• Pour le Téléthon, sur les chemins de l’île à Bois

     

    130. Rien à voir avec le coefficient de marée de ce samedi 24 novembre. Ces jours derniers, la Lune n’exerçait pas une très forte attraction sur la planète bleue. Avec un coefficient de 97, il n’y avait guère d’incitation à endosser son ciré (jaune ?) pour aller farfouiller dans les mares.

    130, c’est le nombre de marcheurs qui ont souhaité « mettre les jambes en mouvement  pour la bonne cause », celle du Téléthon,  répondant ainsi à l’initiative de l’association Chemins,& Patrimoine. Deux fois plus nombreux que l’an passé. Mais, comme pour les années précédentes, c’est Kermouster qui s’est trouvé ainsi placé au cœur de cette journée de solidarité.

     

    Pour le Téléthon, sur les chemins de l’île à Bois

    Pour le Téléthon, sur les chemins de l’île à Bois

     

    Un café chaud, à même la salle communale,  pour accompagner le moment de l’inscription, un roulement de caisse claire suivi du souffle des cornemuses et bombardes des Sonnerien an Trez, les 260 pieds chaussés ont alors commencé à faire chauffer les semelles. Direction l’île à bois.

     

    Pour le Téléthon, sur les chemins de l’île à Bois

     

    Pas de quoi attraper des ampoules, compte tenu de la faible distance qu’il aura fallu franchir, mais une belle opportunité pour remonter le cours de l’histoire, cette île privée, devenue presqu’île pour cause de guerre, portant encore en elle quelques vestiges de ces années marquées par le bruit des bottes. Les Allemands, devenus maîtres des lieux, en auront fait un poste de contrôle sur l’estuaire. Ils y ont implanté des blockhaus. Certains sont mainteant aménagés pour accroître les capacités d’hébergement, l’île ayant désormais vocation à accueillir mariages, fêtes de famille et séminaires.

     

    Pour le Téléthon, sur les chemins de l’île à Bois

    Pour le Téléthon, sur les chemins de l’île à Bois

    Pour le Téléthon, sur les chemins de l’île à Bois

     

    Le temps d’une halte sur le point culminant de cette île de 15 hectares, tous les téléthonistes  auront trouvé réponse à cette question qui pouvait encore en titiller quelques uns : le petit édifice qui se dresse en ce  point n’est pas une chapelle, mais un corps de garde. Depuis plusieurs siècles l’île à bois veillait à protéger la terre des périls de la mer.

     

    Pour le Téléthon, sur les chemins de l’île à Bois

     

    Cette balade sur le chemin de l’histoire aura été source de multiples échappées visuelles  sur la baie de Pommelin, Bréhat et le Ferlass. D’autant plus appréciées puisque le soleil aura illuminé le paysage tout au long de l’après-midi. Avant la dispersion, certains participants seront passés par la case chapelle.

     

    Pour le Téléthon, sur les chemins de l’île à Bois

     

    Quelques heures plus tard, une bonne partie de ces marcheurs  prendront  nouveau grand plaisir, salle Georges Brassens, au centre bourg, à partager soupe de potimarron et tartiflette avec plusieurs dizaines autres personnes. Pour la plus grande satisfaction des bénévoles de l’association qui se sont décarcassés pour donner à cette journée un caractère festif. Générosité et convivialité, un cocktail savoureux.

    Mais les cœurs ont également battu au rythme d’une soirée fleurant bon la nostalgie. Ah ! ce bon vieux temps du rock, de la samba, de la bossa nova. Et que je te twiste again ! Sans oublier la ronde des danses bretonnes, ni même cette chenille qui, tout en vous faisant sentir le poids des mains sur les épaules, vous fait oublier celui des ans. Avec en guise de cerise sur le gâteau, ce slow immortel, « Ma vie » d’Alain Barrière.

     « Qu’il est long le chemin ! » Voilà plus d’un demi siècle que cette ode à l’amour de la vie tourne en boucle. Ce samedi soir, les marcheurs au grand cœur  ont prouvé que l’on pouvait croire à l’éternelle jeunesse.

     


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    La nature a ses lois

     

        Elles sont arrivées un peu plus tard que d’habitude ? Le réchauffement climatique touche aussi la Sibérie et les bernaches cravant n’ont pas été poussées à quitter très tôt les côtes de cet immense territoire où elles vivent durant une grande partie de l’année. Mais elles sont là et bien là. Dans un paysage qui leur est familier et que leurs petits vont apprécier pour la première fois.

      Un paysage où il fait bon caqueter tout en se nourrissant principalement de la zostère naine, une herbe marine vivace. Si celle-ci vient à manquer ces oies sibériennes se rabattront sur les ulves, les salicornes et d’autres algues. Là-bas, tout là-bas, à quelque 6000 km d’ici, leur préférence va aux mousses, aux lichens que la toundra leur offre aux beaux jours.

       La zostère naine se développe en herbiers. Ses feuilles aident, entre autres intérêts, à fixer la vase et à ralentir le mouvement des vagues. Il faut croire que ce jour là – mais de quand cela date-t-il ? – elles n’auront pas pu empêcher la mer de venir saper, à sa base, la falaise côté GoasLuguen. A moins que ce soit tout bonnement le vent qui a fini par déraciner cet arbre.

       La nature a ses lois.

     

    La nature a ses lois

    La nature a ses lois

     


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  • Depuis que l'homme écrit l'Histoire, 

    Depuis qu'il bataille à cœur joie 

    Entre mille et une guerr' notoires, 

    Si j'étais t'nu de faire un choix, 

    A l'encontre du vieil Homère, 

    Je déclarerais tout de suit' :

      Moi, mon colon, cell' que j' préfère, 

    C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit ! "

     

    La lumière de la Paix à travers le vitrail

     Reprise du Fort de Douamont, de Henri Georges Jacques Chartier (1854-1924), Musée de l'armée, Paris

     

       Puisqu’en France, comme l’a affirmé Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, tout finit par une chanson, je n’ai guère hésité à confier à notre célèbre croquenote, qui n’aimait assurément pas marcher au pas,  le soin d’ouvrir cette dernière chronique sur la Grande Guerre.

