• Du vent...à la folie

    On nous avait annoncé la canicule, canicule il y a eu, mais nous n’aurons suffoqué que quelques heures durant, le vendredi 28 juin. Depuis, le vent, un vent de nord nordet, trop frais pour la saison, souffle sur le Haut Trégor. Certes le soleil est au rendez-vous, mais on se prend à craindre que ce ne soit pas demain la veille qu’Eole va trouver le bon compromis. Il soufflait déjà très fort le 14 avril dernier, dimanche des rameaux. Or il traîne dans les esprits un dicton selon lequel vent des rameaux soufflera tout l’été.

    Depuis le retour à la normale du thermomètre, Kermouster aura vécu ces derniers jours dans une drôle d’atmosphère. Pensez ! La Cambuse fermée pendant quatre jours d’affilée ; la chapelle, que les «petites mains » de l’Amicale venaient de dépoussiérer, n’avait toujours pas ouvert ses portes ce mardi 2 juillet. La raison : l’épandage de gravillons sur la route allant du bourg de Lézardrieux à Lanmodez. Il fallait « être du pays » ou disposer d’un GPS patient et subtil pour se jouer, par le réseau secondaire, des panneaux « route barrée ». Cela n’a pas, toutefois, empêché des marcheurs d’arriver jusqu’à nous. Ces amateurs de la découverte dans l’effort auront eu au moins la satisfaction de disposer, pour eux seuls, du point de vue. Le pied ! Répétons le, Kermouster, ça se mérite !

    Quoi qu’il en soit, aucun motif de récrimination à exprimer pour ce qui nous concerne. Il y avait urgence à remettre le cordon bitumeux en état. On verra à l’usage si le procédé utilisé tient la route.

     

    Du vent...à la folie

     

     Tout est d’ailleurs rentré dans l’ordre ce mercredi. La Cambuse a ouvert sa barrière et la chapelle ses portes. Elle sera ouverte aux visites tous les après-midi jusque la fin août, hormis le lundi. C’est à nouveau Pierre Thuault qui est à poste pour éclairer les visiteurs, service qu’il avait accompli l’an passé, au mois d’août.

    Désormais licencié en biologie et géologie, il est aujourd’hui incollable sur l’histoire de la chapelle. Mais la faible affluence de ce début juillet l’amène à remettre très souvent le nez dans ses bouquins, sous l’œil bienveillant du « bon Saint-Eloi ». Sage occupation. Au sortir des vacances, ce sera cap sur le capes.

    Allez ! Après le dicton, un zest de superstition. On ne passe pas indûment un mois auprès du patron des serruriers et des forgerons sans trouver la clé à tous ses problèmes, d’autant plus que le fer à cheval est un porte-bonheur.

     

    Le souffle d’Erasme

     

    A l’heure où la chapelle est déjà fermée pour les visites, il faisait bon d’y être, ce mercredi soir, passé 20 h, pour découvrir l’impact d’un soleil couchant à travers le vitrail de la façade ouest. La chapelle accueillait son premier concert de l’été, concert spectacle donné par le  duo Nuages, duo qui  unit Isabelle Diverchy et le Mathias Mantello, deux artistes qui ne sont plus des inconnus ici puisque ayant déjà eu l’occasion de s’y produire au sein d’autres formations.

     

    Du vent...à la folie

     

    Alors que le spectacle commençait, le soleil léchait le mur, plaçant la statue de Saint Yves au cœur d’un arc-en-ciel. On ne dira jamais ici combien ce vitrail a renforcé le caractère attractif de la chapelle. Le duo Nuages s’apprêtait, quant à lui, à faire l’éloge de la folie.

    Erasme de Rotterdam (1467-1536) a-t-il eu connaissance de l’œuvre de Yves Hélory de Kermartin de Tréguier (1253-1303), plus connu sous le nom de Saint Yves ? Peut-être. Ce qui est sûr, c’est que le chanoine philosophe théologien et le prêtre canonisé (1537), patron de la justice et des avocats, ont eu en commun le souci des hommes . Alors que l’Europe vient de se donner un nouveau souffle, avec la nomination de ses nouveaux dirigeants, il nous faut espérer que l’humanisme dont elle prétend être le porte-drapeau depuis sa création continue à faire des émules.

    Cela fait vingt-deux ans que son programme Erasmus nourrit les nouvelles générations. Aujourd’hui, après les étudiants, les apprentis peuvent en profiter. Cela va dans le bons sens. Ce sont nos jeunes qui donneront ou non à l’Europe le relief souhaité. Erasme était, quant à lui, un Européen avant l’heure. Aujourd’hui, Saint Yves en défendrait la cause par des plaidoyers éloquents. J’en mets ma main au feu !

    De l’œuvre d’Erasme on ne retient généralement que son essai L’éloge de la folie, ce qui est assurément réducteur. Mais alors que l’on s’apprête à mettre en place une « boîte à livres » prés des tables de pique-nique du point de vue, je saisis l’opportunité de ce concert spectacle, qui l’a placé en figure de proue, pour dire que ce livre mérite de passer de main en main voire de demeurer à portée de main sur la table de chevet. Un livre, publié en 1347, mais qui a conservé toute sa fraîcheur, donc toute sa pertinence. Au sortir de ce concert, je me suis fait un plaisir d'en feuilleter à nouveau quelques pages.

