous le pompon rouge,  Edouard Petibon laisse percer une grande attention aux autres, tout particulièrement aux siens.

    Ces quelques lettres qui ont traversé le temps constituent une sorte de journal de bord, même si on n’y trouve pas la moindre allusion à la guerre. C’est tout juste si l’on peur situer les escales. Seules l’évocation de quelques connaissances de la Presqu’île établies dans ce port laisse à penser que c’est à Toulon que le Bretagne aura stationné le plus souvent lorsque le cuirassé fut positionné en Méditerranée. Simple envie de ne pas inquiéter outre mesure sa famille ou soumission aux directives de discrétion ?

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

     

    Le contrôle postal, télégraphique et téléphonique a été actionné dès la fin du mois d’août. Alors, pouvait-on tout dire, sur la mission passée, sur la prochaine ? Même la cartouche représentant le Bretagne ne figure plus à l’en-tête des lettres, désormais écrites sur du papier vierge de tout indice.

    Quoi qu’il en soit, ces lettres ont valeur de documents historiques Elles nous restituent le parcours d’un jeune engagé sur le chemin d’une guerre qui va l’anéantir comme tant d’autres personnes.

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

    Edouard Petibon. Photo non datée

     

    Ce n’est assurément pas sur le fleuron de la Marine nationale qu’Edouard Petibon a mis sac à bord en 1938. Le cuirassé Bretagne, avec ses vingt cinq ans d’âge, porte déjà les stigmates du temps passé. Pas moins de quatre refontes depuis sa mise en service en 1915. Exit les chaudières à charbon en 1934. Place au mazout. Mais une artillerie repensée, mieux adaptée aux exigences du combat. Avant d’être affecté au sein de la 2ème escadre de la Flotte de Méditerranée, dès le mois de juillet 1939, le Bretagne aura eu Brest pour port d’attache.

     

    Brest, 12 mars 1939.- « Je sais qu’on appareille ce soir (…). On ne sait pas au juste où l’on va. »

    Gibraltar, 1er mai 1939.- « On ne sait pas quand on va quitter Gibraltar. Ça fait quinze jours qu’on est ici et on ne parle pas encore de retourner ; Vivement qu’on quitte ce pays car la vie est drôlement chère (…) Solange a dû aller à la fête de Saint Georges aujourd’hui et à la foire hier, tandis que nous on est ici avec les Anglichs. Si on reste encore un moment ici on ne saura plus parler le Français. Demain il y a un bal à terre pour tous les militaires qui sont ici : Français, Américains, Ecossais et Anglais. »

     Brest, 12 juin 1939.- «  Alors et les patates. Ça doit commencer à diminuer maintenant ; Elles ne doivent sans doute plus valoir beaucoup plus de dix francs (…) Je ne sais pas encore quand on part pour Toulon. Peut-être le 1er juillet. Tout ce qu’il y a de sûr c’est qu’on y va. »

     Les patates, pour l’épicerie de la place du Crec’h, ça compte dans le budget familial. Edouard Petibon y fera souvent allusion dans les lettres qui suivront, mais les nuages sombres s’accumulent à l’horizon. Le Fürher inquiète toutes les chancelleries.

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

     Solange Petibon, mars 1940

     

     Brest, 1er juillet 1939.- « On part lundi à 13 h pour Casablanca et on va à Tanger et Oran après. Nous serons seulement le 22 juillet à Toulon. »

     Toulon, 29 juillet 1939.- «  À Toulon depuis samedi (…) Le commerce des patates est donc fini. Maman doit s’ennuyer terriblement maintenant. Elle n’a plus tant de billets à remuer. »

     

    Edouard Petibon : le Kermoustérien de Mers el Kébir

     

    Edouard Petibon : le Kermoustérien de Mers el Kébir

     

     

     Dans cette lettre du 11 novembre 1939, Edouard Petibon dit son espoir de pouvoir obtenir une « perme »  avant la fin de l’année. Un mois plus tard, il demeurait toujours dans l’expectative. Cette permission espérée, Edouard Petibon va pouvoir la vivre au pays lors du basculement de l’année. Un dernier séjour au pays. Il ne reverra plus Kermouster.

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

     Edouard Petibon à Kermouster (1938)

     

     Toulon 24 janvier 1940.- « Me voici de retour à bord depuis dimanche soir. Le voyage s’est bien passé. François a descendu à Marseille. J’ai été voir Yves et Louise Corlouer. » Yves Corlouer, lui aussi marin d’état, vit désormais à Toulon. Ses parents sont alors des voisins de la place du Crec’h.