       Je n’ai pas oublié le ram dam que cette chanson « anti guerre » a provoqué à l’époque. Nous étions en 1962. A l’heure de la signature des accords d’Evian qui soldaient ce que l’on ne voulait toujours pas appeler la guerre d’Algérie. « Je n’ai pas voulu choquer » dira un jour ce chanteur poète à la fibre anarchiste, mais, dans le contexte de l’époque, cette diatribe contre toutes ces guerres qui ont marqué notre histoire aura fait l’effet d’une bombe dans le cercle encore largement fourni des anciens combattants.

       Pas besoin d’être grand clerc pour deviner ce que furent alors les états d’âmes de bien des compagnons d’armes des 14 Kermoustériens à qui nous venons de rendre hommage. Brassens n’avait pas encore jeté l’ancre à Lézardrieux, Si cela avait été le cas, il n’aurait pas été bon pour ce mécréant de venir au centre bourg, le 11 novembre 1962, alors que tous les poilus du secteur se trouvaient réunis devant le monument aux morts, encore sur la place, devant le seuil de l’église Saint-Jean Baptiste. Il n’y aurait pas trouvé beaucoup de copains même si, déjà, il savait que son hymne à la paix s’inscrivait dans la marche du temps.

        S’est-il trouvé quelqu’un sur les chemins conduisant au hameau, où il viendra par la suite se promener, seul ou avec son chien, pour lui reprocher d’avoir ainsi attenté à son honneur ? Qui sait ? Mais le temps a fait son œuvre. Ici, aussi, plus personne n’est en mesure de dire « J’y étais ». Ici, aussi, Brassens est devenu une  personne recommandable, un voyou au grand cœur qui nous aura invités à nous engager sur le chemin de la raison.

        Oui la guerre est la pire des extrémités pour notre humanité. Il n’y a pas de guerre juste. Il y a tout simplement de l’impuissance à régler nos divergences par le dialogue, la compréhension et le respect mutuel.

     

    La lumière de la Paix à travers le vitrail

       

       Est-ce que ce baladin du temps qui passe a pris le temps de faire une halte, un jour, dans le hameau, à l’occasion d’une de ses promenades en solitaire, et de pousser la curiosité jusqu’à franchir le seuil de la chapelle de Kermouster. De s’y asseoir pour partager quelques instants, par un regard attendri, avec tous ces gars qui sont morts d’avoir été à la guerre ? Qui pourrait le dire ? Mais qu’importe ! Je l’y vois et je n’ai aucun mal à penser qu’au-delà des mots qui interpellent, Brassens avait un penchant naturel à aimer les gens, en tout cas ceux qui sont dépourvus d’un esprit narcissique. Je l’imagine ainsi, assis devant cette plaque fixée au mur, se remémorant le pourquoi de cette chanson qui lui aura valu les trompettes de la renommée. Je cherche à décrypter sa pensée alors que le soleil, en cette fin d’après midi d’été transperce le vitrail.

        A cette heure, le soleil est dans l’axe de la rue Saint-Modez. Il descend lentement vers le couchant. L’arc en ciel qui lèche le mur, où est accrochée cette plaque du souvenir, le transporte vers un ailleurs. Je ne peux pas imaginer qu’il en soit autrement, même s’il est toujours risqué de faire dire aux gens ce qu’ils n’ont pas fait, ce qu’ils n’ont pas dit, de penser à leur place. Mais je suis persuadé que le troubadour de ce siècle aux deux guerres mondiales, était homme, lui aussi, comme nous sommes nombreux à l’être, à apprécier ces instants où l’on se retrouve confronté à soi-même, sans personne autour de soi.

         Une chapelle, une église, une cathédrale, mais aussi, un temple, une mosquée ont vocation à rassembler. On y vient pour se rassurer, au contact de gens qui partagent votre foi, vos certitudes. Car il y a autant de convictions que de dieux. A chaque endroit sa manière d’aborder le grand questionnement.

       Une chapelle, une église, une cathédrale, un temple, une mosquée, on peut s’y sentir bien, même quand on ne s’inscrit pas dans l’esprit affiché du lieu. Et si on a la chance d’y être seul ou accompagné par un être qui vous est cher, ce qui, soyons honnête avec la réalité, ne peut se produire que dans l’enceinte d’un lieu de culte à taille humaine, on ne peut que savourer l’instant.

        Nous avons, ici, la chance d’avoir un tel endroit à portée de la main. Mais écrivant ces lignes, c’est vers deux autres chapelles qu’a germé l’idée de vous convier à me suivre. Des chapelles où la mémoire de ce que furent ces tragédies humaines du XXe siècle ne ferme pas la porte à l’espoir.

       Comme les monuments aux morts qui, dès 1920, se sont dressés au cœur des villes et des villages, les lieux de culte ont aussi servi à préserver la mémoire. Je ne vais pas dresser ici l’inventaire de ces chapelles ayant demandé à des maîtres verriers de donner par le vitrail la force du souvenir. Trop nombreux ont été les tableaux figuratifs représentant les seuls  soldats français mourant sous le regard bienveillant de Dieu. Le sabre et le goupillon. Jean Ferrat, avant de nous rappeler les wagons plombés de sinistre mémoire, lui aussi, a osé chanter le non dit. Mais les deux lieux de culte dont il va être question ont pour eux d’avoir accueilli des œuvres qui brisent le cadre du seul message biblique qu’elles sous-tendent. Le message a ici, la force de l’universalité.

