• Bain de jouvence

    Cela aurait pu se produire sur la grève de l’île à Bois, mais c’est sur la grande plage de Saint-Cast-Le-Guildo, soit très précisément à 100 kilomètres de Kermouster par la route ou, si vous le préférez, à 33 milles nautiques par la mer, que les circonstances m’ont offert, ce mercredi, un véritable bain de jouvence. Une deuxième grande évasion depuis la fin du confinement, après celle du dimanche précédent pour des retrouvailles familiales tant espérées.

    Sur cette plage de la côte d’Emeraude, il s’est agi de partager un bon moment entre amis de longue date. Enfin, pouvoir se regarder les yeux dans les yeux, échanger de vive voix autrement qu’à travers le combiné du téléphone. Sans masque. Dans un endroit de plein air où le respect de la distanciation physique allait encore de soi. Il n’en sera certainement plus de même dans quelques jours car Saint-Cast-Le-Guildo est une station balnéaire réputée et, malgré son étendue, on est au coude à coude sur cette belle plage à l’heure des grandes vacances. Sera-ce accepté dans les semaines qui viennent ?

    Ce mercredi, sur le sable, quelques groupes épars, à bonne distance les uns des autres. Peu de candidats à la baignade. Le soleil tapait fort, mais un vent de nord-est bien établi se faisait dissuasif. Le droit à l’immobilité étant acté pour cette plage, il aura fait bon s’y étendre.

    Ce sont des rires d’enfants qui, au sortir d’une sieste réparatrice après un royal pique-nique, vont donner à cette journée un supplément d’âme.

    Je ne sais plus à quand remonte la dernière fois où j’ai pu entendre rire des enfants. C’était bien avant la mise en confinement du pays. Certes, Kermouster ne vibre plus depuis des lustres à l’heure de la récréation. Il n’y a plus d’école et les enfants ne se bousculent pas dans les rues du hameau. Mais les vacances de Pâques, contrairement aux habitudes, auront été marquées par un trop grand silence, confinement oblige. Les enfants ont cruellement fait défaut.

    Avec en arrière plan l’archipel des Ebihens, l’île de Cézembre et, dans le lointain, la pointe du Grouin, à la frontière entre le sable sec et le sable mouillé, un groupe de fillettes et de garçonnets alignaient les pâtés, à cœur joie. Ils étaient dans leur monde. A des milles et des milles de nos préoccupations d’adultes, quelque peu allégées cependant à cette heure de l’après-midi. On ne pouvait que les envier. Et se souvenir que nous aussi nous avons eu cette chance de bâtir des châteaux de sable sans nous préoccuper de savoir si demain sera un jour meilleur. C’est à cela que je me suis laissé aller en regardant jouer ce groupe d’enfants.

    Il y a un âge où ce n’est que l’instant que l’on vit qui compte. La pelle et le seau sont les outils du rêve réalité. La plage est un royaume partagé. Tous les enfants du monde devraient pouvoir connaître ces plaisirs de la plage. Ce n’est malheureusement pas le cas. Nous, enfants, nous les avons éprouvés ces plaisirs. Nous avons eu le bonheur de voir nos enfants en faire de même. Et que dire de ce plaisir recyclé quand il a fallu creuser le bassin et construire de nouveaux châteaux de sables avec les petits enfants.

     

    Bain de jouvence

     La Fontaine de Jouvence vue par Lucas Cranach l'Ancien (1546). Huile sur bois conservée à la Gemäldegalerie de Berlin.

     

    Dans la mythologie, la fontaine de jouvence est une source censée restaurer la jeunesse de quiconque boit ou se baigne dans ses eaux. Un perpétuel rajeunissement, gage d’immortalité. Il y a également un âge où l’on peut croire à cela. Je n’ai plus cet âge. Vous, non plus. Bien des illusions se sont écroulées au fil du temps. Et pourtant l’heure n’est pas à la résignation. Il nous faut reprendre note seau et notre pelle pour que ce monde d’après confinement soit conforme aux attentes que nous avons exprimées alors que nous étions sous l’emprise de la sidération.

    Il faudrait que ces enfants de la plage de Saint-Cast-Le-Guildo puissent plus tard témoigner qu’à l’heure où eux, comme tous les enfants de leur âge, se contrefichaient de savoir de quoi demain serait fait, leurs parents et même leurs grands parents ont été les acteurs d’un monde d’après solide car acceptable par le plus grand nombre, dont eux, leurs enfants et leurs petits enfants auront pu être les heureux bénéficiaires.

    Tous les châteaux de sable ne s’écroulent pas.

                                                                                                                                        Claude Tarin

                                                                                                                             Jeudi 28 mai 2020

     

     


  • Commentaires

    1
    Mota Anne-Sophie
    Jeudi 28 Mai 2020 à 23:11
    Nostalgie ... insouciance de l enfance, j espère que mes petits enfants si j en ai un jour n aurons pas à me faire de reproche... Je sors mon seau et ma pelle !
    2
    Claudie
    Vendredi 29 Mai 2020 à 11:26

    Claude écrit : Il y a un âge où ce n’est que l’instant que l’on vit qui compte

    Il me semble qu'une des leçons de cette période particulière aura été celle-là. Nous réapprendre à vivre dans l'instant, à oublier nos vies programmées, écrites à l'avance. Grâce à ce curieux rapport au temps complètement transformé, nous avons réappris à profiter de l'instant. Sensation d'avoir tout le temps devant nous et que l'obligation d'aujourd'hui se pouvait aisément repousser à demain, puisque nous n'avions pas de borne définie… Sensation trompeuse, sans doute. Mais, moi, j'ai bien aimé cette impression. Au fond, peut-être que était-ce juste cela, le confinement : une façon détournée de retomber en enfance !

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