• Alexandre Auguste Le Blouch : la plage de Naso  

    Alexandre Auguste Le Blouch : la plage de Naso   

     

      A sa sœur aînée, avec laquelle il entretenait une correspondance soutenue, Alexandre Auguste Marie Le Blouch ne cacha pas un jour sa crainte d’être versé dans l’artillerie, à terre. Maître canonnier, il appréhendait ce jour où on lui demanderait de quitter le bâchis pour enfiler la tenue de l’artiflot. Est-ce à dire qu’à bord d’un cuirassé il se sentait à l’abri de tout péril ?

       A trente six ans, le marin a déjà une longue carrière militaire derrière lui quand il se trouve à bord du Danton en route vers l’île grecque de Corfou. Le cuirassé a quitté Toulon, la veille, pour assurer une nouvelle mission en mer Adriatique, dans le cadre de la lutte contre la marine austro-hongroise.

       Ce lundi 19 mars, peu avant midi, le Danton croise au large de la Sardaigne. A bord nul n’ignore bien évidemment que le danger demeure, tapi sous la mer. Les U boots allemands ont déjà inscrit nombre de navires à leur tableau de chasse. Même des navires civils.

     

     

    Alexandre Auguste Le Blouch : la plage de Naso   

     Naufrage du Linda Blanche dans la baie de Liverpool, Willy Stöwer* *(1915

       

      Si depuis puis le coup mortel porté au Lusitania le 7 mai 1915 au large de l’Irlande, l’Allemagne s’était engagée, par crainte que les Etats-Unis s’en viennent à se ranger aux côtés des Alliés, à freiner ses attaques sous-marines, il n’en va plus de même depuis le mois de février. La résistance que lui opposent les armées de l’Entente sur le sol français a amené le Kaiser à engager une guerre sous-marine à outrance pour instaurer un blocus total.

      « La guerre de course, la guerre de mouvements, la vraie guerre navale, telle que la comprennent les marins de France et d'Angleterre, n'est plus qu'un souvenir. Elle est morte depuis quatre mois, depuis le 11 juillet, en même temps que le Koenigsberg, dernier corsaire Allemand. Sur mer, la rencontre, jadis loyale, est devenue un guet-apens organisé. » écrira Paul Chack* dans On se bat sur mer, publié en 1926.

       A bord de tous les navires la vigilance s’impose donc.

       Il est environ 13 h quand le Danton va être, à son tour, frappé mortellement.  Par deux torpilles, l’une à l’avant de la coque, l’autre en plein milieu. Les appareils électriques étant mis hors d’usage, il va être impossible de mettre à l’eau les embarcations de sauvetage. Sur les 946 membres d’équipage et 155 marins devant rejoindre leur navire en Grèce, 806 marins vont être récupérés par le contre-torpilleur Massue et par le chalutier Louise-Marguerite. Certains seront sauvés après prés de 7 heures de nage. Alexandre Le Blouch n’aura pas cette chance.

     

    Alexandre Auguste Le Blouch : la plage de Naso   

    Alexandre Auguste Le Blouch : la plage de Naso   

     

      Son corps sera découvert et identifié, un mois plus tard, le 19 avril 1917, sur une plage de Sicile, dans la baie de Naso, commune de la province de Messine. Outre un porte-monnaie contenant quelques billets, une petite lampe électrique ainsi qu’un couteau à deux lames et poinçon, les autorités dépêchées sur place récupèreront une petite feuille de papier portant ces quelques mots : « Cuirassé Danton.- Le permis de nuit est accordé au patron canonnier Le Blanch Alexandre (500046 d) pendant le séjour du bateau à Toulon ».

      Mais aucun doute possible sur l’identité du cadavre dont l’orthographe du nom ne correspond pas à celui du Kermoustérien. Le numéro du matricule suffit à montrer que le chancelier de la commune de Patti, commune proche de Naso, a involontairement commis une faute de frappe en écrivant ce courrier, daté du 19 juillet 1917, dûment contresigné par des carabiniers ayant eu la garde du corps et destiné à l’agent consulaire de France  

     

    Alexandre Auguste Le Blouch : la plage de Naso   

     

    Alexandre Auguste Le Blouch : la plage de Naso   

     

      Les corps des second maîtres canonniers Auguste Marie Marjou (24 ans), de Pleubian, de Charles Marie Tilly (39 ans), Joseph Guillou (45 ans), de Pleumeur Gautier et l’apprenti-marin Guillaume Goazempis (36 ans), de Trédarzec  reposent peut-être eux aussi, depuis lors, dans le petit cimetière de Naso, puisque les autorités siciliennes découvriront d’autres corps naufragés, mais tous n’ont pas permis une identification certifiée.