     

    La lumière de la Paix à travers le vitrail

     Eglise Saint Valéry à Varengeville-sur-Mer, huile de Jean-Marie Jacquot. Coll part.

       

       Eglise Saint Valéry, de Varengeville-sur-mer. Une église certes, mais de taille modeste. C’est ici que repose, dans un cimetière ouvrant large sur les falaises blanches du pays de Caux, Georges Braque (1882-1963), le « fauve » devenu « cubiste », l’ancien lieutenant du 224e régiment d’infanterie, qui aura été un grand témoin du siècle dernier. Avec dans sa chair le souvenir de ces heures sombres où sans le secours in extremis de brancardiers il serait mort parmi les morts, le 11 mai 1915, à Neuville Saint-Vaast, non loin d’Arras. Tout comme Guillaume Apollinaire, Georges Braque aura subi une trépanation, suivie de deux jours de coma.

       Le vitrail qu’il a réalisé pour cette église de Normandie n’est pas le premier du genre. Sa rencontre avec un père dominicain aura été déterminante pour qu’il s’engage sur le chemin du religieux. Il aura, avant Varengeville, pris part, aux côtés de nombreux autres artistes de grande notoriété, à la décoration de la chapelle de Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy, en Haute-Savoie. Une chapelle aujourd’hui classée monument historique après avoir été au cœur d’une polémique, la « querelle des Arts sacrés ». Au lendemain de la seconde guerre mondiale, il s’est trouvé des représentants du culte qui souhaitent profondément modifier la représentation des dogmes

     

    La lumière de la Paix à travers le vitrail

     

       C’est l’année même où Brassens faisait connaître sa chanson aux paroles supposées « attentatoires » à la mémoire des poilus qu’a été installé dans l’église Saint Valéry de Varengeville le vitrail de L’arbre de Jessé, un motif récurrent dans l’art chrétien représentant l’arbre  généalogique présumé de Jésus à partir de Jessé, père du roi David.

       Ici il ferait bon y être au lever du soleil puisque le vitrail est posé sur une ogive ouvrant sur l’est. Mais, même à une heure plus avancée de la journée, la lumière bleutée qu’il diffuse donne à ce lieu une atmosphère apaisante.

      Cette thématique de L’arbre de Jessé a également inspiré Marc Chagall, artiste peintre d’origine russe, né dans la religion juive. Douze ans après celui de Georges Braque, il livra cette œuvre à la cathédrale de Reims. Mais c’est à Sarrebourg qu’il vous faut aller pour admirer, on ne peut qu’admirer, son sublime tableau de  La Paix ou L’arbre de vie.

     

    La lumière de la Paix à travers le vitrail

     

       De l’ancien couvent des Cordeliers, devenu du fait des guerres qui se sont déroulées entre 1870 et 1945, caserne puis camp de prisonniers, il ne restait que des bâtiments délabrés à la fin des années 1960. Il n’en subsistera, après réfection, que la chapelle, un modeste édifice aujourd’hui passage conseillé pour qui veut se retrouver. Une chapelle dotée d’un  vitrail exceptionnel, d’abord par ses seules dimensions. Encore plus grand que celui que Marc Chagall a réalisé dix ans plus tôt, sur ce même thème, et qui se trouve à New York, au siège de l’ONU.

       Mais ce vitrail, installé dans un lieu aussi petit que la chapelle de Kermouster, a cette capacité de vous subjuguer dès le premier regard. La lumière qu’il irradie vous enveloppe immédiatement. La Paix ou L’arbre de vie. A deux pas de la nécropole des prisonniers de guerre où reposent des milliers de poilus, dont le Kermoustérien Guillaume Turuban. Comment ne pas faire la liaison ?

     

    La lumière de la Paix à travers le vitrail

     

       Sur la colline qui s’élève au nord-ouest de cette ville de Moselle, les croix blanches alignées au cordeau génèrent elles aussi une profonde émotion Marc Chagall, dont les vitraux de la cathédrale Saint-Etienne de Metz  forçaient déjà depuis plusieurs années l’admiration des Mosellans, ne s’est pas limité au travers de cette œuvre à évoquer tel ou tel conflit.

       Au-delà de sa connotation religieuse, La Paix ou L’Arbre de vie, tel l’éclat de la lanterne d’un phare, entend nous faire éviter les récifs du repli sur soi, de l’intolérance, du racisme et de la xénophobie, tous ces ingrédients  qui peuvent nous conduire à nouveau sur le chemin de la guerre

     

     

    La lumière de la Paix à travers le vitrail

     Sur la colline de Mort-Homme

     

    Précédentes mises en ligne 

    Samedi 27  octobre 

     Kermouster dans la Grande Guerre 

     Dimanche 28 octobre 

    1er août 1914: "Ar bresel! Ar Bresel! 

    Lundi 29 octobre 

    Yves Ernot: le "dormeur du val" de Tourteron

    Mardi 30  octobre 

    Hippolyte Ernot: l’ultime crête de Thiepval

    Mercredi 31  octobre  

    Henri Charles Marie Cavan et l’immonde supplice 

    Jeudi 1er novembre 

    Louis Lahaye : l’adieu en Champagne 

    Vendredi 2 novembre 

    Yves Marie Le Cleuziat empoisonné par les gaz  

     Samedi 3 novembre 

    La lettre d'adieu de François Marie Félicien Le Mevel 

     Dimanche 4 novembre 

     Joseph Ernot au bout du chemin du sacrifice 

      Lundi 5 novembre 

     Joseph Guillaume Turuban : le camp, le cimetière, la nécropole

     Mardi 6 novembre 

     Joseph Le Luron au royaume des Immortels

    Mercredi 7 novembre 

    Yves Marie Even : Sanguinis Terra à Chaulnes

    Jeudi 8  novembre 

    Alexandre Auguste Le Blouch : la plage de Naso 

    Vendredi 9 novembre 

    Pierre Garel, la mort sur le Chemin des Dames 

    Samedi 10 novembre 

    Joseph Le Razavet dans la boue des Flandres

    Dimanche 11 novembre 

    François Le Mevel: comme Apollinaire et des millions de grippés

    Lundi 12 novembre 

    L’après 11 novembre de Félicien Le Goaster et  Jean-Marie Ernot

    Mardi 13 novembre 

    Armistice : la Der des Der?

