• Ce n'est qu'un au revoir Irène !

     

    Une équinoxe de printemps sans nuage ; un soleil généreux et une lune lumineuse se partageant le ciel à parts égales ; une mer lisse comme un miroir, se retirant suffisamment  pour permettre  aux pêcheurs à pied d’accéder au plus bas de l’estran, aux champs d’algues sous lesquels étrilles, ormeaux, praires et homards se croyaient à l’abri de leur convoitise. Pour les plus chanceux, le petit plus d’une balade en mer aux allures de croisière. Les soixante douze heures que nous venons de vivre, nous qui avons la chance de vivre en bord de mer, resteront gravées dans les annales.

    Elles sont en quelque sorte une parenthèse heureuse alors que nous n’en avons toujours pas fini avec la pandémie. Les nouvelles mesures annoncées par l’Elysée, ce mercredi soir, sonnent comme une piqûre de rappel à notre responsabilité individuelle. Restons vigilants ! Soyons sur le qui-vive !

    Mais comment taire l’émotion qui est la nôtre depuis ce lundi. C’est ce jour là qu’Irène Quichaud s’en est allée ouvrir, sous d’autres cieux,  un nouveau chapitre de sa vie.

     

    Au revoir Irène !

     

    Vous n’avez pas été sans apercevoir cet imposant camion de déménagement qui, deux jours durant, sera resté stationné au cœur du hameau, devant le corps de bâtiments jouxtant la chapelle. C’est dans cette ancienne ferme transformée en gentilhommière qu’Irène Quichaud aura vécu une trentaine d’années. Les plus anciens se souviennent de cette longère en terre battue, de son pressoir à cidre, de l’écurie et du tas de fumier à même la cour. C’est à Kermouster qu’elle et son mari avaient choisi « d’atterrir » pour y couler une paisible retraite.

    Atterrir est bien le terme qu’il convient car, comme nous ne l’aurons appris qu’à la veille de ce départ, Daniel Quichaud aura effectué sa carrière dans la sous-traitance pour l’industrie, notamment aéronautique. Cela nous ramène aux temps prestigieux de l’Aérospatiale, l’ancêtre d’Airbus, et de la Caravelle et du Concorde. Pour le compte de la société Titanox, créée en 1974, puis de Huck, Daniel Quichaud s’y sera illustré en concevant des rivets qui vaudront à ces sociétés reconnaissance internationale.

    Irène, quant à elle, a exercé un métier dont on mesure, peut-être encore plus qu’à son époque, l’incontournable nécessité. A l’âge qui est le sien, dont son regard lumineux ne porte pas le poids, Irène garde le souvenir de cette angoisse qui fût la sienne quand elle s’en alla, au sortir de l’école d’infirmière, se confronter aux réalités du métier, au sein d’un hôpital militaire de Versailles. Etre à la hauteur est un sentiment naturel qui vous étreint quand l’heure est arrivée de faire vos preuves dans le milieu professionnel qui va façonner votre avenir. C’est en tant qu’infirmière libérale qu’Irène exercera, par la suite, un métier qui repose, pour une large part, sur un dépassement de soi. La situation que connaît le monde hospitalier depuis plus d’un an ne peut que nous inciter à tout faire, en responsabilité, pour que la limite du supportable ne soit pas franchie dans les blocs opératoires.  

    Pour Irène, la Bretonne de l’Argoat, et Daniel Quichaud, Parisien d’origine charentaise, Kermouster aura été un nouveau champ du possible. Il y eut d’abord ces amis qui avaient maison sur l’île de Bréhat, puis des séjours vacances répétés en presqu’île et enfin cette ancienne ferme qui portait en elle la perspective d’une retraite heureuse, dans un cadre empreint de sérénité.  Kermouster sera le port d’attache pour ce canot breton qui a amené Daniel Quichaud à se confronter à l’élément marin. Mais ce sera aussi cette allée de boules, de l’autre côté de la rue, celle qui vous fait partager de bons moments avec ces voisins tout heureux de pouvoir profiter, eux aussi, du temps libre de la retraite.

    Irène s’en est allée et nous nous honorons, je crois pouvoir parler ici au nom de tous ceux qui furent ses proches voisins, d’avoir été admis dans le champ de son intimité. Peu de Kermoustériens, hélas, ont eu accès à ce qui peut s’apparenter comme un privilège. Non pas qu’Irène vivait volontairement dans un camp retranché ; sa porte était ouverte à tous ; mais c’est tout simplement par tempérament, si ce n’est excessive pudeur, qu’elle a choisi d’affronter de cette manière  les affres de la solitude après le décès de son mari.