       L’annonce du torpillage du Danton n’aura, quant à elle, été communiquée à la presse que le vendredi 23 mars, quatre jours après qu’il eut été coulé. Dans leur édition du samedi, Le Figaro, Le Gaulois, pour ne citer que ces deux grands quotidiens nationaux, annoncent, en première page, la terrible nouvelle. En s’en tenant à la ligne près au communiqué.  Le torpillage du Danton constitue une nouvelle grosse perte pour la marine française, au 964ème jour de guerre. Entre-temps se sont ajoutés à celles du Bouvet et du Léon Gambetta, les torpillages des cuirassés Amiral Charner (8 février 1916, au large des côtes libanaises), Suffren (26 novembre 1916, au large de Lisbonne), Gaulois (27 décembre 1916, en mer Egée) et de l’aviso Rigel (2 octobre 1916, à l’ouest d’Alger).

       Le quotidien Ouest Eclair, pour sa part, en a fait  un gros titre de Une. La Bretagne est une pourvoyeuse de marins. Ici on est directement concerné par tout ce qui se rapporte à la marine. Sur le monument aux morts de Pleubian vont être gravés les noms de Célestin Rabé et Yves Marie Le Carboulec, marins du Suffren, et de François Marie Kerleau du Rigel.

       Une nouvelle alarmante vient donc de s’abattre sur la Presqu’île. Avec cette terrible incertitude : qui sont ceux qui ont pu échapper à la mort ?

      Tout laisse à penser cependant que la famille d’Alexandre Le Blouch n’aura pas attendu le jugement rendu par le tribunal de Brest, le 16 octobre 1918, pour être informée de sa disparition. Pour son épouse, Marie Louise, née Ernot, à l’espoir va très vite succéder la cruelle certitude. Alexandre  Le Blouch n’aura pas eu l’heur de connaître son troisième enfant. Son aînée, Rosalie, est née le 14 décembre 1914. Son premier fils, Guillaume, le 4 août de l’an dernier. Le 16 avril de cette année 1917, c’est un autre garçon, qui verra le jour. Il portera le prénom de son père.

      Un malheur de plus a donc frappé une nouvelle fois cette famille qui a déjà payé le prix fort dans cette guerre interminable. Marie Louise Ernot est la sœur d’Yves, Hippolyte et Joseph Ernot, tous les trois déjà morts au combat. Et où en sont les trois autres beaux-frères, Jean, François et Guillaume, eux aussi contraints de quitter la ferme familiale pour s’en aller combattre l’Allemand ?

       Alexandre Le Blouch sera le seul Kermoustérien tué au cours de cette année 1917. Mais, un mois après le Danton, nouveau coup dur pour la marine avec la disparition, le 25 avril 1917,  du contre-torpilleur L’Etendard, sur lequel était embarqué le Lézardrivien Yves Le Berre

       La guerre sur mer se déroulant également en Manche, il est clair que cette menace des sous-marins allemands ajoute aux risques de disette. Il n’y a pas que chez les Ernot que les fermes manquent de bras. Et alors qu’en Russie, le Tsar a été déposé, faisant craindre un possible renversement d’alliance sur le front Est, l’espoir repose désormais sur l’entrée en guerre des Etats-Unis.

      Campant dans une toute relative neutralité depuis le début de la guerre, les Américains vont clairement s’engager après la décision du Congrès, réuni le 5 avril à Washington. Le temps de mettre en branle une armée digne de ce nom et le 13 juin de cette même année, le général John Pershing, secondé par le capitaine Georges Patton, débarque à la tête d’un corps expéditionnaire, dans la liesse populaire.

      Si cela, à l’époque, n’est pas encore su à Kermouster, il y a ici un homme, de nationalité américaine, qui n’a pas attendu que son pays entre dans la guerre pour offrir ses services à l’armée française. Charles Thorndike (1875-1935), fils d’un négociant en blé de Boston, venu, la vingtaine passée, assumer son goût pour la peinture au contact des peintres du quartier Montparnasse, à Paris.