    Mercredi 14 novembre 

     

    La sonnerie du clairon et la sonate du violoncelle


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  •    Voici qu’approche le temps de mettre un terme à cette modeste et très locale contribution à l’histoire. Pour cette avant dernière chronique sur Kermouster dans la Grande Guerre, une digression musicale, parce que lors de cette commémoration du Centenaire, la musique, sous quelque forme que ce soit, aura contribué à renforcer le caractère solennel et la charge émotionnelle de l’événement. Le son d’un clairon qui perce le silence, les cordes d’un violoncelle qui font vibrer l’atmosphère peuvent provoquer autant d’émotion qu’un discours, fût-il le plus en adéquation avec la raison d’être de l’événement.

       J’ai déjà souligné l’impact que provoque chez moi la sonnerie « Aux morts ». Dès les premiers roulements du tambour, dès la première mesure, frisson assuré. Une musique, lente, grave, qui précède le silence. Un morceau de courte durée, mais qui semble arrêter la marche du temps. Une musique qui vous transporte vers cet ailleurs où a régné l’effroi, mais qui force le respect. Cette sonnerie « Aux morts » aucun poilu ne l’a entendue sur le champ de bataille.

        Une sonnerie qui puise son origine sur les champs de bataille qui ont opposé Nordistes et Sudistes lors de la guerre de Sécession aux Etats-Unis. Une sonnerie dont les Anglais auront été les premiers à s’inspirer. Si vous passez un jour, en fin d’après midi par Ypres, cette ville martyre aujourd’hui totalement reconstruite, portez vos pas jusque la porte Menin ! C’est là qu’est interprétée chaque soir, depuis 1928, The Last Post, l’équivalent britannique de notre sonnerie aux morts. Hormis les années de la Seconde Guerre mondiale, The Last Post a donné lieu, sur les coups de 20 h, à un cérémonial quotidien. Centenaire passé, tout laisse à penser que les Britanniques vont maintenir cette tradition

     

    La sonnerie du clairon et la sonate du violoncelle

     

       Ce n’est que quatre ans plus tard que le lieutenant-colonel Pierre Dupont (1886-1969), chef de musique de la Garde républicaine,  a composé la sonnerie « Aux morts ».  Cet ancien du 67e régiment d’infanterie répondait à une demande du Général Gouraud, alors gouverneur de Paris, lequel souhaitait que l’on puisse doter l’armée française d’un hymne dégageant une solennité de même teneur que ceux des anglo-saxons. Cette sonnerie sera jouée pour la première fois par la Garde républicaine le 14 juillet 1931, devant l’Arc de triomphe. Les poilus, toujours en vie à cette époque,  ont pu ainsi honorer leurs anciens camarades, avec une note de gravité supplémentaire.

       Mais désormais, le clairon et le tambour ne sont plus les seuls à porter la charge émotionnelle que doit avoir tout rendez-vous de ce type. Et c’est le plus souvent le violoncelle qui est mandaté pour  venir en appui et renforcer la solennité de la cérémonie. 

        Le violoncelle ? J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer le pourquoi de ma forte inclination pour cet instrument. C’était au début du mois d’août dernier, dans un commentaire sur le concert d’Aldo Ripoche donné en la chapelle. Ce soir là, ce sont trois des Suites pour violoncelle de Bach qu’il nous a été donné d’apprécier. Je n’y reviens donc pas. Mais s’il est un instrument qui se retrouve rattaché à la page sanglante de la guerre 14 18, c’est bien lui. La bataille qui oppose la France à l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie n’a pas été sans répercussions dans le monde musical.

       Quand il s’éteint, à l’âge de 55 ans, épuisé par une longue lutte contre le cancer, voilà tout juste cent ans (le 28 mars 1918), Claude Debussy en était toujours à craindre que le rouleau compresseur de la musique allemande s’en vienne à écraser la musique française dont il est devenu la figure de proue ; La guerre n’en finit pas !

        Debussy l’impressionniste aura brûlé ce qu’il a adoré. Entre autres, la musique  de Wagner.

        « Je crois que nous paierons cher le droit de ne pas aimer l’art de Richard Strauss et de Schoenberg. Pour Beethoven, on vient de découvrir très heureusement qu’il était flamand ! Quant à Wagner, on va exagérer ! Il conservera la gloire d’avoir ramassé dans une formule des siècles de musique. C’est bien quelque chose et, seul un Allemand pouvait le tenter. Notre tort fut d’essayer pendant trop longtemps de marcher dans son destin » écrit-il en août 1914 à un de ses élèves alors qu’il a quitté Paris pour Angers, les Allemands se trouvant déjà à Compiègne*

        En mars 1915, il affichera publiquement son anti- germanisme à travers un billet publié par le journal L’Intransigeant, sous le titre « Enfin seul » : « Il faut, écrira-t-il, que la fortune de nos armes ait son retentissement dans le prochain chapitre de notre histoire de l’art. Il faut que nous comprenions enfin que la victoire apporte à la conscience musicale française une libération nécessaire. »

        Un propos qui trouve une résonance chez d’autres compositeurs français de l’époque. Le 10 mars 1916 Camille Saint-Saëns, Gustave Charpentier, entre autres, vont jeter les bases de la Ligue nationale  pour la défense de la musique française. Ce à quoi, Maurice Ravel, qui aura toute sa vie conservé une profonde estime pour Debussy, prendra le contre-pied, en s’adressant ainsi à ses confrères :