     Toujours pas d’allusion à la guerre dans les lettres qui vont suivre. Au point même de ne plus parler du Bretagne. Toutes démarrent par ce simple mot « A Bord ».

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

     François et Edouard Petibon, 1938

     

     Toulon 25 mai 1940.-« Hier, j’étais à terre avec François. Il est beau dans son nouveau costume, faux-col, cravate et tout. Demain je compte aller le voir encore à son bord. Mais je ne pourrais certainement pas. Cela ne m’étonne pas que je ne recevais pas de nouvelles puisque c’est François qui les recevait à ma place. Il a reçu cette lettre que Solange m’avait écrite. Elle s’était tout simplement trompée d’adresse. »

     28 mai 1940.- Est-ce la dernière lettre qu’Edouard Petibon a écrite ? A-t-elle été postée au lendemain de l’arrivée du Bretagne à Mers el Kébir ? Questions sans réponse. Dans cette lettre, de même tonalité  que les précédentes, le Kermoustérien s’enquiert de la santé de ses parents, de toute la famille, ainsi que celle  du marché de la patate « qui doit battre son plein ». Il y remercie ses parents qui ont fait réparer sa montre : « Ça c’est au poil. Je comptais justement en acheter une autre car il m’arrive souvent de faire du rabiot de quart quand je n’ai pas d’heure. Vous devriez me l’envoyer ainsi que quelques conserves. Mais surtout, pas de beurre. »

     Dix-huit heures n’avaient pas encore sonné quand le fracas des obus a résonné au pied des monts Ramerah et Djebel-Santo qui encadrent Mers el Kébir. Pas sûr qu’en cet instant, Edouard Petibon ait pensé à regarder l’heure. Pas sûr non plus que la montre remise à neuf soit parvenue jusque là. Dans une lettre datée du 26 mai 1954, un commissaire de l’unité marine d’Oran fera savoir à la famille qu’on va lui renvoyer le peu de choses trouvées sur sa dépouille : un porte-monnaie avec une somme de 10,20 francs et une ceinture en cuir

     A ces lettres, ces photos, ce porte-monnaie et cette ceinture en cuir, s’ajoutent un vieux cahier et un harmonica. Sur ce cahier, qu’il emmenait lors de ses embarquements, Edouard Petibon prenait grand plaisir à coucher sur le papier, avec une maîtrise du plein et du délié exceptionnelle, toutes les chansons qui ont marqué l’entre deux guerres. La toute dernière inscrite sur ce cahier date du 20 avril 1940 ; Son titre : Mon cœur t’a suivi sur le front.

     A regret certainement, il n’aura jamais vu Venise, et pourtant la cité des doges le faisait rêver quand il écrivit, à bord de « sa » Bretagne, cette chanson qu’un certain Tino Rossi aura rendue célèbre : Venise et Bretagne. Il n’aura pas vécu assez longtemps pour entendre le Lézardrivien de cœur Georges Brassens la chanter en duo, à la télévision, avec Tino Rossi lui-même.

     Le 3 juillet 1940 les anches de son harmonica ont cessé de vibrer.

     

                                                                                                            Claude Tarin

                                                                                                 Kermouster, 3 juillet 2020

     

    Edouard Petibon : un Kermoustérien à Mers el Kébir

     

     

    * Il en est ainsi pour les Pleubianais Jean-Marie Lamert, Paul Le Petit, Jean Parlouer, respectivement second maître fourrier, quartier maître de manœuvre, quartier maître mécanicien. Annuaire des Pleubianais morts pour la France en 39-45, en Indochine et durant la guerre d’Algérie, par Michel Richard (décédé), Alain Bohée et Maurice Lener.

     


  • Commentaires

    1
    MClaire
    Vendredi 3 Juillet 2020 à 18:24

    Du fond du coeur, tout simplement, merci Claude

    2
    Les sudistes
    Vendredi 3 Juillet 2020 à 19:31

    Loin de Mers el Kebir , pour le 80ième anniversaire de ce dramatique évènement, tu as eu à coeur de mettre ce jeune homme de 21 ans à l 'honneur.

    Merci pour Edouard, merci pour notre famille, pour nos parents et grands-parents, merci  pour ces 1200 marins disparus ce 3 juillet 1940, et merci de nous faire découvrir la vie à Kermouster dans ces années difficiles.

    A très vite sur les chemins., les grèves.....

    3
    Elisabeth
    Samedi 4 Juillet 2020 à 10:47

    Très belle page de l'histoire de Kermouster, merci beaucoup Claude. Les mots et les photos sont des témoignages  très émouvants.

    4
    Kerm
    Dimanche 5 Juillet 2020 à 18:34
    Superbe enquête, fascinant. Bravo, vraiment !
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