     

    Un concert « hors norme »

     

    Cela dit, Isabelle Diverchy et son comparse n’ont pas choisi la voie la plus facile pour nous amener sur les sommets de l’émotion. Tous deux font partie de ces artistes régionaux qui travaillent à redonner son lustre au répertoire ancien. Leur terrain d’investigation privilégié: la Renaissance. En construisant leur spectacle à partir des écrits d’Erasme, ils nous invitaient ce soir là à une immersion dans des « temps immémoriaux ». Un concert « hors norme » concèdera Isabelle Diverchy qui aura démontré, à cette occasion, qu’elle n’était pas seulement une musicienne dotée d’une belle voix, mais qu’elle maîtrisait parfaitement l’énoncé d’un texte littéraire.

     Ce n’est pas rien de dire, de mémoire, d’une seule traite, des passages entiers de cet Eloge de la Folie. Ce n’est pas rien non plus que de déclamer Le Bateau Ivre de Rimbaud sans montrer la moindre hésitation.

     

    Du vent...à la folie

     

    En effet, si la « folie d’Erasme » a servi de fil conducteur, Isabelle Diverchy et Mathias Mantello ont tissé le lien avec des auteurs plus contemporains. Rimbaud, qui a écrit ce long poème, à l’âge de 17 ans, mais également Charles Cros, dont une Académie porte aujourd’hui le nom. L’Académie Charles Cros attribue chaque année les grands prix du disque. Charles Cros (1842-1888), qui selon Alphonse Allais est le véritable inventeur du phonographe, et Rimbaud (1854-1891) ont fait table commune, un temps durant, au sein de la confrérie des poètes zutiques dont la prose raillait celle de poètes plus académiques. A l’époque du Bateau ivre. Des fous ?

    Avant de pouvoir écrire ces lignes il m’a fallu gommer nombre de lacunes que ce surprenant spectacle a révélées. J’ignorais tout de Charles Cros poète et me souvenais vaguement de ce club zutique qui lui fit également côtoyé Verlaine. A en croire ses biographes, je devrais avoir au moins retenu son poème Le hareng sauteur que Nuages a introduit dans sa prestation. Un classique des bancs des écoles, dit-on. Mais j’ai du souvent avoir la tête ailleurs. Vous qui me lisez, ce n’est peut-être pas le cas. Oui ? Non ? Idem pour Baisers de Paul Morand (1888-1976), un court poème de l’auteur de L’homme pressé qui tue le romantisme d’un acte de tendresse. L’angoisse du temps qui passe à toute allure.

    A votre tour de découvrir, si le cœur vous en dit, L’épitaphe de Tristan Corbière (1845-1875) qui aura constitué le point final de cette soirée. Sans Verlaine, cet écrivain breton, auteur d’un seul recueil poétique (Les Amours jaunes) serait resté un parfait inconnu. Isabelle Diverchy vient de lui rendre hommage.

    Cette musicienne et chanteuse nous aura ce soir là, également fait découvrir une autre facette de sa dimension d’artiste. En revêtant comme le fit Erasme, l’accoutrement de la folie, elle a également mis ses pas dans ceux du mime Marceau. Sur d’étranges plages de silence, entrecoupées ici et là par le son d’un xylophone, de tuyaux sonores et même de poêles à frire faisant figure de gong, elle a donné corps, par le geste, à cette douce démence qui vous fait autre.

    De Bruno Giner, compositeur, je ne connaissais rien. « Son écriture, dit-on de lui, rythmiquement exigeante oblige l’interprète à un véritable engagement autant technique que physique ». La vingtaine de personnes qui a assisté, de bout en bout, à ce concert faisant la part belle aux vocalises de ce compositeur, a pu le constater et c’est visiblement sans arrière pensée que toutes ont chaleureusement applaudi les deux artistes.

    Isabelle Diverchy et Mathias Mantello seront bientôt de retour. Le jeudi 18 juillet (20h30) ils se produiront, pour la troisième fois dans la chapelle,  avec leurs partenaires de Capriol & Cie (chroniques du 17 juillet 2014 et du 21 juillet 2016).  Ciblant la musique de la Renaissance,  Capriol & Cie nous invite, cette année, à découvrir l’œuvre du compositeur breton Guillaume Tessier.

     

    « Si vous pouviez regarder la Lune… »

     

    Au risque de lasser, je ne résiste pas, cependant, à conclure en citant un extrait de L’éloge de la folie qui fait écho à ce qui va alimenter dans quelques jours bien des commentaires.

    Nous célèbrerons le 21 juillet le 50e anniversaire des premiers pas de l’homme sur la Lune. « Un petit pas pour l’Homme, un grand pas pour l’Humanité » a dit, ce jour là Neil Amstrong, le chef de la mission Apollo 11. Ecoutons ce qu’avait à nous dire Erasme en 1509 !

    « Si vous pouviez regarder de la Lune, comme autrefois Ménippe*, les agitations innombrables de la Terre, vous penseriez voir une foule de mouches ou de moucherons, qui se battent entre eux, luttent, se tendent des pièges, se volent, jouent, gambadent, naissent, tombent et meurent ; et l’on peut croire quels troubles, quelles tragédies, produit un si minime animalcule destiné à sitôt périr. Fréquemment, par une courte guerre ou l’attaque d’une épidémie, il en disparaît à la fois bien des milliers. »

     Bien que revêtu de l’accoutrement de la folie, Erasme invitait ses congénères, il y a plus de 500 ans, à faire preuve de lucidité. Il est temps de le relire.

     

    * Philosophe grec du IVe ou IIe siècle avant Jésus Christ


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