     « Je ne crois pas que pour la sauvegarde de notre patrimoine artistique national, il faille interdire d'exécuter publiquement en France des œuvres allemandes et autrichiennes contemporaines non tombées dans le domaine public. [...] Il serait même dangereux pour les compositeurs français d'ignorer systématiquement les productions de leurs confrères étrangers et de former ainsi une sorte de coterie nationale : notre art musical, si riche à l'heure actuelle, ne tarderait pas à dégénérer, à s'enfermer en des formules poncives. Il m'importe peu que M. Schönberg, par exemple, soit de nationalité autrichienne. Il n'en est pas moins un musicien de haute valeur, dont les recherches pleines d'intérêt ont eu une influence heureuse sur certains compositeurs alliés, et jusque chez nous. Bien plus, je suis ravi que MM. Bartok, Kodaly et leurs disciples soient hongrois et le manifestent dans leurs œuvres avec tant de saveur. En Allemagne, à part M. Richard Straussnous ne voyons guère que des compositeurs de second ordre dont il serait facile de trouver l'équivalent sans dépasser nos frontières. Mais il est possible que bientôt de jeunes artistes s'y révèlent, qu'il serait intéressant de connaître ici. D'autre part je ne crois pas qu'il soit nécessaire de faire prédominer en France, et de propager à l'étranger toute musique française, quelle qu'en soit la valeur. Vous voyez, Messieurs, que sur bien des points mon opinion est assez différente de la vôtre pour ne pas me permettre l'honneur de figurer parmi vous ». 

       Maurice Ravel, conducteur de camion sur la Voie Sacrée, de santé trop fragile pour pouvoir aller plus avant au front. Ravel, le compositeur qui, comme Debussy et tant d’autres, ont redonné de la couleur à la musique française. Mais Ravel, un homme qui a su, même dans un contexte aussi ravageur, conserver son entier libre arbitre.

       Je ne puis qu’approuver le choix qui a été fait de faire jouer deux de ses œuvres lors des cérémonies ce 11 novembre qui se sont déroulées devant l’Arc de Triomphe. L’incontournable Boléro, que Maurice Ravel, au pupitre, fera jouer à la Garde républicaine en 1931, mais surtout ce 2e mouvement de sa Sonate pour violon et violoncelle, composée en 1920, à la mémoire de Claude Debussy.

      Accompagné, ce dimanche 11 novembre, par le violoniste français Renaud Capuçon, Yo-Yo Ma, le virtuose violoncelliste américain, interprètera, seul, la Sarabande de la Suite n°5 de Jean-Sébastien Bach. Cent ans après l’arrêt des combats, un violoncelle faisait entendre sa voix en chantant les vertus de la réconciliation.

     

    La sonnerie du clairon et la sonate du violoncelle

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       Comment, dès lors, ne pas évoquer, dans le cadre de cette narration, les pérégrinations du Poilu, ce violoncelle auquel Maurice Maréchal aura donné ses lettre de noblesse.

        Si vous passez un jour par Ourton, un petit village accroché à une colline, au nord-ouest d’Arras, prenez le temps de venir vous asseoir derrière l’église. C’est ici que le Poilu a fait entendre pour la première fois sa voix, le 28 juin 1915.

        « Avons été à Béthune hier. La ville pleine d’Anglais. Ai essayé le cello le soir avec deux cordes seulement. Il sonne bien. Que dire de cette impression extraordinaire que j’ai eue en jouant le Clair de lune de Werther, dans une cour de ferme, derrière l’église, assis  sur une pierre ; Quelques soldats debout en rond (…) Je crois que vraiment cet étrange biniou sonne bien. Tout le monde me fait des compliments**». Déjà auréolé d’un Premier prix du Conservatoire en 1911, l’agent de liaison du 274e régiment d’infanterie apprécie de pouvoir faire glisser ses doits sur un manche, fut-il taillé, comme le reste de l’instrument, avec des morceaux de porte et d’une caisse de munitions. Allemande ? Peut-être. En tout cas dans un résineux de piètre qualité. Œuvre de deux Territoriaux, charpentiers menuisiers dans le civil.

       Deux camarades qui n’auront pas, comme Maurice Maréchal (1892-1942) la chance de vivre encore bien longtemps. Antoine Pleyen et Charles Plicque, luthiers des circonstances, tomberont face à l’ennemi trois mois plus tard, dans la Somme. Maurice Maréchal et son nouveau compagnon d’infortune auront, quant à eux, la chance de s’en sortir

       Un compagnon d’infortune, mais sans lequel il aurait pu connaître un autre destin. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’a jamais été exposé aux dangers car l’agent de liaison fut, tour à tour, infirmier, brancardier, cycliste ou radio. Mais comme il le reconnaîtra lui-même ce Poilu sorti de je ne sais où lui aura permis de vivre la guerre un peu plus confortablement que ses collègues fantassins

       La raison en est simple : on est venu le chercher, lui et son Poilu, pour compléter une formation de musique de chambre, au début de l’année 1916. Ce sera le quatuor du général Mangin (1866-1925), chef de la 5e division d’infanterie.

     

    La sonnerie du clairon et la sonate du violoncelle

     Coll. Musée de la Guerre, Pays de Maux. Fonds Durosoir

       

       Chef militaire, autant craint que respecté, Charles Mangin appréciait la belle musique. C’est ainsi que le Poilu  fut souvent trimbalé par  monts et par vaux, caché dans un sac à viande, pour s’en venir égayer les soirées que ce général offrait à ses hôtes, à même le grand salon d’un château. Des intermèdes musicaux qui ont eu pour effet d’éloigner Maurice Maréchal et les trois autres musiciens du bruit dissonant des tranchées.