    Au pays de Cyrano de Bergerac

    Notre désormais ex-voisine, dont les racines plongent au cœur de la Bretagne, région de Carhaix, est la discrétion même. Elle aurait assurément mérité d’être plus largement connue, mais à ce tempérament qui vous pousse à ne pas vous mettre en scène sont venus s’ajouter les cruelles morsures du temps. Daniel Quichaud ne sera resté à ses côtés en ce début de vingtième siècle que les sept premières années. Puis surviendront les trahisons du corps qui transforment un escalier en épreuve quotidiennement redoutée.

    De guerre lasse, Irène aura fini par se résigner à suivre le conseil pressant de ses enfants et ainsi quitter son cher Kermouster, pour continuer à vivre dans un endroit plus à même de rassurer ses proches, si ce n’est elle-même. C’est à Bergerac, au pays des anciennes gabares pinardières de la Dordogne, qu’Irène va jeter l’ancre.

    Si vos pas vous ont déjà amenés à arpenter les rues de cette cité de caractère, qu’un certain Cyrano a rendu célèbre bien que n’y ayant jamais vécu en chair et en os, vous ne pouvez que partager ce point de vue : Bergerac vaut le détour et, comme tant d’autres endroits de ce beau pays de France, peut s’avérer être également un port d’attache.

    Qu’Irène sache se persuader que les voies de la raison, qu’elle a, bon gré mal gré, accepté de suivre, peuvent être aussi sources de nouvelles joies partagées. Nous savons qu’elle n’oubliera pas de sitôt ce hameau du bout du monde, mais qu’elle se rassure pleinement, Kermouster ne l’oubliera pas. 

    Non sans y avoir résisté quelques minutes durant, Irène, après avoir bouclé sa tournée d’adieu la veille de son départ, a accepté de poser devant l’objectif, pour immortaliser ce nouveau temps fort devant ce qui fut son lieu de vie. Je ne puis que la remercier d’avoir fait tomber cette ultime réticence. Cette photo il fallait la faire. Elle ne symbolise en rien un adieu, une déchirure. Elle illustre un simple au revoir. Il ne faut jamais injurier l’avenir.

     

                                                                                                                                           Claude Tarin

                                                                                                                                Jeudi 1er avril 2021

     

     

    Haïkerm d’équinoxe de printemps

     

    La lune aura illuminé la dernière nuit kermoustérienne d’Irène. Elle brillait encore de tous ses feux au-dessus du hameau quand le soleil a émergé entre la pointe de l’Arcouest et l’île de Bréhat. Pourquoi le nierais-je, c’est bien en pensant à elle que j’ai tenu à assister à ce qui, à bien des égards, s’avère être l’un des plus beaux spectacles que nous offre la nature.

    Je voulais constater de visu que les astres seraient eux aussi en rendez-vous pour saluer comme il se doit son départ. Et l’alignement des planètes a bien eu lieu.

    Un magnétisme suffisamment fort pour générer l’inspiration et adresser un haïkerm à une Kermoustérienne de cœur.

     

    Mer d’équinoxe

    Lune ronde plein soleil-

    Vive émotion

     

    Au revoir Irène !

    Au revoir Irène !

    Au revoir Irène !

    Au revoir Irène !

    Au revoir Irène !

    Au revoir Irène !


  • Commentaires

    1
    Marianne
    Vendredi 2 Avril 2021 à 11:32
    Merci Claude pour ce message poignant, les mots me manquent...
    Chaleureusement
    2
    Claudine
    Samedi 3 Avril 2021 à 09:39
    Merci Claude d’avoir trouvé les mots pour dire au revoir à Irène. Elle et Daniel nous avaient si bien accueillis il y a plus de 18 ans déjà. Prévenance, sourires et petites attentions pour les nouveaux arrivants que nous étions. C’est Irène qui nous a appris le nom de tant de plantes du coin, elle qui aime tant les fleurs. Elle nous manque déjà mais l’affection des siens lui permettra de franchir cette nouvelle étape et de vivre sous d’autres cieux ....sans doute moins humides . Ou plus chauds .merci Irène pour ton sourire. Claudine.
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