      Thorndike s’est installé à Kermouster quelque temps avant l’orage de feu et d’acier. Par amour pour une femme, originaire de Bréhat, qui lui servait de modèle quand il peignait à Paris. A 40 ans révolus, ce bon vivant aurait eu  toutes les raisons de rester les deux pieds dans ses pantoufles. Son goût pour la roulette des casinos de la Côte d’Azur, où il avait un autre pied à terre à Nice, ne pouvait que tuer l’idée de déambuler dans les tranchées. D’autant plus qu’il risquait, si l’envie lui prenait de s’engager, de perdre ses droits et sa nationalité américaine.

       A-t-il était sensible au manifeste que l’écrivain d’origine suisse, Blaise Cendrars et le poète d’origine italienne Ricciotto Canudo cosignèrent dans la presse le 29 juillet 1914, manifeste appelant tous les étrangers amis de la France à prendre les armes par reconnaissance et défendre une civilisation ? C’est fort probable, compte tenu de son immersion dans le monde des arts et des lettres.  Pour Thorndike, ce ne sera pas la Légion étrangère. Il sera sur le front, dès juin 1915, en Artois, en tant que brancardier. Il fut, affirme-t-on, le septième Américain à s’être engagé.

       En 1917, après l’entrée en guerre des Etats-Unis, Charles Thorndike a-t-il occupé  la fonction d’officier de liaison entre les Français et les Américains au sein de la base d’hydravions située sur le Jaudy ? C’est fort possible.  Il s’agissait là aussi de lutter contre les sous-marins allemands croisant en Manche.

     

    Alexandre Auguste Le Blouch : la plage de Naso   

     

       L’Américain de Kermouster a, quant à lui, pu sortir vivant de l’enfer. On lui connaît un seul tableau illustrant ces années de plomb passées au contact des fils barbelés.

       Pour Alexandre Le Blouch la vie s’est achevée au bout d’une longue dérive. Il laissait derrière lui, une veuve et trois enfants. Le petit dernier, qui portait son prénom, ne lui survivra pas bien longtemps puisqu’il mourra à l’âge de deux ans des suites d’une méningite.

     

    *Louis Paul André Chack (1876-1945), officier de marine et écrivain. Un an avant On se bat sur mer (1926), il publiera en collaboration avec Claude Farrère, lui aussi officier de marine, lui aussi de forte sensibilité d’extrême -droite Combats et batailles sur la mer. Favorable sous l’Occupation à la politique de collaboration avec l’Allemagne, Paul Chack sera condamné à mort et fusillé à la Libération. Prix Goncourt en 1905 avec Les Civilisés, Claude Farrère quittera la marine en 1919, et rejoindra les rangs de l’extrême droite. Collaborateur du Flambeau, le mensuel des Croix-de-feu, élu à l’Académie française en mars 1935,  il sera dans les années 50 membre de l’Association pour défendre la mémoire du Maréchal Pétain. 

     

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    Vos documents témoignages en ligne!

     

    Vous pouvez consulter sur le site de la mairie de Lézardrieux un dossier établissant une nomenclature de tous les poilus et marins de la commune morts durant la Grande Guerre.

     

    Ce dossier, présenté sous la forme d’un livre que l’on feuillette, ne demande qu’à être enrichi par des documents photos et témoignages divers.

     

     Livre-à-la-mémoire-des-Lézardrieux-décédés-durant-la-guerre-14-18

    De tels documents sont certainement encore conservés par les familles et descendants des victimes. Ils ne concernent pas seulement les victimes, mais également ceux qui sont revenus vivants de cette guerre, auxquels il convient également de rendre hommage.

     

    La commémoration du Centenaire de l’Armistice est une ultime opportunité qu’il nous faut saisir pour contribuer à la réalisation d’une « œuvre collective ».

     

     Sur la base ce qui est déjà mis en ligne, nous pouvons, par vos apports, constituer un socle mémoriel plus conséquent.

     

    N’hésitez pas à nous faire parvenir vos documents !

     

    Soit en prenant directement contact

     

    Téléphone : 02 96 16 52 07

     

     Courriel :

     ctarin@wanadoo.fr

     

     

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    A suivre 

     Pierre Garel, la mort sur le Chemin des Dames

     

     


  • Commentaires

    1
    TB
    Vendredi 9 Novembre 2018 à 10:22

    Passionnant, vraiment . Quel formidable travail d'historien et quelle plume !

    merci encore, Claude .

     

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    2
    TB
    Vendredi 9 Novembre 2018 à 10:23

    Passionnant, vraiment . Quel formidable travail d'historien et quelle plume ! 

    Merci encore, Claude .

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