        Mais si les premières notes sorties de ce violoncelle hors norme furent, à Ourton, consacrées à une transposition d’un air d’opéra composé par le français Jules Massenet, le souhait de la Ligue nationale pour la défense de la musique française fut, à chaque fois, mis sous le boisseau. Dans ces salons peuplés de galonnés, les quatre musiciens exécutèrent, à la demande, des musiques  fleurant le romantisme allemand. Tout en cherchant, quand même à défendre le nouveau répertoire français. En 1917, Maurice Maréchal éprouvera la grande satisfaction lors d’une permission de jouer devant Debussy, accompagné André Caplet, son ami pianiste, sa Sonate pour violoncelle et piano, composée en août 1915. L’une de ses toutes dernières œuvres du compositeur.

       Sous chaque militaire, sous chaque compositeur, sous chaque interprète, il y a un homme.  Le virtuosité du violoncelliste n'a d'égal que son extr$eme sensibilité à la condition humaine.. Grand admirateur de Renan, notamment pour sa Vie de Jésus, il se voulait « écrivain de lui-même ». Voici ce qu’il écrivait dans l’un de ses carnets de guerre, alors qu’il se trouvait sur le ravin de la Caillette, près de Verdun, le 19 avril 1916 :

     

    « Effondrés dans un coin, hébétés de souffrance,

    Avec des os brisés, sous des liges. Sanglants,

    Ce sont des loques grises empoisonnant le rance,

    Des visages de terre avec des yeux brillants,

    Nulle pitié autour d’eux, pas un mot de tendresse,

    Aucun des soins touchants qu’on prodigue aux blessés.

    Pourtant si vous saviez quel enfant en détresse

    Devient celui qui souffre et qu’il faudrait bercer.

    Nous sommes bien éloignés de la bonté parfaite.

    Sans doute est-ce justice de haïr l’ennemi,

    Mais par le sang qui coule sont lavées toutes dettes.

    Français, pour le blessé, il est beau d’être ami. »

     

       Des vers pour exprimer sa compassion pour les soldats allemands qui se meurent sous ses yeux, sans que quiconque s’attarde sur leur sort.

      Démobilisé en 1919, Maurice Maréchal pourra alors reprendre une carrière qui va le conduire au sommet de la célébrité, mais bien évidemment, sans demander à son Poilu, quelque peu exténué par tant de chaos, de continuer le service.

        Ce dernier sur lequel sont gravés les noms de Pétain, Joffre, Foch, Gouraud et Mangin sommeille désormais dans une vitrine du Musée de la musique à Paris. Aux côtés de deux violons. L’un construit dans les tranchées des Vosges alsaciennes en 1916, à partir d’une boîte de madeleines de Commercy, d’une peau de chèvre et d’un couteau de poche. L’archet a été réalisé avec les crins de la queue de cheval du colonel du 152e régiment d’infanterie, le régiment du violoncelliste René Moreau (1883-1964). L’autre est sorti des mains du soldat allemand Curt Oltzscher, détenu prisonnier à Romans, dans la Drôme.

       Bien que mis à la retraite depuis un siècle, le Poilu n’en continue pas moins de faire entendre sa voix, par réplique interposée où ne figurent plus les noms des généraux. Emmanuelle Bertrand, l’une des grandes figures de la scène internationale, a construit un spectacle autour de l’histoire de ce Poilu en bois, « Le violoncelle et la guerre ». Tour à tour, les comédiens Christophe Malavoy, Didier Sandre et François Marthouret prêtent leur voix aux écrits des carnets de guerre de Maurice Maréchal sur un fond musical qui réunit des compositeurs de toutes origines.

       Si la musique a le pouvoir d’adoucir les mœurs, comme le laisse entendre cette maxime que l’on prête à Aristote, espérons que ce Poilu de la Grande Guerre restera seul au monde ! 

     

    Suite et fin

     

     La lumière de la paix à travers le vitrail

     

     


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  •  Armistice : la Der des Der ?   

     

       Heureux les ubiquistes ! Heureux ceux qui ont pu, en cette  journée de commémoration du Centenaire de l’armistice du 11 novembre 1918, être présents simultanément dans plusieurs lieux à la fois, là où il fallait être  pour un nouvel hommage, peut-être le dernier rendu avec une telle solennité. Ce don d’ubiquité, je ne l’ai pas. J’imagine aisément que je ne constitue pas un cas d’espèce.

       Ce dimanche, en effet, il nous a fallu faire un choix. La chapelle de Kermouster ou le square du souvenir au centre bourg ? Et pourquoi pas, devant l’écran de la télévision ?

      En décidant de scinder la commémoration en deux, la municipalité nous a placés devant un dilemme, un choix quasiment cornélien puisque les deux cérémonies se tenaient simultanément. Le en même temps a parfois ses limites.

       Ce choix je l’ai fait, non sans regret, car il aurait été bon d’être au bourg  pour entendre de jeunes adolescents évoquer les noms  de leurs anciens, morts voilà plus d’un siècle. Pour ce que symbolisait leur participation.

       Il aurait été certainement préférable, même si nous en avons déjà publié un extrait, de pouvoir écouter l’arrière arrière petite fille de François Marie Félicien Le Mevel nous lire la lettre que ce Kermoustérien a écrite deux jours avant de tomber « au champ d’honneur ». Elle n’oubliera jamais cet instant. Nous n’oublierons pas cette lettre.

       Quel que soit notre regret de n’avoir pas pu être là, c'est bien qu’ils aient été associés à cette journée nationale du souvenir. Non pas pour qu’on leur  parle de batailles « héroïques », mais pour qu’ils se persuadent, à leur tour, que leur avenir passe par le chemin de la Paix.

     

    Armistice : la Der des Der ?   

     

       Cela s’est fait dans de nombreuses communes de France, mais à Kermouster nous nous sommes retrouvés essentiellement entre « vieux qui ont de l’âge ». Entre gens qui ont grandi à une époque encore nourrie par la haine ancestrale entre l’Allemagne et la France. Que de chemin parcouru depuis lors. Mais que de chemin à parcourir encore pour que nous puissions aller encore plus loin, ensemble, avec les autres, avec tous les autres. Tous les obstacles ne sont malheureusement pas levés. Ces jeunes portent désormais notre espoir de voir leur avenir se sortir du guêpier dans lequel nous sommes présentement englués.

        Du message que notre jeune Président de la République nous a adressé, via Loïc Cordon, Premier adjoint,, retenons ne serait-ce qu’un mot : vigilance ! Qu’importe le regard que vous portez sur sa manière de conduire le char de l’état. Donnons lui quitus !  Pour s’être positionné, tout au long de la semaine dernière, par le geste et par le mot, comme un lanceur d’alerte. Oui ! Cette paix, à laquelle nous aspirons tous, est précaire.

        Les vétérans de la Grande Guerre sont tous morts. Ceux qui ont survécu à ces années de feu et de sang ont rejoint dans la terre leurs anciens compagnons d’arme. Nous qui nous sommes rassemblés dans la chapelle, pour honorer la mémoire des 14 kermoustériens qui n’ont pas eu l’heur de revoir leur clocher et, au-delà de leurs seules personnes, à toutes les victimes de cette « boucherie », n’avons pas tous un souvenir très précis de nos propres grands pères. Même de ceux qui ont survécu.

       Il faut dire que, pour le plus grand nombre, les années qui ont suivi l’épouvante ont été celles de cauchemars incessants. Quand ils sont revenus au pays, ils étaient presque tous « méconnaissables ». Souvent gravement blessés, mais tous brisés de l’intérieur. Comment raconter l’indicible ? Quand le poilu y arrivait, le plus souvent les larmes lui perlaient aux paupières.

       Je n’ai jamais vu mes grands pères pleurer. Et pour cause, ils étaient déjà morts quand j’ai ouvert les yeux sur ce monde qu’il allait falloir appréhender. Nous sommes, par la force du temps, les derniers dépositaires de ce passé douloureux. Et notre mémoire vacille !

     

    Armistice : la Der des Der ?   

     

       Autant l’avouer, il m’en aura fallu du temps pour donner tout son sens à ces regroupements systématiques devant le monument aux morts. Un exercice obligé, en costume du dimanche, col de chemise amidonné, chaussures cirées.

       Que de fois il aura fallu taire un fou rire devant ce qui s’apparentait à un spectacle de marionnettes, rythmé par le balancement de drapeaux à la toile empesée par les dorures d’un temps révolu.

       Qu’ils étaient drôles ces vieux messieurs qui avaient l’âge qui est le mien aujourd’hui ! Oui qu’ils étaient drôles avec leurs bérets rouges, noirs, verts, bleus, ou leurs calots posés de guingois sur des couronnes de cheveux blancs.

      Qu’il était long et inaudible ce discours nous racontant une histoire d’un autre temps, mais qu’il fallait écouter pieusement, en tout cas faire semblant d’écouter pour éviter la réprimande paternelle, de retour à la maison.

       Il n’y a guère que la sonnerie aux morts qui m’aura fait vibrer à l’unisson. Et c’est toujours le cas !

      Je veux croire que ces jeunes, dont j’avais l'âge à l’époque, sont mieux à même de comprendre le sens de cette cérémonie à laquelle ils ont prêté leur voix.

       Ces considérations faites, je me dois de  reconnaître que la décision de la municipalité a été aussi celle du cœur. Pour le moins, une délicate attention.

       Je ne vais pas ici citer les noms de celles et ceux qui n’auraient pas compris que le hameau ne puisse pas  être pleinement associé à l’heure où toutes les cloches des environs se sont mises à sonner. A chacun sa cathédrale !

     

    Armistice : la Der des Der ?   

     

       Kermouster, bien que rattaché à Lézardrieux depuis la Révolution, était encore un vrai village quand tout ce qui constituait alors sa force vive a dû aller défendre le pays. Un village avec sa chapelle, son école, ses bistrots, son épicerie et, bien sûr, toutes ces fermes abritant, avant et dans l’immédiate après guerre,  des familles nombreuses. Des familles, par nature proches les unes des autres, qui sortiront, comme tant d’autres à travers ce vaste monde, éprouvées par trop de douleur.

       Il suffit de franchir le portail du cimetière pour mesurer l’impact qu’ont pu avoir ces toutes premières années de guerre sur le village. Les corps des morts sur le champ de bataille n’y sont pas, mais ceux de leurs frères, de leurs sœurs, de leurs neveux et nièces, voire de leurs propres enfants si tant est qu’ils ont eu la possibilité de donner la vie,  y demeurent.

       De dalle en dalle, c’est un enchevêtrement de noms. Les racines des Kermoustériens de souche ont d’abord été tronc commun. On grandissait et se mariait à même l’endroit de sa naissance. Ici comme dans toutes les campagnes.

       De ce passé commun il ne reste plus que quelques vestiges, disséminés au fil de l’arborescence. Ici, quelques écrits et des photos jaunies, là des médailles et un petit étui tiré d’un fût d’obus. Autant dire, pas grand-chose. En tout cas pas suffisamment porté à notre connaissance pour avoir pu donner plus de consistance à la narration de ces quinze derniers jours.

     

    Armistice : la Der des Der ?   

     

       En vous proposant ce retour en arrière, j’ai voulu composer avec un pressentiment. Si on ne peut que saluer tout ce qui a été fait pour donner à ce Centenaire gravité et solennité, tout laisse à penser que nous avons, ensemble, bouclé un grand chapitre de notre histoire. Grande va être la tentation de passer à autre chose.

       « Les morts n’ont pas le droit d’immobiliser les vivants ». C’est ce qu’a dit, samedi matin, Mona Ozouf, lors d’un entretien portant sur un sujet n’ayant aucun rapport avec la célébration de l’armistice. Cette historienne de renom, dont on ne dira jamais assez combien elle nous aide à mieux nous comprendre, était, ce jour là, l’invitée de France Culture. Elle y défendait la mémoire d’une romancière britannique, George Elliot (1819-1880), dont j’ignorais l’existence jusqu’à ce jour.

       Cette phrase est donc sortie de son contexte, mais elle sonne juste par ces temps de commémorations. Car je n’oublie pas que ce mardi, il nous fallait aussi penser à toutes les victimes des terribles attentats du 13 novembre 2015. La bête immonde du fanatisme et de l’obscurantisme venait une nouvelle fois de frapper. Arriverons nous à lui tordre le cou ? 

       A ces morts, comme à ceux de la Grande Guerre, nous devons un respect éternel. Il nous faut conserver leur souvenir, d’une façon ou d’une autre, mais, malgré tout, se remettre en marche pour que le « plus jamais ça » soit enfin devenu irréversible.

       « Plus jamais ça ! » « La Der des Der ! ». C’est ce qu’espéraient celles et ceux qui étaient sortis vivants du chaudron des années 1914-1918. La petite plaque qui rappelle la mort d’Edouard Petibon, en mars 1940, à Mers El Kebir, accrochée en dessous de celle des 14 victimes de la Grande Guerre, est là pour nous rappeler que cet espoir n’aura été qu’un vœu pieux. Les blockhaus qui se cachent sous la verdure de l’île à bois, aussi. Vigilance ! Vigilance !

       La pitoyable prestation que nous a infligé Donald Trump lors de son passage à Paris nous montre bien que, même dans nos sociétés occidentales, dites civilisées, nous pouvons porter au pouvoir des pitres qui n’ont que faire des leçons de l’histoire, des va t’en guerre qui pensent ainsi devenir des personnages historiques mais, qui pour l’heure, n’ont aucune conscience des risques qu’ils font courir à leur propre peuple. Qui joue avec le feu, se brûle !

        La Paix ? Ce n’est donc pas, hélas, pour demain. Il y a tant d’autres armistices qui se font attendre.

     

    Armistice : la Der des Der ?   

     

       Ayant eu recours, pour densifier mon propos, aux écrits d’écrivains ayant, eux aussi, connu la peur et l’angoisse des tranchées, je me dois de conclure ce billet en évoquant un auteur d’une autre génération, Tomi Ungerer, dont je n’avais pas encore pris le temps d’apprécier l’humour empreint de sagesse. C’est un voisin bien intentionné qui m’a conseillé de lire son tout dernier bouquin, publié* en avril dernier Ni oui ni non, c’est son titre, recense 100 questions philosophiques d’enfants. Dont celle-ci : « Qu’est-ce qu’on gagne quand on a gagné la guerre ? » Question posée par Eric, un garçon de 7 ans.

       J’espère que cet auteur Français et Alsacien, né à Strasbourg, qui fêtera ce 28 novembre 2018 son 87e anniversaire, ne m’en voudra pas de publier, sans lui en avoir demandé l’autorisation  la réponse qu’il apporte à cette question. Ni le dessin qui  l’illustre. Il y en a 99 autres à découvrir.

        « On peut, répond Tomi Ungerer, gagner des batailles, mais on ne peut pas gagner une guerre. C’est pour les deux adversaires un énorme gâchis, tant par la destruction que par les pertes cruelles de victimes innocentes.

       Chaque guerre engendre un sentiment de vengeance chez les vaincus, nourri par l’arrogance des vainqueurs ; une fois terminée, elle annonce déjà la prochaine. La victoire ne s’est jamais faite en chantant.

       En tant qu’Alsacien, coincé entre l’Allemagne et la France. J’ai connu deux défaites. Après la drôle de guerre, en 1940, les Allemands ont occupé l’Alsace et nous ont interdit de parler français. En 1945, les Français ont repris l’Alsace et il fut interdit de parler un seul mot d’allemand ou d’alsacien. Combien d’entre nous ont dû se battre sous l’uniforme français, puis allemand, puis français, enrôlés de force !

      Et pourtant, nous avons vécu un miracle : jamais, dans l’histoire du monde, il n’y a eu une réconciliation aussi rapide que celle des Français et des Allemands, deux peuples qui s’étaient pourtant massacrés sur des générations et des générations. Cet exemple n’est hélas ! pas près de se répéter. C’est l’un des rares cas où une guerre terrible aboutit à une réconciliation entre deux peuples.

       Quant à moi, je hais la haine. »

       Puisse un tel propos trouver un écho chez tous ces jeunes qui ont prêté leur concours à cette commémoration de l’armistice. La Der des Der ? Du moins sous cette forme.

       Ce dimanche 11 novembre 2018, l’un dans les bras de Mickaël Berthou, son père, l’autre dans sa poussette canne, Gabin et Emilien, les arrière arrière petits fils de Charles Perrot, l’arrière grand père de leur maman Aurélie, auront été tous deux, pour Kermouster, les représentants d’un monde en devenir. Un jour, pas si lointain que ça,  ils pourront dire j’y étais. De ce centenaire ils auront alors peut-être conservé cette image sonore, celle d’une corde que l’on tire pour faire sonner la cloche. La cloche  de cette chapelle où ils ont été baptisés.

        On ne peut que leur souhaiter d’être les acteurs d’un monde meilleur.

     

       *  Editions « L’école des loisirs »

     

     

    A suivre

     La sonnerie du clairon, la sonate du violoncelle

     

     


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